jeudi 13 octobre 2022

Non, c'est non Cinq ans de #MeToo : le consentement, une notion en redéfinition

par Chloé Pilorget-Rezzouk  publié le 11 octobre 2022

Des voix plaident pour une évolution du droit français afin de mieux prendre en compte le principe du consentement sexuel.

Avec l’onde de choc #MeToo, une notion au cœur des relations, longtemps marginalisée et pourtant essentielle, a fait surface : celle du consentement. «Le consentement est un oui, mais ce n’est jamais un oui absolu. C’est un oui conditionnel et si la condition n’est pas respectée, le consentement n’est pas valable», rappelle la docteure en droit Catherine Le Magueresse, autrice de Pièges du consentement. Pour une redéfinition pénale du consentement sexuel (iXe, 2021). Concrètement : le consentement est intuitu personae, spécifique, révocable, donné librement et de façon éclairée. Juridiquement, comment se traduit-il ? En France, celui-ci est présumé par le droit. Autrement dit, on part du principe que la personne est d’accord et il faut, en matière d’agression sexuelle ou de viol, prouver que l’acte a été commis par «violence», «contrainte», «menace» ou «surprise», selon l’article 222-22 du code pénal. A défaut d’éléments matériels, souvent délicats à recueillir dans ces affaires, la stratégie de défense usuelle consiste à opposer que l’acte sexuel était consenti.

«Vision stéréotypée du viol»

En outre, ces quatre circonstances «ne sont pas définies précisément par le code pénal, mais par la jurisprudence qui s’est étoffée au fil des siècles. Historiquement, le viol n’existait qu’en cas de violence. Cet usage des mêmes mots et des mêmes concepts signifie que l’on charrie toujours une vision stéréotypée du viol. Le «vrai viol» est celui pour lequel la victime a résisté d’une façon telle que ça a déclenché une coercition chez l’auteur», poursuit Catherine Le Magueresse. Ainsi, la justice peine toujours à considérer certains éléments qui viennent forcer le consentement, selon l’ancienne présidente de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) : «La contrainte économique n’est pas reconnue en droit français : une femme qui cède parce qu’elle craint de perdre son travail, de ne plus pouvoir nourrir ses enfants, est-elle consentante ? Non.»

Jusqu’à la loi du 21 avril 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, le consentement des mineurs était également présumé. «Pourquoi une adolescente de 14 ans ne pourrait-elle aimer un monsieur de trente-six ans son aîné ? Cent fois, j’avais retourné cette question dans mon esprit. Sans voir qu’elle était mal posée, dès le départ. Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger, mais la sienne», écrivait Vanessa Springora dans le Consentement, ouvrage déflagratoire sorti en janvier 2020, où elle décrivait sa relation sous emprise avec l’écrivain Gabriel Matzneff. «Pour les mineurs, dans de très nombreux cas, il n’est pas fait usage de la violence mais de la contrainte morale. Avec la réforme, le défaut de consentement est dorénavant présumé jusqu’à 15 ans et 18 ans en cas d’inceste. C’est un profond changement», salue Audrey Darsonville, professeure de droit à l’université Paris-Nanterre et spécialiste des infractions sexuelles.

«Redéfinition pénale de la contrainte morale»

Pour autant, la question est «loin d’être réglée» ni «évidente» pour les personnes majeures. «Contrairement à l’imaginaire qu’on peut en avoir, la plupart des viols ne sont pas accompagnés de violences physiques, mais surviennent dans l’entourage familial ou professionnel. Le défaut de consentement relève davantage de la contrainte morale», développe Audrey Darsonville. Alors, faut-il inscrire la notion de consentement dans le code pénal ? «Il appartiendrait à celui qui initie un acte sexuel de s’assurer de l’accord volontaire de l’autre», défend Catherine Le Magueresse, rappelant que la France a ratifié en 2014 la convention d’Istanbul sur la lutte contre les violences à l’égard des femmes. Inspirée du droit canadien où le principe du consentement est définit depuis 1992, elle établit que «le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes». En juin, la sénatrice Esther Benbassa a déposé une proposition de loi sur le «consentement sexuel des adultes» pour aller en ce sens. En Espagne, depuis l’adoption de la loi «Solo si es si» («seul un oui est un oui») en août et son entrée en vigueur début octobre, tout acte sexuel sans consentement explicite est considéré comme un viol. Comme en Belgique, au Royaume-Uni ou en Suède.

Pour Audrey Darsonville, ce renversement de paradigme institue «un système de présomption de culpabilité de l’auteur»«C’est problématique au regard des droits de la défense. Comment prouver objectivement qu’on a bien recueilli le consentement de la personne ? En réalité, ce sera impossible», avance la professeure, qui plaide plutôt pour une «redéfinition pénale de la contrainte morale» et le développement d’une culture de la recherche du consentement. La semaine dernière, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a lancé une campagne de prévention – «Sans oui, c’est interdit». Une étape supplémentaire afin que le consentement devienne une évidence pour chacun.


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