mardi 25 octobre 2022

Découverte Les descendants des survivants de la peste noire plus exposés aux maladies auto-immunes

par Nathalie Raulin   publié le 19 octobre 2022 

Dans une étude parue ce mercredi dans «Nature», des chercheurs démontrent que des gènes qui ont protégé les individus de la pandémie meurtrière au Moyen Age augmentent aujourd’hui les risques de déclarer une maladie de Crohn ou de l’arthrite rhumatoïde.
publié le 19 octobre 2022 à 17h00

Les descendants des hommes qui ont résisté à la pandémie dévastatrice de peste bubonique qui a sévi en Europe, en Asie et en Afrique il y a près de sept cents ans ont aujourd’hui un risque accru de déclarer une maladie auto-immune. Telle est la conclusion d’une recherche passionnante sur les prédispositions génétiques, conduite par la scientifique de l’université de Chicago Jennifer Klunk, en association avec des chercheurs de l’université McMaster (Canada) et de l’Institut Pasteur, parue ce mercredi dans la revue internationale Nature.

L’épidémie de peste noire qui a sévi au Moyen Age demeure l’événement le plus meurtrier de toute l’histoire de l’humanité, responsable de la mort de 30% à 50% de la population dans certaines des régions les plus densément peuplées au monde à l’époque. A l’origine de cette hécatombe, on trouve un agent pathogène : la bactérie Yersinia pestis. «Le bacille de la peste est l’un des agents infectieux les plus virulents qui existe sur la surface de la Terre, commente Javier Pizarro-Cerda, co-auteur de l’étude, directeur de l’unité de recherche Yersinia à l’Institut Pasteur. Nous nous sommes intéressés aux mécanismes moléculaires de pathogénicité de ce micro-organisme, ainsi qu’aux réponses immunitaires qui sont déclenchées après infection par cette bactérie chez l’être humain.» Pour les chercheurs, une hypothèse s’impose : le bacille de la peste bubonique aurait au Moyen Age entrainé la sélection d’êtres humains détenteurs de gènes protecteurs. «Quand une pandémie de cette ampleur a lieu, il y a nécessairement chez l’homme une sélection en faveur des gènes protecteurs, ce qui implique que les personnes susceptibles au pathogène circulant vont décéder, explique le biologiste spécialiste de la génétique évolutive Hendrik Poinar, lui aussi co-auteur de l’étude. Le moindre avantage sélectif fera la différence entre survie ou décès. Bien entendu, les survivants en âge de procréer transmettront leurs gènes.»

L’importante du gène Erap2

Encore fallait-il le prouver. Les scientifiques ont donc analysé des échantillons d’ADN anciens extraits des restes d’individus morts avant, durant ou après la peste noire à Londres, où l’on trouve plusieurs cimetières particulièrement bien conservés et bien datés. D’autres échantillons sont prélevés sur des restes humains dans cinq lieux de sépulture au Danemark. En comparant l’ADN de victimes et de survivants de la pandémie de peste noire, les chercheurs repèrent des différences génétiques clés expliquant la survie ou le décès des malades. Quatre gènes soumis à une sélection sont identifiés, tous impliqués dans la production de protéines qui défendent l’organisme contre des pathogènes. Or certaines versions de ces gènes, appelées allèles, confèrent bien une protection contre la peste noire. Ainsi, les individus vivant au Moyen Age porteurs de deux copies identiques d’un gène particulier, nommé Erap2, ont eu un taux de survie supérieur de 40% à 50% à ceux dotés d’allèles différents. «Peu d’équipes dans le monde sont capables d’étudier les interactions entre les cellules du système immunitaire et la bactérie Y. pestis. Notre expertise a permis de montrer l’effet réel du phénotype lié à Erap2 sur la réponse à une bactérie de la peste vivante», explique Christian Demeure, chercheur au sein de l’unité Yersinia à l’Institut Pasteur.

A partir de cellules humaines, les scientifiques ont étudié l’interaction entre la bactérie Y. pestis et les cellules immunitaires en fonction de leurs allèles Erap2, et analysé comment les macrophages (des cellules ayant la propriété d’ingérer et de détruire de grosses particules) neutralisent la bactérie Y. pestis. «Les résultats sont catégoriques, poursuit le chercheur de Pasteur.Les “bonnes” copies du gène Erap2 permettent une neutralisation plus efficace de Y. pestis par les cellules immunitaires. Avoir la bonne version d’Erap2 semble avoir été déterminant pour que les cellules immunitaires soient capables de détruire les bactéries Yersinia pestis.» Le généticien Luis Barreiro, co-auteur de l’étude et professeur de médecine génétique à l’Université de Chicago, lui fait écho : «L’avantage sélectif associé aux loci [position d’un gène sur un chromosome, ndlr] sélectionnés est l’un des plus puissants jamais rapporté chez l’homme, ce qui témoigne de l’importance de l’impact que peut avoir un seul pathogène sur l’évolution du système immunitaire.»

Conclusion troublante

Fort de ce premier résultat, les scientifiques ont entrepris d’identifier les conséquences de cette sélection génétique opérée par la peste bubonique sur la postérité des survivants. Leur conclusion est troublante : ces gènes qui conféraient autrefois une protection contre la peste noire sont aujourd’hui associés à une susceptibilité accrue aux maladies auto-immunes, comme la maladie de Crohn et l’arthrite rhumatoïde. «L’identification d’Erap2 renforce l’idée que ce qui permet de survivre à une époque peut altérer la survie à une autre époque», relève Javier Pizarro-Cerda. L’évolution est décidément à double tranchant.


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