mercredi 12 octobre 2022

Bruno Retailleau, est-ce Dieu qui a décidé que les camions c’était pour les garçons ?

par Thomas Legrand  publié le 11 octobre 2022 

Le patron des sénateurs LR et candidat à la présidence de son parti n’est ni conservateur ni vraiment réac, mais plutôt un homme en retard sur la société dans une formation politique qui prend l’eau.

Bruno Retailleau, l’affable sénateur de Vendée, a dit dimanche sur RTL : «Je ne veux pas qu’en maternelle, on dise à une petite fille qu’elle devrait jouer avec un camion ou un tracteur et à un petit garçon qu’il devrait avoir une poupée. Il faut préserver la conscience des enfants qui est absolument sacrée.» L’édito pourrait s’arrêter là. On ne va pas se fatiguer à argumenter sur l’inné et l’acquis. En est-on encore à devoir défendre le droit des petites filles à jouer aux camionneuses ou des petits garçons à pouponner du Mattel ? En est-on encore à parler d’invertis ? Bruno Retailleau, patron des sénateurs Les Républicains et candidat à la présidence de son parti, représente, par stratégie ou conviction, (ça fait longtemps qu’en tant qu’éditorialiste on a renoncé à différencier ces deux sources d’arguments en réalité entremêlées) une droite toujours en retard.

Il faut différencier la droite toujours en retard de la droite conservatrice ou réactionnaire. La droite réactionnaire (légitimiste, pour reprendre la terminologie de René Rémond, elle-même dépassée) veut un retour à l’ordre ancien, prérévolutionnaire. Elle pense que la place de chacun est déterminée par Dieu ou la nature. Riches, pauvres, hommes, femmes, tous ont une raison d’être là où ils sont, tous s’emboîtent parfaitement.

De Gaulle, un conservateur

La droite conservatrice estime, elle, qu’il ne faut pas que la modernité et le progrès nécessaire soient appréciés forcément positivement et que les institutions, un certain ordre établi (établi, pas naturel) est nécessaire à l’équilibre et la sécurité de tous. Ainsi, la philosophe conservatrice Lætitia Strauch-Bonard peut dire pour défendre l’institution du mariage : «Mon histoire m’a donné un sens de la complexité. Les modèles de famille expérimentaux sont souvent prônés par des gens qui ont une vie assez stable. Quand vous êtes en situation de précarité, vous vous rendez par exemple compte à quel point le couple est un rempart important.» Par ces mots, Laetitia Strauch-Bonard ne dit pas que le mariage est dans l’ordre naturel des choses ou que le divorce est contre-nature, péché ou scandaleux. Non, la philosophe dit simplement que le mariage est une institution qu’il faut favoriser et cesser de ringardiser pour le bien des individus et de la collectivité. Elle profère des paroles conservatrices.

Le général de Gaulle, par exemple, était un conservateur. Après de longues discussions avec son ministre de la Santé, Lucien Neuwirth, il accepte de légaliser la contraception en 1967. En tant que conservateur, avant d’être convaincu par les arguments sanitaires, sociaux et humains de Neuwirth, De Gaulle avait un réflexe bien de son temps et de son milieu : il voulait conserver. Mais il a changé. S’il avait été réactionnaire, il aurait considéré que la pilule était contre-nature et que l’autoriser aurait sapé les fondements de l’ordre naturel des choses et donc les bases de la société.

Un sénateur à la bourre

Relisons maintenant la phrase de Bruno Retailleau. Passons sur le gros mensonge selon lequel le corps enseignant dirait aux petites filles qu’elles «devraient» jouer avec des camions. Tout au plus – et qu’aurait à y redire Retailleau ? – le corps enseignant dit aux petites filles qu’elles ont bien le droit, si elles le veulent, de jouer aux camions et aux petits garçons qu’il n’y a rien de mal à jouer à la poupée. Les propos de Retailleau ne sont donc pas ceux d’un conservateur puisqu’ils se basent sur le «sacré» – «la conscience des enfants est absolument sacrée.» Le fait de préférer les camions aux poupées – ou l’inverse – est donc pour le candidat à la présidence de LR une disposition d’esprit relevant du «sacré». Est-ce Dieu qui a décidé que les camions c’était pour les garçons ? Alors, me direz-vous, c’est réactionnaire. Si Bruno Retailleau était réactionnaire, il prônerait le retour par exemple à l’ordre ancien sur toutes questions de mœurs, contraception, divorce, mariage, puisque l’ordre est une architecture immuable qu’il faut retrouver dans sa plénitude. Mais Retailleau ne compte pas revenir sur toutes ces avancées. Ça n’est pas dans son programme. Il a manifesté contre le mariage pour tous en 2013, proposé, lors de la campagne 2017, d’abolir la loi Taubira, mais il ne prône plus de revenir dessus. Prenons rendez-vous avec lui dans cinq ans. Il relira sa phrase sur les camions et les poupées en levant les yeux au ciel… Retailleau n’est ni vraiment conservateur ni complètement réac… Vaguement un peu des deux, il est surtout à la bourre et adepte de ce qu’il appelle «bon sens», cette notion idéologiquement molle, caractéristique des partis et mouvements politiques qui coulent.


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