mardi 20 septembre 2022

« Laisse quand même des affaires ici » : les parents en manque de leur grand

Ils ont tout fait pour aménager au mieux le premier studio de leur enfant parti faire ses études loin de chez eux. Et ils sont désormais envahis par la nostalgie devant son ancienne chambre laissée vide.

La rentrée étudiante de l’automne a une face cachée. Chaque étudiant qui part s’installer, c’est une chambre d’enfant qui se vide. Chaque chambre d’enfant qui se vide, ce sont des parents qui ne savent pas quoi faire de leur mélancolie. « Le départ de ma fille aînée m’a brisé le cœur. C’est supposé être naturel, cette horreur ? écrit Frédéric Beigbeder dans son dernier livre, Un barrage contre l’Atlantique (Grasset). Je ne laisserai personne dire que le départ d’un enfant adulte du foyer familial est autre chose qu’une catastrophe. »

Certains font les fiers, font mine de s’interroger sur cet espace vide à récupérer, se disent pas mécontents de ne plus avoir à faire à dîner, mais se sentent tout chose au moment où des papiers d’inscription leur demandent d’écrire l’adresse de leur enfant. Comment ça, ce n’est pas chez nous ?

A quoi on les reconnaît

Ils ont tenté de convaincre leurs rejetons qu’un Erasmus à Bruxelles, c’était bien plus intéressant qu’une année à Tokyo. Ils sont devenus incollables sur les différents quartiers de Reims, Dijon, Tours ou Strasbourg. La voiture pleine, ils ont fait l’aller en chantant et en parlant de choses dont ils n’avaient jamais parlé et le retour tout seul en rembobinant le film, se demandant ce qu’ils auraient fait différemment s’ils avaient su que tout ça irait si vite. Ils ont adoré le côté dînette des courses d’installation, comme si chaque objet serait une extension d’eux-mêmes quand leur enfant ouvrirait le placard. Ils ont acheté une râpe à fromage, un presse-citron et plein d’équipements dont leur enfant ne se servira jamais alors qu’eux, rentrés dans l’appartement vide, se nourrissent de fromage debout devant le frigo. Depuis la rentrée, quand ils font les courses, ils prennent machinalement des Danette ou des crêpes Whaou !, comme d’anciens fumeurs qui ramasseraient encore des boîtes d’allumettes, et les reposent dans le rayon après réflexion.

Dans la journée, ils vont de temps en temps dans la chambre de leur grand gamin parti et restent plantés là à regarder autour d’eux. Ils sont indignés par les tarifs des billets de train. Ils ne peuvent pas s’empêcher de comparer les conditions d’installation de leur petit avec les leurs trente ans plus tôt et ne savent pas bien quoi en déduire. Ils ont envie de raccrocher quand leurs amis leur disent que c’est dans l’ordre des choses ou que c’est une autre vie qui commence et ne savent pas quoi répondre à tous ces abrutis sadiques qui leur lancent : « Alors, vous allez vous retrouver tous les deux ? »

Comment ils parlent

« Je lui ai mis quelques trucs de la maison dans ses placards pour qu’il se sente chez lui… » « Ma fille est passée dîner. Ça faisait trois semaines que je n’avais pas touché à la cuisinière. »« Si on t’a pris un studio avec cuisine, c’est pas pour faire des Deliveroo. » « Moi, je n’avais pas d’eau chaude quand j’étais étudiante. » « En fait, c’est pas si cher un micro-ondes. »« L’Australie, t’es sûr ? Pour ton anglais, c’est pas génial, ils ont quand même un gros accent… » « Il y a un bon IUT à côté de la maison, ça t’économiserait un loyer. » « Laisse quand même des affaires ici… » « Je n’en suis pas non plus à renifler les oreillers. »« Si t’es pas bien, t’appelles. » « Jusqu’au bout, je serai une mauvaise mère, je ne suis même pas foutue de le laisser partir… »


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