lundi 26 septembre 2022

La France buissonnière : une rampe en Lego pour rouler sur le handicap

Frédéric Potet   Publié le 25 septembre 2022

A la rencontre de la France ordinaire. Le déambulateur d’Aurore Schroeder ne lui est d’aucune aide quand un obstacle se présente sur son chemin. S’inspirant d’une idée venue d’Allemagne, cette Sarthoise de 41 ans fait donc appel au don de briques colorées pour fabriquer des plans inclinés.

Un exemple de double rampe en Lego, construite en Allemagne, à l’initiative de Rita Ebel.


A Coulaines (Sarthe), Aurore Schroeder a lancé un appel au don afin de collecter des Lego. Des briques, des plaques, peu importe la couleur ou la taille, il lui en faut en quantité. Non pas pour construire un château fort ou un bateau de pirates, mais une rampe d’accès pour personnes à mobilité réduite (PMR). Attributaire de l’allocation adulte handicapé (AAH), cette mère isolée de 41 ans se déplace avec un déambulateur depuis un an en raison d’une fibromyalgie. Franchir la porte de son appartement est devenu « une galère », explique-t-elle : un seuil de deux centimètres de haut l’oblige à soulever son cadre sur roulettes pour entrer et sortir de chez elle. La manipulation s’avère encore plus délicate avec des sacs de course. Un plan incliné l’aiderait grandement. Autant le fabriquer soi-même. Grand avantage des Lego : les assembler ne nécessite aucune notion de bricolage.

L’idée ne vient pas d’elle, mais d’une sexagénaire allemande, Rita Ebel, victime d’un accident de la route il y a vingt-cinq ans. Lasse de ne pouvoir pénétrer avec son fauteuil roulant dans certaines boutiques de sa ville d’Hanau, dans le Land de Hesse, elle décide, en 2019, de confectionner elle-même des rampes PMR avec les célèbres petites briques de conception danoise – composées en polymère thermoplastique, qui leur confère une grande résistance aux chocs. « Mamie Lego », comme on l’appelle outre-Rhin, a fait, depuis, des émules un peu partout en Europe, à qui elle envoie gracieusement ses instructions de montage. Précision d’importance : assemblées avec le renfort de colles ultra-adhésives, ces rampes do-it-yourself ne répondent pas aux normes européennes ; elles ne peuvent être utilisées que dans un cadre privé, et non pour pallier les carences en accessibilité des établissements pouvant accueillir du public.

Miser sur la générosité

Comme le préconise Rita Ebel, Aurore Schroeder a choisi de miser sur la générosité pour récolter les centaines de briques miniatures dont elle a besoin. La disciple a accroché des affiches dans les commerces de Coulaines, créé un groupe Facebook présentant son projet et ouvert une cagnotte en ligne (destinée à financer notamment ses achats de colle). Elle a aussi pris contact avec des magasins de jouets et des grandes surfaces du Mans dans l’idée de récupérer des invendus – sans succès – ainsi qu’avec la branche française de Lego qui l’a renvoyée vers la fondation du groupe. Heureuse surprise : une dame prénommée Michèle lui a envoyé il y a une semaine deux boîtes neuves comprenant 1 000 briques chacune. De quoi fabriquer sa propre rampe, mais aussi en commencer d’autres.

Aurore Schroeder, à Coulaines (Sarthe), le 5 septembre 2022.

Aurore ne compte pas en rester là, en effet. Elle aimerait équiper de la sorte la « roulotte pour tous » du centre social de Coulaines, un véhicule utilitaire garni d’outils informatiques qui organise des animations dans les quartiers de la ville. Elle se dit prête, également, à monter des rampes en Lego pour les particuliers qui lui en feraient la demande. Atteinte de multiples pathologies depuis son enfance (épilepsie, dépression, surdité, diabète, perte de mémoire, etc.), Aurore n’a jamais travaillé. « Ce projet est pour moi un moyen d’entrer dans la vie active, à mon rythme, en produisant quelque chose qui me plaît et qui est utile », confie-t-elle.

Là n’est pas son coup d’essai. En 2008, Aurore Schroeder a perdu son fils Awen, mort à l’âge de 2 ans des suites d’une encéphalopathie. Elle a, depuis, créé une association baptisée « Le voyage d’Awen » consistant à faire circuler d’un foyer à l’autre, sur la base du volontariat, une poupée inclusive représentant un enfant atteint de trisomie 21 – à chaque famille qui l’accueille d’expérimenter le fameux « regard de l’autre » face au handicap.

Dans la même logique, elle publie sur Internet ses propres créations artistiques« Ce n’est pas parce que je suis handicapée que je n’ai pas le droit de m’exprimer », appuie-t-elle en faisant défiler un ensemble de portraits faits au feutre (Claude François, Pikachu…), de collages, de haïkus, de calendriers de l’avent. Une grosse cale en plastique bariolée devrait bientôt rejoindre son catalogue.



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