jeudi 29 septembre 2022

IVG médicamenteuse ou instrumentale : les femmes n’ont pas toujours le choix de la méthode


 



Par   Publié le 28 septembre 2022

En 2021, 76 % des interruptions volontaires de grossesse étaient réalisées sous forme médicamenteuse, un chiffre en progression pour une pratique parfois hors des délais recommandés par la Haute Autorité de santé.

Une jeune femme venue pour un avortement médicamenteux remplit la fiche de liaison nécessaire, au planning familial du 2e arrondissement de Paris, en septembre 2021.

A l’heure où le droit à l’IVG est menacé dans le monde, comme aux Etats-Unis, où la Cour suprême a annulé l’arrêt Roe vs Wade – qui garantissait le droit à l’avortement au niveau fédéral – a lieu, mercredi 28 septembre, la Journée internationale pour le droit à l’avortement. En France, les députés se pencheront, fin novembre, sur la proposition de loi de la majorité, visant à inscrire ce droit dans la Constitution. Mais, en dépit de récentes avancées, comme l’allongement du délai légal à quatorze semaines de grossesse, depuis la loi du 2 mars, des inégalités d’accès à l’IVG demeurent, selon le profil des femmes ou encore leur lieu de résidence. Moins connu, un autre enjeu fait débat : la préservation du choix de la méthode d’avortement. Un élément qui figure pourtant en préambule des recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de santé (HAS).

Mises à jour en 2021, dans un souci d’adaptation au contexte de crise sanitaire, les recommandations de la HAS préconisent la pratique de l’IVG médicamenteuse en établissement de santé comme en ville, jusqu’à neuf semaines d’aménorrhée. Après ce délai, la HAS recommande fortement aux praticiens d’avoir recours à une IVG instrumentale, jusqu’à seize semaines d’aménorrhée, soit quatorze semaines de grossesse.

Une IVG médicamenteuse débute avec la prise d’un premier médicament qui permet d’arrêter la grossesse : la mifépristone. Une seconde prise de médicament, le misoprostol, s’effectue trente-six à quarante-huit heures après la prise du premier. Il favorise les contractions et provoque l’expulsion de l’œuf. L’IVG instrumentale, technique chirurgicale qui nécessite une anesthésie et une brève hospitalisation, est, elle, pratiquée, jusqu’à présent, uniquement par les médecins – une expérimentation doit démarrer pour ouvrir cette pratique aux sages-femmes.

Aucune donnée globale n’existe, à l’échelle nationale, concernant le nombre d’IVG médicamenteuses après neuf semaines d’aménorrhée. Selon les dernières données de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), publiées mardi 27 septembre, 76 % du total des IVG pratiquées en 2021 étaient médicamenteuses, qu’elles soient réalisées en établissement de santé ou non. Ce chiffre s’élevait à seulement 31 % en 2001. Et 76 % des avortements médicamenteux réalisés à l’hôpital le sont à moins de huit semaines d’aménorrhée.

« Médecine un peu honteuse »

Cependant, Isabelle Derrendinger, présidente du conseil national de l’ordre des sages-femmes, fait un constat alarmant : « Si on croise les différentes données de la Drees, en plus de l’augmentation du nombre d’IVG médicamenteuses, il y a une augmentation du nombre d’IVG réalisées entre douze et quatorze semaines d’aménorrhée [un sur vingt en 2020]. Il y a donc une augmentation du nombre d’IVG médicamenteuses au-delà de neuf semaines d’aménorrhée, ce qui va à l’encontre des recommandations de la HAS. »

Et si pratiquer une IVG médicamenteuse au-delà de neuf semaines d’aménorrhée n’est pas illégal, « cela va à l’encontre des obligations déontologiques », rappelle la praticienne, qui milite pour le « libre choix de la méthode »« Les recommandations de la HAS sont faites pour être respectées. Elles ont été élaborées par des sociétés savantes, et construites par le biais du ministère des solidarités, en 2020 », rappelle Mme Derrendinger.

Les pratiques varient selon les lieux. Certains territoires, comme la Loire-Atlantique, restent en mesure d’offrir aux femmes le choix de la méthode, le département disposant de suffisamment de structures et personnels réservés à l’orthogénie. « Que l’IVG soit médicamenteuse ou instrumentale, la femme doit être au cœur de son choix, un choix éclairé en dehors des questions de budget », soutient la sage-femme nantaise Elise Audienne-Roy.

Ici, les femmes qui souhaitent avoir recours à une IVG « ont de la chance », affirme-t-elle, parce qu’elles ont le choix de la méthode. « En Loire-Atlantique, on est réglo, parce qu’on a de la place »,constate la praticienne. Selon elle, l’une des raisons pour lesquelles certains centres d’IVG boudent la méthode instrumentale réside dans la nécessité de disposer de blocs opératoires et d’anesthésistes. Dans un contexte de crise du système de santé, l’orthogénie demeure « la médecine un peu honteuse, et fait souvent l’objet de batailles budgétaires au sein des établissements de santé », explique la sage-femme.

Outre une question de coût, Chrystel Mathurin, la coprésidente de l’Association nationale des centres d’IVG et de contraception, montre du doigt la clause de conscience, qui permet aux praticiens de fixer leurs conditions, concernant les délais, pour pratiquer une IVG – et même de refuser d’en réaliser. « Dans certains établissements, si le seul médecin qui fait des IVG à quatorze semaines est en vacances, il faut quand même que l’IVG se fasse. Alors, les sages-femmes prescrivent du médicamenteux et tentent d’accompagner du mieux qu’elles peuvent », explique l’infirmière.

Un accompagnement adapté

En Alsace, un protocole spécifique au territoire, mis en place par l’ancien président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, Israël Nisand, défend au contraire l’usage de la méthode médicamenteuse tardive. Ici, « la méthode médicamenteuse est possible quel que soit l’âge de la grossesse, donc jusqu’à seize semaines d’aménorrhée », explique Geneviève Creutzmeyer, membre du réseau périnatal Naître en Alsace.

Israël Nisand revendique de pouvoir offrir le choix de la méthode« jusqu’au bout ». C’est d’abord son expérience dans la pratique des interruptions médicales de grossesse (IMG) – par exemple, lors de la détection d’une trisomie – qui a orienté le praticien vers ce protocole. Pour Chrystel Mathurin, de telles pratiques nécessitent un accompagnement adapté : « Lors des IMG, les femmes sont dans des salles de naissance et bénéficient d’un suivi. Lors d’une IVG, il faut impérativement que les femmes soient prévenues de ce qu’elles vont vivre, du produit de l’expulsion. » Ce qui n’est pas toujours le cas.

De son côté, Israël Nisand assure offrir un accompagnement efficace et défend le fait de « suivre une recommandation nationale du collège des gynécologues obstétriciens publiée en 2018. Celui-ci affirme qu’il n’y a aucune différence de risque entre la méthode médicamenteuse et instrumentale, peu importe le délai à laquelle l’IVG est pratiquée. »

S’il a été mis en place pour « garantir le choix de la méthode », ce protocole territorial divise les acteurs du système de santé. Caroline Combot, secrétaire générale de l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes, et ancienne sage-femme libérale en Meurthe-et-Moselle, département proche de l’Alsace, où certains praticiens se sont inspirés de ce protocole, tient un tout autre discours, au regard de son expérience. Selon elle, les deux méthodes n’étaient pas proposées : « On orientait systématiquement vers le médicamenteux, et certaines femmes ont été traumatisées. Certaines étaient satisfaites, mais des plus jeunes ne s’attendaient pas à des saignements aussi abondants. »


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