mardi 27 septembre 2022

Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? mise en scène d’Alain Françon, Théâtre de la Colline


 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Babouillec, Franco Beltrametti, Aloïse Corbaz, Samuel Daiber, Hernst Herbeck, Jacqueline, Lotte Morin, Jego Hestz, Jules Pages, Marguerite Pillonel, Justine Python, Romain, Jeanne Tripier, Adolf Wölfli et quelques anonymes. Ajoutons, approchaient-ils de la folie, Emily Dickinson, Henri Michaux et Robert Walser ? Fous donc, ou considérés comme tels, autistes parfois, inconnus dont les écrits, les lettres, les suppliques adressés pour qu’on ne les oublie pas sont restés obstinément dans les tiroirs. Des écrits bruts pour dénoncer la brutalité d’un monde qui les privait de liberté, l’internement à leurs yeux incompréhensible. « (…) Je suis normal, il aurait fallu le réalisater… Je ne veux pas qu’on me rature de la circulatute. Je ne veux pas qu’on m’orpheline (…) » Il y a là une urgence dramatique à dire, à pousser son cri, dans une écriture en marge, affranchit du langage poétique académique. La marge des fous, celle sublime et sans filtre qui hurle l’amour comme la rage dans une liberté absolue et qui bouscule cul par-dessus tête toute convention littéraire. C’est une invention du langage pure qui ne cherchait pas, ce langage, à être inventé. C’est du brut de coffre, parole éruptive, spermatique, jaillit d’une conscience chamboulée, le miroir exact d’une pensée en souffrance, d’un profond désespoir, d’une sexualité inassouvie, le sentiment d’un incompréhensible malentendu, d’une injustice, de rêve et cauchemars, que l’écriture libère, en ce sens qu’elle les rend, eux les internés, libres enfin. C’est exprimer une réalité à l’aune de leur propre vision du monde. Ce sont les voyants rimbaldiens. Pas pour rien que des poètes, assermentés et labellisés, s’en sont inspirés, les ont plagiés. Mais là où il y a réinvention, chez ceux-là, les fous, il n’y a qu’une vérité brûlante, l’écriture comme un cœur battant, une pulsion de vie. C’est de l’art brut, d’une innocence non frelatée.

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