mercredi 28 septembre 2022

Documentaire «Poulet frites», chapon bas

par Lelo Jimmy Batista   publié le 28 septembre 2022

Dernière «Strip-teaserie» de Jean Libon et Yves Hinant, le documentaire qui suit une enquête de police évite les écueils de son prédécesseur «Ni juge, ni soumise» et porte un regard triste et tendre sur ses personnages.

Le documentaire franco-belge Ni juge, ni soumise (2017) avait marqué le stade d’évolution terminal du style Strip-tease – émission culte de la RTBF fondée au mitan des années 80 par Jean Libon et Marco Lamensch. Aberrant, tellement saturé de répliques et situations grotesques qu’il en devenait épuisant, voire franchement agaçant. Le film, qui suivait la très colorée juge d’instruction Anne Gruwez, avait connu une exploitation très remarquée en salles et raflé en 2019 le césar et le magritte du meilleur documentaire. Alors forcément, quand débarque aujourd’hui Poulet fritesnouvelle strip-teaserie signée Jean Libon et Yves Hinant, on se méfie. Dans un contexte plus tellement favorable au voyeurisme hardcore de l’émission, on craint le film de trop, au mieux décevant, au pire balourd, qui souffrira quoi qu’il arrive de la comparaison avec son prédécesseur – dont l’héroïne est ici de nouveau présente, dans un rôle plus secondaire. Les premières images confirment d’ailleurs cette inquiétude : noir et blanc baveux, montage chaotique, à la limite du lisible, accents imbitables, répliques ubuesques.

Et puis, tout à coup, quelque chose prend forme et ne vous lâche plus, autour du commissaire Jean-Michel Lemoine, genre d’Elliott Gould clopinant, veste en cuir, sourire gercé, modus operandi columbesque – l’impression de perpétuellement patauger mais capable à chaque instant de bouleverser l’enquête. Celle du meurtre d’une jeune femme égorgée avec un couteau à pain dans un appartement d’une rue sordide de Bruxelles. Le principal suspect – Alain Martens, genre de Pierre Bachelet mort-vivant, à peine 40 ans et déjà la moitié passée en prison – est mis en cause pour une histoire de frites qu’on a retrouvées dans le bol alimentaire de la victime après autopsie. S’ensuit une enquête à la fois horriblement banale et férocement trépidante où le commissaire Lemoine et ses hommes vont aller jusqu’au bout du mystère


Loin de la gaudriole qu’on pourrait attendre face à un pitch aussi insensé, Poulet frites réussit à convaincre en jouant la carte de l’understatement – autrement dit, celle d’une affaire qui révèle des couches toujours plus ahurissantes mais avance avec tranquillité et componction, tel un jeu de pistes mené en chaussons avec une tasse de café à la main par un type tout juste sorti du lit. On évite ainsi le côté théâtral et les flirts avec le mauvais goût pour rester au plus près de l’anodin, du tangible, en tirer le meilleur parti (la scène où Lemoine passe des coups de fil pour avoir deux policiers en uniforme sur une perquisition) et s’installer progressivement dans quelque chose qui ressemble davantage à de la mélancolie, à un regard à la fois triste, tendre et accablé sur le monde, sans hauteur, avec une compassion à peine amusée. Laquelle est concentrée presque tout entière dans le suspect numéro 1, ce Martens aux phrases heurtées, au visage décharné. Un personnage furieusement pathétique, à la limite du spectre, somme de tous les pauvres types exposés par Strip-tease depuis 1985, revenu dans ce film épatant pour tous les évoquer, tous les venger.

Poulet frites de Jean Libon et Yves Hinant, avec Jean-Michel Lemoine, Anne Gruwez… 1 h 40


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