mercredi 21 septembre 2022

A New York, les résultats catastrophiques des écoles juives hassidiques

Par   Publié le 21 septembre 2022

Des journalistes du « New York Times » ont révélé les résultats désastreux des établissements confessionnels de garçons à un test d’évaluation en mathématiques et en anglais.

Un passant, juif hassidique, marche devant une synagogue de Brooklyn, le 9 octobre 2020.

L’enquête a pris plus d’un an, les journalistes du New York Times (NYT) Eliza Shapiro et Brian Rosenthal ont mené plus de 275 entretiens, mais ils ont fini par s’attaquer à un immense tabou, les écoles juives hassidiques de New York. Cette communauté ultraorthodoxe de 200 000 membres, soit 10 % de la population juive de l’Etat, vit en vase clos dans certains quartiers de Brooklyn et dans la vallée de l’Hudson.

Et les résultats des écoles de garçons, plus d’une centaine scolarisant 50 000 élèves, sont catastrophiques. Le chiffre est tombé en 2019, lorsque certains établissements ont accepté de faire passer un test d’évaluation en mathématiques et en anglais à leurs élèves, notamment pour obtenir des financements publics : 99 % ont échoué, révèle le NYT.

Dans le « making of » de leur article, publié le 11 septembre, Shapiro et Rosenthal expliquent que les élèves, dans les autres écoles confessionnelles privées, ont un taux de succès moyen équivalent à celui du public (49 %, alors qu’elles accueillent des élèves très défavorisés) : 55 % dans les écoles catholiques, 71 % chez les orthodoxes, 57 % dans les établissements islamiques, 36 % chez les adventistes du septième jour. Du côté des filles de la communauté juive hassidique, le taux d’échec au test a atteint 80 %.

« Quand j’avais 15 ans, je parlais à peine anglais »

« Mais là où d’autres écoles pourraient avoir du mal à cause d’un sous-financement ou d’une mauvaise gestion, ces écoles sont différentes. Elles échouent à cause de leur concept », accuse le NYT. L’enseignement dans ces écoles privées est centré sur la religion, il dure l’essentiel de la journée, six jours par semaine sauf le samedi. Et lorsque arrive l’heure et demie consacrée aux mathématiques et à l’anglais – il n’y a quasiment pas de cours d’histoire ni de sciences –, il est souvent déjà tard dans l’après-midi ; les professeurs n’y prêtent guère attention d’autant qu’apprendre l’anglais, c’est permettre aux enfants de quitter plus tard la communauté. Chaim Fischman, 24 ans, a ainsi témoigné dans le NYT : « Je suis la troisième génération née et ayant grandi à New York. Et pourtant, quand j’avais 15 ans, je parlais à peine anglais. »

Mais, précise le NYT« pour de nombreux hassidiques, leurs écoles réussissent, mais pas selon les normes établies par le monde extérieur. Dans une communauté qui place la religion au centre de la vie quotidienne, l’éducation laïque est souvent considérée comme inutile, voire déconcentrante ».

Les professeurs sont souvent mal payés – parfois 15 dollars (15 euros) de l’heure –, parlent mal l’anglais, dans une communauté qui est l’une des plus pauvres de New York. Les écoles hassidiques ont reçu plus de 1 milliard de dollars d’aides publiques depuis quatre ans, écrit le NYT. Toutefois, elles perçoivent « beaucoup moins par élève que les écoles publiques », précise le quotidien, mais plus que les autres écoles privées. Manifestement, une partie de l’écart s’explique par la pauvreté de la communauté hassidique.

Dans un pays où le premier amendement de la Constitution et la liberté religieuse donnent des droits considérables, personne ne s’est vraiment occupé du sujet. « Les autorités n’ont pris aucune autre mesure majeure au cours de la dernière décennie, écrit Brian Rosenthal. Une des raisons pour lesquelles les responsables de l’Etat de New York n’ont pas fait plus est que les dirigeants hassidiques ont beaucoup de pouvoir politique. Nombre d’entre eux poussent leurs partisans à voter en bloc, et ils votent en grand nombre. Les rabbins ont également fait de la résistance à l’intervention du gouvernement dans les écoles leur priorité politique centrale. »

Soupçons de châtiments corporels

Bill de Blasio, l’ancien maire démocrate de New York, avait eu de nombreuses difficultés avec la communauté hassidique, notamment lorsqu’elle avait été victime d’une épidémie de rougeole accentuée par le refus du vaccin. A la suite de plaintes d’anciens élèves ou d’enseignants, il avait lancé en 2015 une enquête sur les écoles. « Sans le Covid, nous aurions terminé l’enquête, engagé avec les écoles volontaires un plan d’action correctif et exhorté l’Etat à sanctionner celles qui ne réagissaient pas, a déclaré au NYT Bill de Blasio, faisant référence à quelques établissements n’ayant pas autorisé les inspecteurs de la ville à entrer dans leurs bâtiments. Et c’est ce qui doit arriver maintenant. »

Son successeur à la mairie, Eric Adams, lui aussi démocrate, s’était fait filmer pendant sa campagne électorale dans une école hassidique dont il vantait les mérites. Il a prétendu ne pas se soucier de l’enquête du NYT : « Je ne vais pas lire un article, je veux une enquête approfondie. Je veux une enquête indépendante et c’est ce que la ville a à faire. Et nous allons regarder cela. »

Une partie des élus new-yorkais a réagi à l’enquête. Pour Jerrold Nadler, représentant démocrate de New York et lui-même élevé dans une école hassidique, « le gouvernement a pour devoir primordial de s’assurer que tous les enfants, qu’ils soient dans des écoles publiques, privées ou confessionnelles, aient une éducation de qualité ».

Mais Benine Hamdan, candidate républicaine à Brooklyn, s’oppose à l’intervention de l’Etat : « Pendant que les écoles publiques enseignent la théorie critique de la race et la sexualité, les écoles hassidiques devraient avoir le droit d’enseigner le judaïsme », explique-t-elle au NYT. Un des leaders du quartier hassidique de Brooklyn, David Schwarz, a vivement contesté l’enquête du quotidien, qui fait notamment part de châtiments corporels infligés aux enfants. « Moi et ma communauté – des dizaines de milliers de parents et d’éducateurs –, nous sommes dépeints de manière injuste du fait de quelques-uns. »


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