mercredi 24 août 2022

Témoignages Contraception masculine : les femmes hésitent à laisser les hommes prendre la main

par Virginie Ballet   publié le 23 août 2022 

Si certaines voient d’un bon œil le partage de la charge mentale liée à la contraception, qui repose quasi exclusivement sur les femmes, d’autres refusent de déléguer le contrôle de leur fertilité.

Dans un appel, Libération demande aux pouvoirs publics et aux laboratoires de développer de vraies solutions pour que la contraception soit autant une affaire d’hommes que de femmes. Pour soutenir cet appel, signez la pétition sur Change.org et relayez la sur les réseaux sociaux avec le hashtag #ContraceptonsNous

Si elle souhaite témoigner, c’est pour les générations futures. A commencer par celle de ses deux enfants, une fille et un garçon. «A mon âge, je ne suis presque plus concernée», sourit Gisèle (1). A 44 ans, cette ingénieure établie à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) se dit «en colère». «Une colère sourde, sur beaucoup d’injustices faites aux femmes, dans beaucoup de domaines». Et la contraception en fait partie, estime la quadragénaire. Il y a quatre ans, Gisèle a dû faire face à une grossesse non désirée, après un «accident lié à un défaut de contraception». En l’occurrence, un rapport sans préservatif.

«Aujourd’hui, j’aimerais que nous les femmes, on puisse se déculpabiliser des accidents qu’on a pu vivre. Et que la contraception masculine se développe, parce que ça responsabiliserait les hommes sur les conséquences de relations sexuelles non protégées. Trop souvent, il n’y a tout bonnement pas de réflexion de leur part, comme si ça n’était pas un sujet !», s’agace Gisèle. Si elle observe une évolution chez les 20-30 ans qui gravitent dans son entourage, elle n’en a pas moins oublié le poids de cette charge mentale qui lui a déjà pesé, comme à beaucoup de femmes, et qui, appliqué à la santé sexuelle et reproductive, est parfois qualifié de «charge sexuelle». Soit le fait de laisser reposer sur les épaules des femmes toutes les préoccupations liées à la sexualité.

«Petite étude de marché»

Chez Rose (1), vendeuse strasbourgeoise de 23 ans, penser à sa pilule à heure fixe était carrément devenu «une source d’angoisse», d’autant plus qu’elle travaille en horaires décalés, ce qui complique la régularité des prises. Alors, à l’occasion du premier confinement, Rose et son copain, avec qui elle est en union libre, ont essayé successivement l’anneau contraceptif puis le slip chauffant, après avoir mené «une petite étude de marché» et commandé les produits sur des sites spécialisés. Déjà une petite croisade. «Mais les analyses de contrôle ont révélé qu’il produisait toujours trop de spermatozoïdes.» Vu le peu de méthodes disponibles, les amoureux ont assez vite fait le tour des possibles, ce qui a «frustré» Rose. «Mettre au point une pilule pour hommes pourrait être une bonne chose pour les couples stables : plus on a le choix, plus on a des chances de trouver quelque chose qui nous convient», espère-t-elle.

Développer la recherche en matière de contraception masculine pourrait-il alléger la charge qui pèse sur les femmes ? La question laisse Lisa (1) «dubitative» : même si elle dit ressentir une part d’«enthousiasme», la jeune Parisienne de 32 ans se demande, notamment au vu de son expérience personnelle, si «les hommes seraient prêts à s’en saisir». Après la naissance de son enfant il y a deux ans, Lisa, qui ne souhaitait ni reprendre la pilule, ni opter pour un stérilet, a évoqué auprès de son mari la possibilité d’une vasectomie«Et alors là, qu’est-ce que je n’avais pas dit ! Pour lui, c’était comme s’il était un animal qu’on envoyait chez le vétérinaire pour se faire stériliser, signe de l’ampleur des freins psychologiques et sociaux qu’il reste à lever, alors même que mon mari est plutôt progressiste», se souvient-elle.

Mais pour certaines femmes, il n’est tout bonnement pas question de déléguer ce contrôle crucial de leur fertilité. «Est-ce qu’on n’aura pas toujours une forme de charge mentale, dans la mesure où c’est toujours notre corps qui prendra en cas d’échec ?», s’interroge ainsi Lisa. Maria, 26 ans, a quant à elle un point de vue bien plus tranché : «A titre personnel, je ne serai jamais tranquille en sachant que c’est lui qui s’en occupe : j’ai une alarme chaque soir pour penser à ma pilule, et 15 minutes avant je commence à surveiller ma montre. Peut-être que je suis un peu rigide, mais au moins je suis tranquille !»évacue-t-elle.

«Les mentalités ont évolué plus vite que la technique»

Cette réticence, la journaliste Sabrina Debusquat, autrice d’ouvrages sur la contraception (2), l’a aussi observée au cours des conférences qu’elle a données sur le sujet. A l’assistance, très majoritairement féminine, elle demandait parfois comment serait accueilli un mode de contraception masculine «rapide et simple». Bilan ? «Je me souviens qu’une fois, en 2018, sur environ 200 participantes, 50 à 70 % ne se disaient pas prêtes à déléguer, ou alors très ponctuellement, après une grossesse par exemple», estime-t-elle. «Aujourd’hui, je sens frémir de nouvelles choses. Mais les mentalités ont évolué plus vite que la technique, ce qui génère de l’impatience voire de la colère chez celles qui en ont marre de tout prendre sur elles», souligne la journaliste. Sans vouloir «hiérarchiser les luttes», Sabrina Debusquat a tout de même à cœur de rappeler que nombre de femmes subissent encore d’importants effets indésirables dus à leur contraception. Ce qui lui inspire une requête : «J’aimerais qu’on déploie la même énergie, le même enthousiasme autour de cette question que sur la contraception masculine».

(1) Ces prénoms ont été modifiés
(2) J’arrête la pilule, éd. Les Liens qui libèrent, 2017, et Marre de souffrir pour ma contraception ed. Les Liens qui libèrent, 2019.

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