vendredi 5 août 2022

PMA pour toutes : un an et déjà la crise de croissance

par Virginie Ballet  publié le 1er août 2022

Un an après la promulgation de la loi ouvrant l’accès à la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes seules, la demande a explosé, entraînant d’importants délais, des difficultés d’adaptation, et, parfois, quelques déconvenues pour les concernées.

De l’aveu même de l’Agence de biomédecine, c’est une loi qui a «déjoué tous les pronostics, à de multiples égards». Adoptée le 29 juin 2021, et promulguée il y a un an jour pour jour, le 2 août, la dernière loi de bioéthique a ouvert l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de lesbiennes et aux femmes seules. Depuis son entrée en vigueur à la parution des décrets gouvernementaux, le 29 septembre 2021, le moins que l’on puisse dire, c’est que ces nouveaux publics se sont largement saisis de ce nouveau droit. Première surprise : en majorité, ce sont plutôt des femmes seules (dans 53 % des cas, contre 47 % pour les couples) qui se sont manifestées. «Elles étaient davantage invisibilisées que les couples lesbiens, mais l’attente était aussi très forte chez elles», analyse Bénédicte Blanchet, coprésidente de l’association Mam’en solo. Loin d’un bilan tout rose, elle souligne au contraire «l’amertume et la colère» qui règne chez certaines de ses adhérentes, «qui se sont entendu dire qu’elles n’étaient pas dans les critères, car trop jeunes, alors que la loi ne précise pas de borne d’âge minimal, ou ont été victimes de questionnaires discriminants.»

Au total, selon le Comité national de suivi de la mise en œuvre de cette loi, à la mi-mai, 11 926 nouvelles demandes de première consultation PMA avaient été enregistrées, pour 4 862 consultations réalisées, quand l’étude d’impact du gouvernement avait anticipé entre 2 000 et 3 000 nouvelles demandes pour cette première année… «Ces estimations étaient basées sur le nombre de femmes effectuant des parcours de PMA à l’étranger. La vague à laquelle on assiste, et pour laquelle on n’observe pour l’heure pas de décrue, démontre à quel point ce texte répond manifestement à des attentes sociétales très fortes», analyse Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l’Agence de biomédecine. Ce qui entraîne, reconnaît-elle, un «enjeu d’adaptation considérable pour les centres de dons de gamètes», afin de répondre à cet afflux de demandes.

Déjà 185 donneurs en 2022

Principale crainte : une pénurie de spermatozoïdes. L’Agence de biomédecine se veut rassurante, arguant d’un «nombre record» de donneurs enregistrés en 2021, fruit de campagnes d’appel aux dons : près de 600 hommes ont fait don de leurs gamètes. «Le plus haut niveau jamais atteint : ils étaient 404 en 2017», se félicite Emmanuelle Cortot-Boucher. A titre de comparaison, en 2019, 317 hommes avaient fait la démarche, pour 1 396 enfants nés d’une PMA, à l’époque uniquement accessible aux couples hétérosexuels. Pour l’année 2022, ce sont déjà 185 donneurs qui se sont manifestés, donnant lieu selon Emmanuelle Cortot-Boucher, à des «projections rassurantes» pour la suite. «Les données demeurent toutefois variables en fonction des régions : certaines ne constatent pas cet afflux de candidatures», nuance la professeure Catherine Guillemain, présidente de la Fédération des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos).

C’est par exemple le cas à Lille, où les services d’aide médicale à la procréation font face un «tsunami» de demandes depuis l’adoption de la loi, selon les termes de Bérangère Ducrocq-Caux, directrice du Cecos du Nord. Là, les demandes ont été multipliées par dix, passant de 120 nouvelles inscriptions par an en moyenne à 1 100 entre l’été 2021 et juin dernier. «Logiquement, il faudrait dix fois plus de donneurs. Or, leur nombre a seulement doublé. Pour l’heure, on a des stocks, mais sans nouveaux donneurs, on ne va pas y arriver», alerte-t-elle.

«Pochette-surprise»

D’autant qu’il reste une inconnue, et de taille : l’entrée en vigueur du droit d’accès aux origines, prévue le 1er septembre prochain. Dès lors, toute personne donnant ses gamètes devra consentir à ce que les enfants ainsi conçus puissent contacter, à leur majorité, une commission dédiée, placée sous l’égide du ministère de la Santé, pour accéder à des données identifiantes et non identifiantes (par exemple, des caractéristiques physiques ou l’âge) sur elle. Pour les enfants nés avant la promulgation de la loi, il sera possible de prendre attache avec cette commission, qui se chargera de contacter le donneur, pour voir s’il consent à fournir ces informations ou non. «Il reste pas mal de questions en suspens : est-ce que tous les dossiers de donneurs ont pu être conservés, malgré les déménagements, les incendies ou les inondations ? Est-ce que certains, datant d’avant la première loi de bioéthique, en 1994, n’ont pas tout bonnement été détruits ? Et si le donneur est introuvable, est-ce que la commission expliquera pourquoi aux demandeurs ?»égrène Alexandre Mercier, président de l’association Procréation médicalement anonyme, qui pointe le risque d’une «pochette-surprise», pour ceux qui, comme lui, sont nés d’un don bien avant le passage de la loi. «Tout le travail de la commission sera d’effectuer des investigations pour retrouver ces donneurs. En principe, les centres de dons devaient conserver les dossiers, notamment en cas de nécessité médicale», veut rassurer Emmanuelle Cortot-Boucher.

Pour elle, à ce stade, «les facteurs limitants aujourd’hui [pour l’accès à la PMA, ndlr] ne sont pas le stock de paillettes, qui nous permet d’être autosuffisants». Dès lors, comment expliquer l’important délai avant de pouvoir être pris en charge pour une PMA avec don de spermatozoïdes ? A ce jour, il faut compter en moyenne 14,8 mois, selon le Comité de suivi de la mise en œuvre de la loi, qui a établi cette moyenne sur la base des données des 27 centres habilités en France. «On constate des disparités énormes sur le territoire : à certains endroits, il faut moins de six mois pour avoir un rendez-vous, et à d’autres, des femmes ayant appelé en juin se sont vu proposer un créneau en novembre 2023», détaille Céline Cester, présidente de l’association les Enfants d’arc-en-ciel, qui accompagne les femmes dans leurs démarches et impute cette interminable attente à un manque de moyens.

Jongler entre impatience et contraintes

Le gouvernement ne dit pas autre chose : dès septembre 2021, l’ancien ministre de la Santé Olivier Véran avait fixé un objectif de parvenir à un délai de six mois maximum et débloqué pour cela 8 millions d’euros de crédit supplémentaires, pour financer les moyens humains et matériels nécessaires dans les centres, en manque d’effectifs en matière de secrétariat pour la prise de rendez-vous, médecine, psychologie ou encore assistanat social. En mars, rebelote, avec le lancement d’un plan d’action ministériel sur «la procréation, l’embryologie et la génétique humaines» pour 2022-2026. «5,5 millions d’euros supplémentaires ont été débloqués au printemps pour accompagner les centres. La somme pourrait être complétée ensuite, selon les résultats des enquêtes de terrain», avance Emmanuelle Cortot-Boucher.

En attendant, les professionnels de la PMA sont contraints de s’adapter tant bien que mal, en jonglant entre l’impatience de cette nouvelle patientèle et leurs contraintes. Au CHRU de Nancy, comme ailleurs, l’attente a été palpable dès l’entrée en vigueur de la loi : en moins d’un an, ce sont plus de 300 demandes qui ont afflué de ces nouveaux publics, que les professionnels ont tenu à pouvoir accompagner au plus vite. «Avant même la publication des décrets, tout était prêt pour pouvoir faire la bascule tout de suite, des procédés à l’informatique, en passant par la mise à jour des formulaires. On avait perdu assez de temps avec les deux ans de tergiversations sur la loi, et on était déjà bien assez en retard par rapport à nos voisins. Il n’était pas question d’être responsable d’un jour de plus», se souvient le docteur Mikaël Agopiantz, responsable du centre d’aide médicale à la procréation. Là aussi, plusieurs embauches ont eu lieu, grâce aux crédits débloqués par le ministère de la Santé, et les rendez-vous médicaux ont été optimisés, notamment en proposant des entretiens psychologiques en visio ou en regroupant certaines prises en charge pour éviter de multiplier les déplacements.

«Ce délai, personne ne peut s’en satisfaire»

Mais il n’empêche : il faut toujours compter un peu moins d’un an avant de parvenir à une première tentative. «Ce délai, personne ne peut s’en satisfaire, et d’autant moins qu’on ne voit cela dans aucun autre pays occidental», déplore Mikaël Agopiantz, qui prône une remise à plat du système de don de gamètes à la française, qui pourrait passer selon lui par un dédommagement des donneurs – comme cela se fait en Espagne ou au Danemark – ou la délivrance d’autorisations très encadrées à des centres de dons privés. «Il faut rompre avec le schéma des Cecos, qui date de 1973, et n’est plus valable aujourd’hui. Ce qui importe désormais, c’est de mettre en adéquation l’offre et la demande : plus vous augmentez le nombre de centres, plus vous recruterez des donneurs», abonde le professeur Samir Hamamah, chef de l’unité de biologie de la reproduction du CHU de Montpellier, et auteur d’un rapport remis au gouvernement sur l’infertilité.

Balayant la crainte souvent avancée d’une dérive mercantile en cas d’ouverture au privé, ce spécialiste suggère de «rédiger un cahier des charges et de border la question de la tarification. Quiconque répondra à ces critères pourrait être autorisé à exercer, ce qui permettrait aussi d’améliorer le maillage territorial». «Personne n’aurait pu anticiper l’ampleur de la demande, les centres privés pas plus que les autres. Il faut aussi penser que quand bien même ils auraient des autorisations, il leur faut du temps pour se constituer un stock de gamètes», tranche la docteure Catherine Guillemain, de la fédération des Cecos. Pour l’heure, selon le Comité de suivi de l’Agence de biomédecine, ce sont à peine une petite soixantaine de tentatives d’aide médicales à la procréation qui ont été recensées en France depuis l’adoption de la loi. Les premiers bébés, eux, ne sont pas nés avant la fin du précédent quinquennat, comme on le promettait pourtant Rue de Ségur.


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