vendredi 5 août 2022

Interview Jen Gunter : «La ménopause n’est pas un prélude à la mort mais une étape de la vie»

par Katia Dansoko Touré et photo Talia Herman.  publié le 31 juillet 2022 

Gynécologue obstétricienne américano-canadienne et militante féministe, Jen Gunter est l’autrice de «Ménopause Manifesto», un essai de quelque 400 pages qui lève notamment les tabous et déconstruit les mythes autour de ce qu’elle définit comme une «aventure existentielle».

«Il n’y a pas de démarche plus féministe que de parler à voix haute du corps ménopausé dans une société patriarcale», pose la gynécologue et obstétricienne américano-canadienne Jen Gunter dans Ménopause Manifesto (1). Dans nos sociétés occidentales, dit-elle, la ménopause (terme inventé par le médecin français Charles-Paul-Louis de Gardanne en 1816) est perçue comme la période de «l’âge critique», voire carrément qualifiée de «petite mort». Rappelons que ce phénomène concerne – généralement, mais il peut advenir plus tôt – les femmes âgées de 45 à 55 ans et correspond à l’arrêt de la fabrication d’œstrogènes (hormones féminines) par les ovaires. Il provoque l’arrêt des règles mensuelles et s’accompagne de troubles comme les bouffées de chaleur, la sécheresse vaginale ou les sautes d’humeur.

Jen Gunter, 55 ans, dédie son militantisme à la santé sexuelle et reproductive féminine depuis dix ans. Suivie par près de 400 000 personnes sur Twitter, blogueuse, chroniqueuse pour le New York Times, autrice en 2019 de la Bible du vagin, best-seller outre-Atlantique, cette native de Winnipeg (Canada) entend libérer la parole autour de la ménopause : en finir avec les mythes, les préjugés et les silences. Elle dénonce «l’aura de honte» qui entoure cette étape majeure dans la vie des femmes et qui est, estime-t-elle, exacerbée par un milieu médical misogyne. Entre éléments historiques, conseils sur la prise d’hormones, discours sur la sexualité et diverses théories, elle nous entraîne à la découverte d’un phénomène physiologique qui, plus qu’un aboutissement, est, à l’instar de la puberté, un (re)commencement. Interview, en visio.

Votre manifeste appelle à une «ménopause éclairée». Des médiums comme les réseaux sociaux, les podcasts ou les essais féministes n’y participent-ils pas ?

En 2019, à l’époque où a été publié la Bible du vagin, les discours sur la sexualité féminine, tant au plan du désir que du plaisir, ou sur la santé reproductive des femmes, n’étaient pas tellement présents dans la sphère médiatique. Facebook et Twitter avaient même censuré le mot «vagin» de toutes les publications promouvant mon livre. Je dois admettre que, dans le sillage de la vague #MeToo, la parole s’est quelque peu libérée sur ces questions au cours de ces quatre dernières années. Peut-être grâce au rôle grandissant des médiums que vous citez. Mais je trouve que l’on n’y parle pas encore assez de ménopause… De plus, la désinformation y circule allègrement. Avec ce manifeste, je veux que les femmes, toutes générations confondues, comprennent que la ménopause est une transition, une période qui s’étale dans le temps et qui comprend plusieurs phases, de la préménopause à la postménopause. Et cela, au même titre que la puberté. Ado, une fois que vous avez vos règles, les changements physiques ne s’arrêtent pas là, n’est-ce pas ? Et ces changements, que l’on parle de puberté ou de ménopause, ne sont pas forcément agréables. Entre l’acné, les règles douloureuses, la dépression, les bouffées de chaleur, les désordres hormonaux, on passe par plusieurs phases qui indiquent que nous continuons à grandir. Même à 50 ans. C’est pour toutes ces raisons qu’il faut une «culture de la ménopause».

Vous dites que les travaux médicaux autour de la ménopause, depuis ceux du médecin français Jean Liébault en 1582, sont des plus patriarcaux, misogynes voire «pauvres en médecine»?

Fonder la définition de la moitié de l’existence d’une femme sur ses seules fonctions utérines et ovariennes, c’est de la misogynie pure et simple. Le regard négatif sur la ménopause rime avec le mépris qui a toujours prévalu sur le corps des femmes. La naissance de la médecine occidentale est fondée sur l’idée que le corps des femmes est inférieur à celui des hommes. Ce biais, vous le retrouvez dans la civilisation grecque, la Rome antique, et toutes les époques qui suivent. De vieilles croyances médicales concernant les femmes ont disparu, comme celle de la théorie des humeurs [dans la Grèce antique, la médecine hippocratique considérait que le déséquilibre entre air, feu, eau et terre constituant le corps féminin, censé être humide et spongieux, était la cause des sautes d’humeurs, ndlr] mais l’idée de l’infériorité du corps de la femme persiste. Et cela malgré des médecins avant-gardistes, comme le Britannique Edward Tilt, qui, au XIXe siècle, a réfuté des conclusions médicales ridicules. Mais les principales concernées n’avaient pas droit à la parole [les femmes ont, pendant des siècles, été exclues des enseignements à la médecine dans plusieurs pays d’Europe comme l’Angleterre ou la France jusqu’au XIXe siècle environ]. De même, on pourrait trouver salvateur le fait que dans certaines sociétés helléniques, les femmes ménopausées devenaient des prêtresses auxquelles on prêtait une seconde virginité. Mais cela revient à dire qu’avant cela, elles étaient impures, souillées. La femme, l’éternelle pécheresse…

Vous allez jusqu’à parler de «mansplaining médical»

Pendant longtemps, ce sont les hommes qui finançaient et menaient les recherches médicales. Les études, que ce soit sur le diabète, sur les maladies cardiovasculaires ou même sur l’insuffisance rénale, leur étaient réservées. Du coup, jusqu’aux années 90, aux Etats-Unis, on se retrouvait avec des conclusions concernant les hommes appliquées également aux femmes alors que ce sont deux physiologies différentes. Les femmes ont dû se battre pour être prises en compte. Mais encore aujourd’hui, la majorité des innovations et besoins médicaux s’adressent principalement à la gent masculine et les chercheuses en gynécologie ou obstétrique restent minoritaires. Par exemple, une crise cardiaque est mieux prise en charge chez l’homme que chez la femme. Comme le démontrent de nombreuses études, cette dernière peut, contrairement à un homme, être victime d’un infarctus silencieux. Ça n’est pourtant pas pris en compte.

Vous prônez une prise en charge «holistique». Qu’entendez-vous par là ?

Je veux dire que pour traiter les troubles de la ménopause, il ne suffit pas de prescrire des hormones à tout va. La prise en charge holistique signifie que la patiente est traitée tant au plan physiologique que psychologique : on va prendre en compte ses symptômes physiques mais aussi son environnement. Le stress, la qualité du sommeil, les soins corporels, les rapports aux autres, la santé mentale… Tous ces éléments sont importants. Après, comme bien des concepts, le holisme est de plus en plus galvaudé. Mais je maintiens que cette approche est nécessaire pour aider les femmes ménopausées.

Vous écrivez que le stress provoqué par des agressions physiques ou affectives dans l’enfance influe sur les troubles de la ménopause. D’où vient ce constat ?

Des travaux assez récents démontrent qu’une enfance compliquée a, à long terme, des conséquences sur la santé physique de l’individu concerné. Cela est dû à l’activation chronique de ce que l’on appelle le «stress toxique». Etre abusé sexuellement, grandir dans une extrême pauvreté ou avoir un parent en prison… Cela joue sur la santé de l’adulte que l’on est amené à devenir. Et parmi ces recherches, certaines prouvent, par exemple, que ce stress toxique peut être en lien avec l’arrivée prématurée de la ménopause, au cours de la trentaine.

Vous dites aussi que l’industrie pharmaceutique contribue à renforcer les clichés qui lestent la ménopause…

Pour vendre, l’industrie pharmaceutique a besoin que la femme ménopausée soit représentée comme vieille, déficiente et indésirable. La ménopause est assimilée à une catastrophe, à la fin de la sexualité, à la fin de la vie. Or, la ménopause n’est pas un prélude à la mort mais une étape de l’existence. Et puis, on nous vend l’œstrogène comme une fontaine de jouvence. Comme si, pour continuer à pouvoir séduire les hommes, c’était la chose essentielle. Or, le taux de cette hormone dans le corps n’est pas le même pour toutes les femmes. On nous parle aussi de la ménopause comme d’une «déficience hormonale» alors qu’une femme ménopausée continue à produire des œstrogènes, même si cela ne se fait plus au niveau des ovaires. De plus, une déficience implique de remplacer ou d’enlever – quand votre thyroïde se détraque, il y a déficience, donc on peut avoir à enlever tout ou une partie de la glande thyroïdienne. Les médecins qui parlent de déficience hormonale font donc preuve d’un manque de culture. Ou alors il s’agit, pour eux, d’un moyen de vendre des produits dont les femmes n’ont pas besoin. Notons que quand les hommes ont des troubles érectiles, on ne parle pas d’une déficience mais d’un dysfonctionnement…

Le regard sur la ménopause diffère selon les régions du monde…

Dans certaines cultures, on considère la ménopause comme une phase existentielle que l’on se doit de célébrer. On estime que la femme qui vieillit a atteint le firmament de sa féminité. C’est le cas dans les pays où les personnes âgées, les anciens, sont respectées, comptent et représentent la sagesse. Je pense notamment aux pays asiatiques comme la Chine ou le Japon. Et là où la ménopause est considérée de façon moins négative, les femmes ont tendance à moins en souffrir. Dans la plupart des pays scandinaves, le terme de «ménopause» n’existe d’ailleurs pas. On parle plutôt d’un nouveau sentier, d’un voyage. En néerlandais, on utilise le terme «overgang» qui signifie «passage d’un point A à un point B». J’aime beaucoup cette façon de voir les choses.

Vous dites qu’il est tout aussi important de parler des risques de cancer du sein que des maladies cardiovasculaires chez les femmes ménopausées…

Je ne dis pas que le cancer du sein est d’une importance moindre mais les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez les femmes. Or, quand vous interrogez n’importe quelle femme, elle vous dira qu’elle craint beaucoup plus le cancer, elle ne pense pas à son cœur. Il est important que les femmes de plus de 50 ans, qui ont tendance à croire que les crises cardiaques touchent surtout les hommes, comprennent qu’au même titre que leurs seins, elles doivent aussi veiller sur leur cœur.

Vous donnez des conseils dans votre livre. Qu’est-ce qui est le plus important selon vous ?

Deux choses : l’une pratique, l’autre spirituelle. La première est l’exercice physique, qui réduit le risque de cancer, d’ostéoporose, de maladie cardiovasculaire ou de démence. La deuxième consiste à prendre soin de sa santé mentale. La dépression, par exemple, a un impact négatif sur tous nos organes. J’aimerais aussi ajouter que même si on vous enlève les ovaires à 25 ans, ou que vous avez toujours vos règles à 52 ans, ça ne vous définit pas. Les femmes sont merveilleuses, qu’elles produisent des œstrogènes ou pas… Il est temps de mettre fin à l’ère de honte et de silence qui entourent la ménopause.

(1) Ménopause Manifesto, Dr Jen Gunter, First Editions, 2022.

(2) La Bible du vagin, Dr Jen Gunter, First Editions, mars 2021.


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