mardi 30 août 2022

Interview «C’est le manque d’attractivité du métier qui crée la pénurie de personnel dans les crèches»

par Recueilli par Margaux Gable   publié le 29 août 2022

A quelques jours de la rentrée, les places en crèches manquent. Véronique Escames, du Syndicat des professionnels de la petite enfance, s’inquiète d’une situation installée depuis des années et questionne l’utilité de l’arrêté facilitant l’embauche de non-diplômés, pratique qui existe déjà dans les faits.

Les messages de parents en détresse se multiplient. A quelques jours seulement de la rentrée, bon nombre de familles cherchent en urgence des places dans des crèches, des assistantes maternelles, voire des baby-sitters non déclarées. Et pour cause, le secteur de la petite enfance manque cruellement de bras. Selon une étude de la Caisse nationale des allocations familiales publiée en juillet, entre 6,5 et 8,6 % des postes étaient vacants en début d’année au sein des crèches, une pénurie concernant près d’un établissement sur deux.

Dans ce contexte, un arrêté facilite, à compter du 31 août, le recrutement au sein des crèches d’employés non diplômés. Une mesure dénoncée par les syndicats et les professionnelles (très majoritairement des femmes) et qui semble insuffisante pour pallier le manque de personnel. Dans un secteur à flux tendu depuis des années, la pénurie pourrait devenir durable sans refonte en profondeur, alerte Véronique Escames, cosecrétaire générale du Syndicat national des professionnels de la petite enfance.

Quelle est la situation des crèches à quelques jours de la rentrée ?

Elle est très critique. Beaucoup de parents n’ont pas de solution pour garder leurs enfants. On n’a pas encore de chiffres précis à l’échelle nationale, mais de nombreux retours de professionnelles nous alertent sur la pénurie de professionnelles dans leur établissement. Dans une crèche à Paris où il manquait trois auxiliaires de puériculture en juillet, l’accueil sera réduit à la rentrée s’il n’y a pas d’embauche. En Moselle, sur deux crèches multi-accueil, ils sont toujours à la recherche de deux infirmières et une éducatrice de jeunes enfants. Certains établissements ont même dû faire leur rentrée en août avec des équipes qui ne sont pas au complet. Les villes les plus touchées sont les grandes métropoles comme Paris, Lyon, Marseille ou Bordeaux, dans lesquelles les parents souffraient déjà du manque de places depuis des années.

Cette pénurie pourrait-elle se pérenniser ?

Tel qu’on est parti, oui. Cela fait cinq ans qu’on prévient du manque de moyens et de personnel dans les établissements. On ne nous a jamais écoutés. En début d’été, Elisabeth Borne a annoncé la création de 200 000 places, mais il ne suffit pas de créer des places, il faut une refonte totale du secteur. Et elle doit repasser par la revalorisation du métier, tant d’un point de vue financier que dans l’image. Les conditions de travail sont difficiles : il faut travailler dans le bruit, en flux tendu, avec souvent trop d’enfants pour pas assez d’auxiliaires. En plus de ça, les horaires changent du jour au lendemain, les congés sautent… sans parler des possibilités d’évolution qui ne sont pas forcément évidentes. C’est ce manque d’attractivité du métier qui crée la pénurie d’aujourd’hui. Il devient urgent de mettre le budget nécessaire dans toute la filière de la petite enfance. Il faut savoir ce que l’on veut : proposer aux enfants un accueil de qualité où ils peuvent évoluer et s’épanouir, ou seulement un mode de garde rudimentaire, le temps que les parents aillent travailler.

La plupart des périodes d’adaptation pour les tout-petits commencent ce lundi, quels problèmes va poser le manque de personnel ?

C’est vrai que le manque de bras va surtout affecter les plus petits parce que la semaine de familiarisation est un moment clé. Pendant cette période, qui commence généralement la semaine de la rentrée, l’enfant se détache petit à petit de ses parents. Pour ce faire, une professionnelle est entièrement dédiée à l’enfant et à sa famille, une à deux heures par jour pendant une semaine. Cette année, avec le manque de personnel, les employées seront moins disponibles car il faudra gérer les autres enfants présents. C’est une mise sous tension dès le début de l’année. On s’attend donc à des pleurs, à des enfants qui ne seront pas toujours à l’aise, à des risques d’insécurité affective…

Avec l’arrêté facilitant l’embauche de personnel non diplômé, faut-il s’attendre à plus de candidatures ?

C’est possible que plus de personnes postulent mais il est encore tôt pour en être certain. Il sera applicable le 31 août, nous attendons des retours du terrain en septembre. Plus de candidats, c’est bien beau, mais il faut voir ce que cela donnera. On aura plus de bras, mais s’il faut être en permanence derrière eux car ils manquent de formation, la situation ne sera pas meilleure.

Cet arrêté porte sur une pratique qui existait déjà avant…

Effectivement. Les structures avaient déjà le droit d’embaucher 60 % de salariés non diplômés. Elles devaient également prouver qu’elles avaient passé des annonces pour recruter du personnel diplômé avant d’embaucher des candidats sans diplôme. En ce sens, cela ne change pas grand-chose : on a déjà beaucoup de retours d’abus de certains établissements, avant même l’arrêté. Certaines directions de crèches refusaient les candidatures de personnes ayant un diplôme d’Etat au profit de ceux qui n’en avaient pas, car ces non-diplômés coûtent moins cher. Mais le recours à ces personnes pose des problèmes car, qui devra les former ? Nous. En plus de devoir nous occuper des enfants.


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