mercredi 24 août 2022

Constat Contraception masculine: la France est complètement à la bourse

par Marlène Thomas   publié le 22 août 2022

Malgré un intérêt grandissant et un enjeu d’égalité flagrant, les méthodes contraceptives dédiées aux hommes peinent à trouver leur essor, freinées par un manque d’investissement dans la recherche et des politiques publiques atones.

C’est l’histoire d’une occasion manquée. 1939 : première publication évoquant la suppression des spermatozoïdes grâce aux hormones. Années 50 : tests prometteurs de Gregory Pincus, co-inventeur de la pilule. 1990 : première grande étude internationale de l’OMS. Des recherches sur la contraception masculine sont menées depuis des décennies, retracent Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain dans le roman graphique à succès les ContraceptésL’intérêt de certains hommes pour le contrôle de leur fertilité ne date pas d’hier lui non plus. A la fin des années 70, une centaine d’hommes planchaient déjà sur des solutions au sein de l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine. Quarante ans plus tard, la même interrogation demeure : pourquoi ça ne décolle pas ? «Le sida dans les années 80 a donné un gros coup de frein, stoppant toutes les recherches sur la contraception masculine qui ne protégeaient pas des IST», rembobine Jeanne Perrin, professeure de biologie et médecine de la reproduction du développement au CHU de Marseille, qui participe à l’enseignement de la contraception masculine au sein de la Société d’andrologie de langue française (Salf).

Cette crise sanitaire ne suffit pas à elle seule à expliquer ce retard. Le manque de volonté des hommes, accoutumés à se reposer sur leurs conjointes, ne doit pas être occulté. La féminisation des usages contraceptifs n’avait pourtant rien de naturel avant l’adoption de l’émancipatrice loi Neuwirth, autorisant la contraception, en 1967. Avec la légalisation et la médicalisation, on passe alors d’un contrôle des naissances assumé par le couple – avec notamment la méthode du retrait – à une charge contraceptive portée presque exclusivement par les femmes. Le scandale des pilules de troisième et quatrième générations en 2012 aura permis de replacer le débat du partage dans le couple. Une décennie durant laquelle les médias se sont fait l’écho d’un militantisme renaissant sans réussir à lever totalement ce tabou.

Des options limitées

Les options s’offrant aux hommes restent limitées. «Deux moyens sont validés scientifiquement : le préservatif et la vasectomie pour laquelle les demandes ont été multipliées par dix en dix ans», liste l’urologue andrologue Antoine Faix. Autorisée depuis 2001, la vasectomie est considérée comme définitive, bien qu’une opération restauratrice soit possible avec des résultats aléatoires. Ce moyen de contraception reste toutefois peu utilisé en France – moins de 1 % des hommes y ont recours, contre 21 % des Britanniques. Ce qui s’explique par une légalisation tardive – en 2001 – couplée à des craintes de pertes de virilité tenaces. La contraception hormonale sous forme d’injections hebdomadaires contraignantes a, elle, été validée par l’OMS, avec moult contre-indications, pour un maximum de dix-huit mois. Elle n’est prescrite que par une poignée de médecins dont l’endocrinologue Jean-Claude Soufir. Quant à la méthode thermique, le «slip chauffant» développé par l’andrologue Roger Mieusset, il est toujours considéré comme en phase expérimentale faute d’avoir reçu des financements permettant des essais à grande échelle. Seul à pouvoir le prescrire, le praticien a récemment cessé son activité. Selon des documents consultés par Libération, ce dernier a été suspendu en novembre par le CHU de Toulouse pour avoir poursuivi son étude non autorisée depuis 2011.

Dans un courrier, d’autres andrologues défendent qu’il s’agit d’une «application clinique», comme il est coutume de le faire, des travaux réalisés dès les années 80-90. La décision, à rebours de la nécessité de développer les quelques méthodes déjà disponibles, a été prise dans le sillage de l’interdiction de la vente de l’Andro-switch, un anneau contraceptif, par l’ANSM en décembre «en l’absence de données cliniques démontrant ses performances et sa sécurité d’emploi».

«Il y a un intérêt flagrant ces dernières années. Mais est-ce que les pratiques ont changé ? Il faudra l’étudier», avance prudemment Mireille Le Guen, démographe à l’Ined, spécialiste de l’évolution des usages contraceptifs. L’expérience de terrain ne ment pas. «Bien plus de patients» se montrent intéressés par la contraception masculine, selon Antoine Faixau point que l’urologue va lancer une consultation d’informations dédiée. Dénombrer avec précision le nombre d’hommes contraceptés relève en revanche de la mission impossible. La seule donnée fiable reste celle tirée de l’enquête de l’Ined de 2017 montrant que «15 % des femmes en couple utilisent une méthode masculine soit le préservatif, la vasectomie ou le retrait, contre 53 % en Espagne», déroule Mireille Le Guen. Les autres méthodes restent encore confidentielles.

La société avance sans aucun doute plus vite que la science. Les travaux des chercheurs se heurtent depuis des décennies à un «manque d’efforts financiers des labos pharmaceutiques qui, pour l’instant, n’y ont pas vu une façon de revenir facilement sur leur investissement», constate Jeanne Perrin, qui remarque que de plus en plus de labos américains mettent la main à la poche sur la contraception hormonale. «Comme pour la pilule, les labos pharmaceutiques espèrent avoir des prescriptions de long terme», complète-t-elle. L’option la plus rentable.

Pas de politique volontariste sur la contraception masculine

Le calcul de la balance bénéfice-risque souffre aussi des effets du genre. «Pour les méthodes féminines, on la calcule par rapport au fait de tomber enceintes et donc aux risques thromboemboliques, expose Mireille Le Guen. Pour les hommes, cette balance sera toujours calculée par rapport au fait d’être en bonne santé. On va donc davantage la penser comme négative.» D’autres éléments ont aussi conduit à des arrêts précoces d’essais cliniques. «Dès qu’on voyait que ça pouvait avoir des effets sur la libido, on avait tendance à dire que cette méthode n’était pas suffisamment adaptée aux hommes et on arrêtait. On se posait moins cette question pour les femmes», distingue la démographe. Des précautions renvoyant à l’idée que «la sexualité des hommes est davantage dans l’aspect physiologique, une pulsion, alors que chez les femmes, ce serait plus psychologique».

En matière de santé publique, la contraception masculine est aussi loin d’être prioritaire. En 2017, la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa avait déclaré dans Elle qu’elle «veillerait à ce que la contraception masculine se développe davantage». Un objectif rapidement enterré, avant d’être récupéré in extremis en fin de mandat par Olivier Véran, alors ministre de la Santé. Mise en avant dans la feuille de route 2021-2024 déclinant la stratégie nationale de santé sexuelle, la contraception masculine attend toujours une politique volontariste. Cette inscription «veut pourtant dire qu’on peut avoir des fonds gouvernementaux pour faire de la recherche», relève Antoine Faix.

En septembre, le député LFI Bastien Lachaud a pointé l’annonce de la gratuité de la contraception pour les femmes jusqu’à 25 ans comme une occasion manquée. Sa question au gouvernement est restée sans réponse. «C’est la démonstration de l’absence de prise en compte de la contraception masculine dans les politiques publiques», martèle-t-il. Soulevant un «problème de santé publique» et du «droit à disposer de son corps», le député LFI Hadrien Clouet compte retenter le dépôt d’une question écrite au gouvernement d’ici la rentrée. «On a un nouveau ministre, François Braun, qui ne s’est jamais positionné ni pour ni contre ce sujet. Il y a une fenêtre, c’est le moment de l’exploiter.»

Des leviers sous-utilisés

Le rendu d’un rapport gouvernemental est aussi tombé dans les limbes. «[Ce rapport] ne figure plus dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022, en raison d’une censure du Conseil constitutionnel» pour des raisons réglementairesrétorque le ministère de la Santé, en se reposant sur une saisine, effectuée «cette année», de la Haute Autorité de santé (HAS) pour «disposer de connaissances réactualisées». Le ministère assure qu’une fois les recommandations «formulées, [il pourra] ensuite promouvoir les méthodes de contraception masculines validées scientifiquement et déployer à cet effet les moyens qui s’imposent.» Bémol, la HAS assure n’avoir «pour l’instant pas été saisie sur ce sujet». Nouvellement nommée au ministère chargé de l’Egalité entre les hommes et les femmes, Isabelle Rome a de son côté promis de «s’emparer de ce sujet avec détermination». «Il faut amplifier la recherche sur la contraception masculine, qui reste peu utilisée dans notre pays. Je suis convaincue qu’il s’agit d’un enjeu majeur pour l’égalité.»

En attendant, les hommes doivent composer avec un déficit d’informations criant. Les séances d’éducation à la sexualité, déjà parcellaires, apparaissent notamment comme un levier sous-utilisé. Là où une jeune fille va facilement être orientée vers son généraliste ou un gynécologue pour causer contraception parfois dès ses premières règles, les hommes – moins rompus aux suivis médicaux réguliers – ne savent pas à qui s’adresser. Le pendant des gynécologues, les andrologues, sont peu représentés et peu connus des principaux concernés. La contraception masculine peine d’autant plus à se frayer un chemin dans leurs parcours de soins que dans la «formation initiale des études de santé, il doit y avoir une heure sur la vasectomie. Et pour toutes les autres méthodes, il n’y a rien du tout», regrette Jeanne Perrin.

Seuls 23 % des gynécologues et généralistes connaissent la contraception thermique et 10 % la contraception hormonale masculine, selon une étude de la professeure publiée en 2021. Plus de la moitié des médecins interrogés n’ont ainsi jamais ou peu proposé de contraception masculine à leurs patients. Sous l’impulsion des praticiens, pour certains démunis, la Salf a lancé des formations. «On a dû former près de 250 médecins depuis 2019», se réjouit Jeanne Perrin. Des efforts néanmoins freinés par la faible disponibilité des méthodes contraceptives homologuées.


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