mardi 12 juillet 2022

La mort d’un bébé libère la parole de parents et professionnels sur des maltraitances dans les crèches People & Baby

Par    Publié le 12 juillet 2022

Le 22 juin à Lyon, une fillette de 11 mois a été forcée à ingérer de la soude caustique par une professionnelle excédée. Les témoignages de maltraitances se multiplient depuis et des plaintes ont été déposées dans le Nord.

Façade la crèche People & Baby, place Danton à Lyon, le 23 juin, où une petite fille âgée de 11 mois est décédée mercredi 22 juin à la suite de la maltraitance d’une salariée de la crèche.

Trois semaines après le drame survenu dans une crèche lyonnaise de la chaîne People & Baby, les arguments publicitaires mis en avant par le site Internet de l’entreprise font froid dans le dos. A la crèche Danton Rêve, lit-on, les enfants mangent bio, manipulent des matériaux naturels, sont sensibilisés au vivant. Lugubre télescopage : le 22 juin, une petite fille de 11 mois est morte dans cette microcrèche après avoir absorbé de la soude caustique, un puissant déboucheur ménager, forcée par la professionnelle chargée de s’occuper d’elle.

Il a fallu moins d’un quart d’heure pour que tout bascule place Danton, dans le 3e arrondissement de Lyon. A 7 h 40, Lisa est confiée par son père à Myriam J., une femme de 27 ans qui travaille à Danton Rêve depuis le mois de mars. Comme la loi l’y autorise, Mme J. peut accueillir seule les trois premiers enfants mais doit être rejointe par une autre salariée à partir du quatrième. En attendant les petits, elle a prévu d’xécuter quelques tâches ménagères. Seulement, ce jour-là, elle est arrivée en retard. Au lieu d’effectuer son travail avant l’arrivée des bambins, elle le fait donc en laissant Lisa dans la pièce des bébés, pendant qu’elle-même circule d’une salle à l’autre.

Or, depuis le départ de son père, Lisa pleure énormément. Bientôt, le bébé finit par ramper vers Myriam J. en cherchant à s’accrocher à sa jambe. Excédée, la professionnelle l’aurait alors inondée de produit décapant, puis forcée à en ingérer, d’après les informations fournies par le parquet de Lyon. Lors d’une première audition, Myriam J. avait affirmé que Lisa s’était emparée d’un tube de gouache. La salariée aurait alors cherché à la nettoyer en utilisant le déboucheur ménager. Très vite, cependant, elle a avoué avoir aspergé l’enfant afin qu’elle la laisse tranquille. Quoi qu’il en soit, des mères de famille venues déposer leurs enfants peu avant 8 heures constatent que la fillette convulse. Myriam J. étant en proie à la panique, ce sont ces mères qui appellent les pompiers, tout en essayant de secourir le bébé. Transportée à l’hôpital Femme Mère Enfant de Bron (Rhône), Lisa meurt de graves brûlures internes en fin de matinée, sans avoir pu être réanimée.

Pluie de témoignages

Entre-temps, Myriam J. a continué de travailler normalement à la crèche jusqu’à la fin de son service, en début d’après-midi. Une fois sortie, elle erre sans but, puis s’assoit sur un banc du parc de la Tête-d’or, ne sachant quoi faire. C’est un coup de fil de sa mère qui la rappelle à la réalité : « La police est là. » Arrêtée dans le parc en milieu d’après-midi, elle a été mise en examen pour « homicide volontaire » et placée en détention provisoire à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas.

Issue d’une famille plutôt modeste, père cuisinier et mère travaillant à l’hôpital, Myriam J. est titulaire d’un CAP petite enfance depuis un an. D’après le groupe People & Baby, elle avait suivi une formation protection de l’enfance en avril et bénéficié d’une augmentation de salaire au 1er juin. Jusqu’à l’obtention de son diplôme, la jeune femme avait zigzagué entre plusieurs emplois, notamment des postes de nounou à domicile et des stages d’aide en école maternelle. Sans antécédents psychiatriques ni judiciaires, elle serait déjà mère d’une petite fille placée dans un dispositif d’aide sociale à l’enfance. Elle avait, par ailleurs, tout récemment vécu une fausse couche. La veille, enfin, elle s’était disputée avec son compagnon, emprisonné depuis le mois de novembre.

Apparemment, la direction de la crèche n’avait pas relevé de difficultés particulières avec cette employée. Fin avril, pourtant, des parents s’étaient émus de retrouver leur fils portant des traces écarlates sur le haut du corps, mais aussi des lésions dans la bouche après avoir été confié à Myriam J., au moment de la sieste. A l’époque, il semble que la crèche n’avait pas appelé les secours, se contentant de faire venir les parents. Le médecin consulté par la famille n’avait, lui, pas su dire s’il s’agissait de brûlures ou d’une simple pathologie cutanée sur le corps, mais s’était étonné des importantes desquamations de la bouche.

Mis bout à bout, ces quelques éléments n’expliquent pas grand-chose. C’est à peine s’ils jettent un minuscule faisceau de lumière dans l’obscurité d’un acte que la justice devra tenter de tirer au clair. Mais l’émotion suscitée par cette mort a déclenché une pluie de témoignages mettant en cause les pratiques de la chaîne People & Baby. Dans un secteur manquant de personnel, où les métiers sont pénibles et peu valorisés, le groupe n’est pas le seul à subir des critiques. Mais il concentre des reproches de nombreux parents et salariés, y compris avant le 22 juin.

Créée en 2004, l’entreprise s’est considérablement étoffée depuis quelques années, jusqu’à devenir un acteur important du secteur de la petite enfance. Elle revendique aujourd’hui 700 structures en France et 150 à l’étranger. Soit, pour l’Hexagone, 14 000 enfants et 6 200 salariés. People & Baby, qui s’affiche comme « 100 % familiale », est dirigée par Christophe Durieux, détenteur du capital depuis son rachat des parts des autres actionnaires, en 2015. Il est secondé par Odile Broglin, présentée comme une professionnelle de la petite enfance.

Sur son site, la chaîne met en avant des mots comme « bienveillance »« responsabilité »« innovation » ou « plaisir »Pourtant, d’après de nombreux témoignages, ces ambitions ne colleraient pas toujours avec la réalité du terrain. Certains parents, d’abord, affirment avoir observé divers degrés de maltraitance, de la simple négligence jusqu’à la brutalisation. En mai 2021, Ghita – médecin dans le Nord et mère de trois jeunes enfants, elle ne souhaite pas donner son nom – a porté plainte contre la directrice de la crèche People & Baby de Villeneuve-d’Ascq (Nord) et son adjointe, après avoir récupéré son fils de 28 mois couvert de traces d’empoignement, de griffures et d’hématomes intercostaux.

Le groupe conteste

Peu de temps plus tard, une autre famille porte plainte à son tour contre la même structure. « Un jour, on m’a rendu ma fille coiffée bizarrement, avec une frange, affirme Johanna, la mère de l’enfant. En fait, c’était pour camoufler une bosse égratignée de la taille d’une pièce de 2 euros. La directrice m’a pourtant soutenu que cet incident n’était pas survenu dans ses locaux. » Après avoir été classé sans suite, leur dossier a été rouvert en février. Une audience est prévue le 15 mars 2023.

La tragédie lyonnaise ayant bouleversé Ghita, celle-ci décide d’ouvrir une boîte e-mail pour recueillir des témoignages. Et là, c’est l’avalanche. De parents comme Marie, qui dit avoir vu une puéricultrice gifler sa fille dans une crèche parisienne, mais aussi de très nombreuses professionnelles. En Haute-Savoie, par exemple, cinq puéricultrices ont décidé d’alerter la Protection maternelle et infantile et l’inspection du travail sur les dysfonctionnements de la crèche où certaines d’entre elles travaillent encore. Leurs courriers, préparés avant l’affaire de Lyon, donnent un aperçu des dérives qui, selon elles, rendent leur vie très difficile : vétusté des locaux et du matériel, pannes jamais réparées parce que les prestataires ne se déplacent plus, faute d’être payés, loyers impayés, manque chronique de personnel et comportements à la limite de la maltraitance de la part d’une salariée.

Dans un courrier à destination de ses clients, le groupe conteste les accusation. Après avoir dénoncé les « amalgames », averti les personnels, le 4 juillet, que People & Baby enquêtait « dans le détail sur les allégations soulevées, de manière à démontrer l’inexactitude des propos relayés et la crédibilité des personnes interviewées », les responsables ont décidé de prendre des mesures. Désormais, deux professionnelles devront être systématiquement présentes dans toutes les structures lors de l’accueil et du départ des enfants.

De son côté, le ministre des solidarités, Jean-Christophe Combe, a saisi l’inspection générale des affaires sociales, le 11 juillet, afin qu’une mission « apporte rapidement des éclaircissements quant aux facteurs qui, dans cette crèche, dans ce réseau ou dans le cadre général des modes d’accueil, auraient pu concourir à l’installation de situations de danger ou de maltraitance. » Le groupe People & Baby, lui, a souhaité se constituer partie civile, mais cette demande a été rejetée.


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