mercredi 27 juillet 2022

La bonne recette de la mère parfaite

Par    Publié le 24 juillet 2022

« Filles de pub » (2/7). Des mères au foyer heureuses et dévouées, capables de prendre soin d’elles comme du cocon familial. L’image d’Epinal a perduré dans le marketing publicitaire, qui semble toujours promouvoir un certain « mamancentrisme ».

La mère qu’on voit danser… En 1976, une marque de purée reprend le mythe de Blanche-Neige à sa sauce, avec six petites têtes blondes en lieu et place des sept nains. La mère nourricière, mince, jeune et blonde, virevolte en chantant, un peu comme Catherine Deneuve préparant son cake d’amour dans Peau d’âne, et balance la purée dans les assiettes de sa portée. Pas de père à l’horizon ni de fins de mois difficiles. Trente ans plus tard, même chanson – « Quand je fais de la purée Mousline, je suis sûre que tout le monde en reprend » –, même jolie maman blonde. Cette fois, papa est là (assis à table) et il n’y a que trois enfants (vive la pilule).

« Cette image de la mère parfaite a créé de la culpabilité chez les femmes », Mercedes Erra, présidente de BETC

Pour vendre des goûters, des cuisines ou des produits pour bébés, la figure maternelle, douce et protectrice, perçue comme l’essence même de l’identité féminine (le mot femme dérive du latin femina, qui enfante, donne la vie), a inondé les spots télévisés pendant des années. Des mères au foyer heureuses, expertes et dévouées. « On dégoulinait de mères, qui se ressemblaient toutes. Cette image de la mère parfaite a créé de la culpabilité chez les femmes », témoigne Mercedes Erra, cofondatrice et directrice de l’agence BETC. La publicité n’a bien sûr rien inventé. Même Jacques Brel déclarait en 1963 : « Toutes les femmes du monde veulent qu’on leur ponde un œuf. »

Sonia Rolland, actrice et ex-Miss France, est devenue ambassadrice de la marque Mixa en 2009.

Icône maternelle par excellence, la mannequin Estelle Lefébure a représenté cette forme d’idéal dans les années 1990, alliant beauté, jeunesse, douceur, et épanouissement béat, dans les publicités Mixa Bébé, suivie aujourd’hui par sa propre fille, Emma Smet, mais aussi par l’ex-Miss France Sonia Rolland. Des égéries sur lesquelles la charge mentale et les varices ne semblent pas avoir de prise.

Une bonne mère se doit donc de rester heureuse et féminine, de prendre soin d’elle, de son couple, sans quoi elle sera vue comme démissionnaire. Une idée tellement ancrée que l’émergence du discours récent sur le burn-out parental a pu faire dire aux anciennes générations que les jeunes mères sont des chouineuses. Seule une publicité Intermarché (agence Romance) s’est frottée cette année à la dépression post-partum, sur un mode humoristique. Dans un appartement envahi par le linge bébé, les couches et les biberons, un jeune père revenant des courses annonce à sa femme qu’il a pris une baguette, « y avait plus de tradition ». La jeune mère s’effondre en larmes. Puis son conjoint craque aussi. Vantant la carte avantage sur les produits pour bébés, l’enseigne adresse sa campagne aux parents « qui sont vraiment fatigués ».

Injonctions contradictoires

L’étude « Genre et marketing » (2020), codirigée par la chercheuse Eva Delacroix, a analysé ces injonctions contradictoires, rappelant que les mères sont la cible privilégiée d’un marché de la puériculture qui représente en France près de 600 millions d’euros par an. La pression à l’achat est donc forte, avec une multitude de produits à acquérir pour être à la hauteur de l’enjeu. La liste de « la valise » fournie par les maternités en est une parfaite illustration.

« Avec la mondialisation, on parle de maternité intensive ou de “new momism” (Michaels et Douglas, 2004) avec une liste de choses à faire : jouer du Mozart près de son utérus, faire de l’algèbre avec son fils de 6 mois, conduire cinq heures pour un match de foot, être sexy et enjouée pendant tout ça », ironise l’étude. On peut y ajouter la réunion à 18 heures, la préparation du pique-nique parce qu’il y a grève à la cantine et le rendez-vous chez le dentiste pour les bagues de l’ado. Tout ça en restant parfaitement épilée et en travaillant son fessier.

En 2017, cette quête inatteignable de la perfection maternelle est dénoncée par une pub américaine pour Yoplait appelée « Mom on ! » (jeu de mots avec « come on ! »). Des femmes se révoltent face au jugement négatif porté sur elles, quoi qu’elles fassent. Vous allaitez en public, on vous regarde de travers, et pareil si vous donnez le biberon, car c’est mauvais pour l’immunité ; travaillez et on vous accuse de délaisser vos enfants, mais si vous êtes au foyer vous n’avez pas d’ambition ; etc. Dans la série américaine Roar(2022), coproduite par Nicole Kidman, une femme d’affaires qui reprend le travail après la naissance de son second enfant encore nourrisson voit des morsures purulentes apparaître sur son corps et son visage, car la culpabilité maternelle la ronge. Au sens propre.

Pour autant, en France, explique Mercedes Erra, « dans les panels de tests, les femmes n’aiment pas trop voir de working girls, ni de femmes de pouvoir. D’abord, parce que cela ne correspond pas à une réalité selon elles ; aussi et surtout, certaines pensent que cela donne une image de mère qui abandonne ses enfants ». Mais les choses changent. « Dans nos études, ajoute la patronne de BETC, un jeune sur trois déclare désormais ne pas vouloir d’enfant », notamment pour des raisons écologiques mais pas seulement. L’idée qu’on se réalise en procréant n’est plus unanimement partagée, comme le démontre le phénomène, certes minoritaire, des « mères qui regrettent » d’avoir enfanté.

« Voir un homme assis à table pendant que sa femme cuisine ou s’occupe des enfants n’est plus accepté socialement », Eva Delacroix, sociologue

Et les pères dans tout ça ? Désormais, qu’il s’agisse des couches, des savons pour bébés, ou des produits alimentaires, les papas sont largement représentés dans les publicités, après avoir été souvent montrés comme incompétents, tendance balourd. « Voir un homme assis à table pendant que sa femme cuisine ou s’occupe des enfants n’est plus accepté socialement », assure la sociologue Eva Delacroix. « Par ailleurs, la cuisine, c’est noble. Aujourd’hui, plein d’hommes s’agitent aux fourneaux, avec le bon matériel. C’est un peu comme leur garage », complète Corinne Dauger, ex-publicitaire, aujourd’hui professeure à HEC. Chaque homme a un Cyril Lignac qui sommeille en lui, on n’est pas dans le gratin de coquillettes au fromage.

Une réclame pour la marque Blédine Jaquemaire (aujourd’hui Blédina) en 1931.

Selon Eva Delacroix, si l’évolution est notable dans la publicité, le marketing promeut toujours le « mamancentrisme » : « Sur les notices de biberon par exemple, et le packaging des marques de puériculture en général, on s’adresse encore exclusivement aux mères, sorte d’unique parent par défaut. » Dans les allées des supermarchés, les couches et autres laits infantiles sont souvent estampillés « coin des mamans ». « La fête des mères, souligne-t-elle, reste l’événement où le sexisme s’exprime d’ailleurs le plus. »Cette année encore, plusieurs chaînes de grande distribution l’ont célébrée à gros renforts de promos et réductions sur les aspirateurs, micro-ondes et produits ménagers. Cinq bouteilles de Canard WC pour le prix de trois… Ça vaut bien un collier de nouilles.


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