jeudi 28 juillet 2022

Journal d'épidémie Soignants non vaccinés, et pourquoi pas des opérations sans gants…




par Christian Lehmann, médecin et écrivain  publié le 28 juillet 2022

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique d’une société traversée par le Covid-19. 

L’obligation vaccinale des personnels soignants est entrée en vigueur le 15 septembre 2021, soit neuf mois après l’introduction des premiers vaccins contre le Covid en France. Si une majorité de professionnels de santé s’était vaccinée dès que les vaccins leur étaient accessibles, une minorité visible et bruyante avait décidé de «résister» à cette injonction, et s’était retrouvée, par la force des choses, écartée du soin. Sans emploi, sans ressources. Cette situation a ému certains politiques pendant les campagnes électorales. La réintégration immédiate des soignants non-vaccinés avait été mise en avant comme argument de campagne aussi bien au RN que chez LFI. Et découvrant bien tardivement que l’hôpital était exsangue, les «partis de gouvernement», dont l’acharnement néolibéral avait conduit à la catastrophe, se posaient eux-mêmes ouvertement la question.

Emmanuel Macron avait entrouvert la porte à l’occasion d’un déplacement dans les Hautes-Pyrénées fin avril, juste après sa réélection à la présidence de la République. Le chiffre de 15 000 soignants réintégrables, brandi pendant des mois sans vérification, cachait une réalité plus restreinte. Tandis que François Braun, ministre de la Santé dans cette nouvelle période du Covid que nous nommerons l’ère «Balek», demandait l’avis des hautes instances scientifiques, il apparaissait que 4 000 à 5 000 professionnels, soignants et non soignants confondus, soit 0,3 % du total des agents des établissements, avaient été suspendus.

Les mérites du vaccin

Les arguments pour refuser la vaccination, copieusement mis en avant aux deux extrêmes de l’échiquier politique, étaient toujours les mêmes : le vaccin n’est pas la solution parfaite à la crise du Covid. Etrangement, ce constat est partagé par ceux-là mêmes qui, depuis le début, tentent de limiter la mortalité et les séquelles liées aux vagues successives. Car oui, le tout vaccinal promu par l’exécutif, le tout vaccinal sur lequel Emmanuel Macron et Olivier Véran, pour ne citer qu’eux, ont bâti le narratif de sortie de crise préélectoral de février 2022, n’est pas une solution parfaite. Sans travail pédagogique sur les mesures barrières, sans réelle campagne d’information sur l’aérosolisation, sans investissement majeur (pourtant promis par le président-candidat) sur la qualité de l’air intérieur, le Covid ne sera pas vaincu, et nous resterons à la merci de ses variants ultérieurs, et de notre propre déni.

Mais pour ces soignants et ces acteurs de la prévention en première ligne, le vaccin avait plusieurs mérites, clairement démontrés : il réduisait la mortalité et le risque de formes graves, et diminuait la transmission virale, s’il ne la stoppait pas. Dès l’été 2021, avant même l’arrivée des variants qui allaient partiellement contourner la ligne de défense vaccinale contre la transmission par échappement immunitaire, l’extrême droite, Dupont-Aignan et Philippot en tête, en avaient fait leurs choux gras : le vaccin n’empêchait pas d’être infecté, voire de transmettre l’infection. Ce mantra, répété ad nauseam, se trouva conforté au fur et à mesure des mois et de l’arrivée de nouveaux variants. Mais en septembre 2021, la protection contre les formes graves était élevée, aussi élevée qu’aujourd’hui, et l’échappement immunitaire à distance de quelques mois après la dernière injection n’atteignait pas l’importance qu’il a aujourd’hui. Pourtant, alors même qu’ils étaient en contact quotidien avec des patients vulnérables, et que le Covid nosocomial était un véritable problème pour les équipes hospitalières, il se trouva des milliers de soignants pour refuser l’injection, alors que l’obligation vaccinale des soignants existe de longue date pour le tétanos, la polio, l’hépatite B…

«Réalité parallèle»

L’argument du manque de recul sur le vaccin, alors même que leurs collègues vaccinés depuis neuf mois tenaient la ligne, semble souvent avoir côtoyé un absolu manque de confiance dans la stratégie gouvernementale. Le pouvoir, qui les avait envoyés sans masque et en sacs poubelle au contact des patients malades pendant la première vague, avait depuis longtemps perdu la capacité de convaincre. En refusant le vaccin, en refusant l’injonction vaccinale, ils redevenaient maîtres de leur destin, selon un schéma très bien analysé par Anthony Mansuy dans son enquête les Dissidents parue chez Robert Laffont en mai dernier. L’impuissance ressentie pendant le confinement a fait basculer nombre de concitoyens dans le labyrinthe du lapin blanc : «Des convictions timides sont devenues des assertions péremptoires… Ainsi le covido-scepticisme est l’œuvre de millions de coscénaristes de leur propre réalité parallèle, une grande campagne de désinformation en peer-to-peer où chacun peut apporter sa pierre à l’édifice, devenir influenceur à son tour.»

Et force est de constater que les soignants, et le corps médical en particulier, n’en ont pas été épargnés. Une économie de l’attention s’est créée autour de hérauts autoproclamés d’une vérité alternative, de Raoult à Perronne, de Wonner à Son-Forget, en passant par Reverbel, Agret et Pamart. Une nébuleuse de «résistants» s’est créée, à laquelle s’est adossée la sphère complotiste. Au point que les centres de vaccination ont été pris pour cible sous les encouragements de certains de ces pousse-au-crime, et que les médecins prônant la vaccination ont été promis à un nouveau Nuremberg par des mandarins narcissiques qui s’essuyaient quotidiennement avec les bonnes pratiques cliniques.

S’asseoir sur les principes

Dans les derniers jours avant la décision finale longuement débattue à l’Assemblée, on vit Patrick Pelloux passer une nouvelle fois dans les médias pour expliquer que, dans le contexte de catastrophe sanitaire à l’hôpital, on pouvait s’asseoir sur les principes, et que les soignants non-vaccinés avaient été «suffisamment punis», même si «Il y a quelque chose d’antinomique entre être soignant et ne pas s’appliquer l’état actuel de la science. Mais là, nous sommes dans une telle crise dans les hôpitaux, nous vivons un état effroyable avec les services d’urgences qui sont tous saturés… Vous n’avez qu’à lire les faits divers, il y en a partout, des gens qui n’ont pas pu aller se faire soigner.»

Dans Marianne, deux sociologues, dont Frédéric Pierru, ancien conseiller santé de LFI, argumentaient que l’heure de la réintégration avait sonné, en réutilisant la fameuse punchline vaccino-sceptique de Jean-Luc Mélenchon : «Les soignants suspendus n’étaient pas d’affreux individualistes égoïstes. On l’est difficilement quand on est soignant, ou alors on s’est trompé de métier. Ils ont fait face à l’épidémie avec tout leur dévouement mais ils n’ont pas été convaincus par le vaccin à ARN messager, présenté d’abord comme non obligatoire et comme solution magique à la pandémie, avant que ne soient imposées aux soignants une, puis deux, puis trois, bientôt, quatre doses.»

Dans leur éloge des non-vaccinés, Pierru et Sainsaulieu n’y allaient pas de main morte. Dévoués et dénués d’égoïsme, ceux-ci «ont risqué leur métier pour des convictions le plus souvent médicales».Avant de conclure : «Il faut laisser respirer les soignants et soignantes, leur faire confiance.» Au final, la Haute Autorité de santé, l’Académie de médecine et le Conseil consultatif national d’éthique ont tranché. Laisser respirer au-dessus des brancards de patients vulnérables des soignants refusant la vaccination contre un virus à transmission aérosol ne leur a pas semblé la meilleure idée du siècle, en attendant qu’on leur demande de statuer demain sur la réintégration de soignants qui ne seraient pas convaincus par le port de gants pendant les sutures ou le port du masque au bloc chirurgical.

Une avalanche de commentaires orduriers

Mais alors que nombre de soignants suspendus se reconvertissent dans des filières parallèles (coach de santé, naturopathe, etc.), il me semble que comme d’habitude, la parole des patients vulnérables, les premiers concernés, a été occultée. Virginia, 36 ans, est mère de deux enfants. Atteinte d’une maladie rénale qui la rend vulnérable à la moindre déshydratation : gastro-entérite, fièvre, canicule, virose… elle pose sur les réseaux sociaux une question : «Qu’en est-il du rappel de vaccination des enfants (3e dose) ? Notamment pour les enfants qui ont des parents à risque ?» Son tweet lui vaut une avalanche de réponses validistes ordurières : «Pour les parents à risque qui se demandent s’ils doivent faire faire la troisième dose à leur enfant, il existe une nouvelle procédure + efficace : l’abandon. Ainsi votre enfant ne sera plus une source de contamination pour vous pauvres gens en danger & ça sauvera peut-être leur vie à eux.»Dans ce cloaque d’insultes, Virginia a particulièrement mal vécu une réponse : «S’il arrive quelque chose de grave à “vos enfants” après cette piqûre expérimentale inutile je me réserve le droit de porter plainte contre vous pour mise en danger.» Cette menace proprement délirante de poursuites judiciaires pour avoir fait vacciner ses propres enfants est le fait… d’une assistante sociale d’un centre hospitalier, suspendue pour absence de vaccination.

«J’ai ressenti une immense violence», explique Virginia. «Le sentiment d’être jugée, d’être insultée, d’être menacée, d’être de mauvais parents, alors que nous avons fait ce choix de vaccination conseillé par les médecins qui me suivent… Dans ces échanges j’ai vraiment ressenti beaucoup de haine, et le sentiment de dialoguer avec un mur. C’est complètement surréaliste d’imaginer croiser un jour ce type de personne face à des patients vulnérables.»

 

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