mercredi 6 juillet 2022

Chronique «Aux petits soins» «Qu’est-ce que j’en veux à mon pays de ne pas le faire»: quand des Français choisissent leur fin de vie en Belgique

par Eric Favereau  publié le 5 juillet 2022 

Alors qu’en France le débat sur l’euthanasie semble encore figé, un documentaire d’Arte sur la situation en Belgique montre que des choses sont possibles, en toute humanité. «Les Mots de la fin» est un film bouleversant et d’une grande sobriété, qui bouscule les idées reçues sur le sujet. 

En matière de fin de vie, comment sortir de l’immobilisme à la française ? On peut attendre une énième conférence citoyenne sur le sujet, promise par Emmanuel Macron, ou bien des propos clairs du Comité national d’éthique, dont on attend l’avis sur le sujet depuis six mois. Ou alors, on laisse tout bêtement travailler les élus, qui semblent majoritairement favorables à une évolution de la loi.

On peut en tout cas leur suggérer de regarder le magnifique documentaire les Mots de la fin, diffusé le 13 juillet sur Arte. La réalisatrice Agnès Lejeune a posé sa caméra dans la consultation «fin de vie» du Dr François Damas, médecin au CHR de la Citadelle à Liège. C’est là qu’il reçoit des patients, pour certains demandant une euthanasie comme la loi locale le permet, l’encadrant strictement : le patient doit être majeur, formuler sa demande de manière «volontaire, réfléchie, et répétée», et se trouver «dans une situation médicale sans issue, et faire état d’une souffrance physique ou psychique insupportable». Cette possibilité n’étant donc pas offerte en France, un nombre régulier de patients français passe la frontière pour pouvoir bénéficier de la loi belge.

«Je n’en peux plus»

Alors, dans ce documentaire sans le moindre commentaire, débute un lent défilé d’histoires si particulières. Ce jour-là, l’homme qui arrive a peut-être 70 ans. Il a le visage si fatigué. Sa femme l’accompagne. Ils viennent de France. «A partir de quand pourrais-je avoir une date ?» dit-il très vite. «Vous savez, c’est quelque chose d’exceptionnel pour moi, d’incompréhensible à supporter. Ce que je vis n’est plus possible, c’est trop douloureux, je n’en peux plus, je ne supporte plus. J’ai une sclérose en plaques, j’ai mal tout le temps. Quand on me demande ce que je ressens, c’est comme si j’étais irradié.» L’homme est à bout. Il était directeur technique d’un théâtre et musicien. «La batterie. C’est ce qui me fait le plus mal, c’est de ne plus pouvoir faire de la batterie. Une batterie sans jambes, cela n’existe pas. Et mes jambes ne marchent plus.»

Le médecin l’écoute avec attention. L’interroge doucement. Il lui explique qu’il rentre tout à fait dans le cadre de la législation belge. Le malade sourit. Il dit : «La douleur permanente, c’est impossible, je n‘en peux plus, je veux que cela cesse, que cela s’arrête. Il est difficile d’imaginer, j’aime la vie, mais pas cette vie-là, autant s’arrêter.»Voilà. «Et je suis venu vous voir, je suis venu voir des gens qui savent faire cela, dans le calme et la paix. J’ai un médecin traitant en France, il est au courant. Si la loi le permettait, il serait pour.» Le médecin insiste sur l’importance de l’entourage, puis : «On peut commencer à construire un parcours.» «Oui, c’est que je désire», lui répond-il. Puis il s’interroge à nouveau sur la date, le temps qu’il faut. «Je suis content, lâche-t-il. C’est bien de faire, de faire cela en tout cas, pour nous. Qu’est-ce que j’en veux à mon pays de ne pas le faire. Que les médecins, les sachants, les politiques, je les plains, j’ai honte pour eux. Ils nous entendent, ils disent “mon pauvre”. C’est tout.» Le médecin ajoute : «C’est paradoxal, on vous voit sourire.»Lui : «De savoir, cela me donne un peu d’oxygène.» Sa femme paraît comme rassurée.

Il y a bien d’autres histoires que celle-ci, où la demande du patient en fin de vie est si limpide que l’on a du mal à saisir pourquoi cela n’est pas possible en France. Comme cette femme atteinte d’une énième rechute d’un cancer. La fin est pour bientôt. «C’est fini, je le sais, je ne veux pas que mon fils me voie agoniser. Mon médecin traitant me dit : “Allez on va s’occuper de vous, on va vous trouver un service de soins palliatifs”, mais je sais bien que ce n’est pas possible, à peine 20% des malades en France peuvent en bénéficier.» Le médecin l’écoute, insiste là encore sur l’importance de consulter son entourage. «Il faut que les enfants puissent se préparer aux choix de leur mère.» Elle acquiesce.

«J’ai changé d’avis, je ne veux plus mourir»

Pour autant, le Dr François Damas ne se précipite pas à chaque cas. Comme devant cette femme de 50 ans, lourdement déprimée. Elle sort d’une nouvelle tentative de suicide. «Je suis à l’hôpital de jour, j’ai pris beaucoup de médicaments. Il y a deux ans, je me suis lacéré le bras. J’ai des idées noires, c’est pour faire les choses proprement que je suis venue. Je pourrais me mettre sous les rails, mais non, je suis fatiguée, très fatiguée, tout me demande des efforts.» Elle reconnaît que ses fils ne sont pas au courant. Le médecin : «Sans que les proches ne le sachent, ce sera une catastrophe pour eux. Vous imaginez vos enfants ?» Puis il argumente : «Votre médecin traitant et votre psychiatre y sont opposés. La loi parle de maladie incurable et sans issue. Ce ne serait pas du tout raisonnable de vous suivre là-dessus. Je devrais être convaincu que c’est le meilleur dernier service à vous rendre, et là en une consultation je ne le pense pas.» La patiente semble être d’accord, ajoute néanmoins : «Mais il faudrait que l’on reconnaisse aussi la douleur morale.»

Rien n’est simple, rien n’est définitif. Comme ce vieux monsieur qui vient avec son fils. Il avait fait la demande d’une euthanasie il y a quelques mois. «J’ai changé d’avis, je ne veux plus mourir, j’ai discuté avec une psychologue qui m’a fait changer.» Puis s’explique un peu plus : «Le changement ? C’est venu tout seul. L’idée de mourir c’est quand ma femme est morte, Soixante ans de mariage, je ne voulais plus vivre. Et là, non je fais comme les autres, j’attends maintenant.» Une mère revient consulter. On sait peu de leur histoire. Sa fille a pu bénéficier de la loi belge. «Ce fut une chance de le faire chez soi où tout le monde était là, elle a dit je suis prête, il y avait de la sérénité. Enfin, elle ne souffre plus, même si elle n’avait que 24 ans.» Le médecin l’écoute, ses yeux s’embuent de larmes. «C’est après, explique-t-il, que j’ai du mal à maîtriser mon émotion. On reste démuni.» Démuni et tendrement touché.

Les Mots de la fin, documentaire de Gaëlle Hardy et Agnès Lejeune. Belgique, 2020. Diffusion sur Arte le 13 juillet à 22h40, et d’ores et déjà disponible sur le site de la chaîne.


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