mardi 28 juin 2022

IVG : le cadeau de la Cour suprême à Vladimir Poutine, par Bernard Guetta

par Bernard Guetta, député européen, groupe Renew Europe  publié le 27 juin 2022

L’arrêt rendu contre l’interruption de grossesse réjouit le président russe, qui trouve un terrain d’entente avec Donald Trump et une part non négligeable des droites américaines et européennes. Avec la guerre et la crise, cette décision révèle les faiblesses occidentales au plus mauvais moment, estime Bernard Guetta.

Ce n’est pas qu’une attaque, brutale, frontale et conçue de longue date, contre les droits des femmes. Au-delà de cette agression contre une moitié de l’humanité, l’arrêt de la Cour suprême américaine revenant sur le droit à l’interruption de grossesse vient aussi souligner trois faiblesses des démocraties occidentales qui sont autant d’atouts pour Vladimir Poutine.

La première est que l’évolution des mœurs ne divise pas de moins en moins mais de plus en plus les sociétés américaines et européennes. Il n’y a nulle part de majorité pour appeler à recriminaliser l’avortement. L’acceptation de l’homosexualité et du mariage pour tous grandit même d’année en année mais…

Mais il y a un mais.

Exactement comme nombre d’électeurs acceptent désormais de se dire d’extrême droite après l’avoir si longtemps caché y compris à eux-mêmes, un nombre croissant d’Occidentaux en viennent à ouvertement regretter l’ampleur des droits acquis par les femmes et les LGBTQI +.

La situation n’est pas la même aux Etats-Unis où le puritanisme est un constituant essentiel de la droite religieuse qu’en Europe où les nouvelles extrêmes droites rejettent avant tout l’islam et l’immigration. En Europe et même aux Etats-Unis, très peu de ces nouveaux réactionnaires vont jusqu’à suivre le juge Clarence Thomas dans son souhait d’interdire maintenant la contraception et les relations homosexuelles. Certains acceptent l’avortement dans des circonstances exceptionnelles alors que d’autres le refusent absolument. La nostalgie du patriarcat d’antan n’a rien d’homogène en Occident mais la droitisation générale des échiquiers politiques, l’appauvrissement des classes moyennes et l’insécurité que l’affirmation des femmes et des homosexuels crée chez plus d’un homme conduit à un rejet toujours moins négligeable des droits des femmes et de la présence de couples de même sexe dans la vie courante.

Vladimir Poutine ne peut que s’en réjouir car outre que l’évolution de mœurs occidentales n’est pour lui qu’un signe de décadence, qu’elle lui fait horreur et qu’il la combat en Russie même, il trouve là un terrain d’entente avec une part croissante des opinions américaine et européennes. Cela fonde même sa profonde connivence avec Donald Trump et lui permet, surtout, de pouvoir tabler sur une fracturation politique des Etats-Unis.

Traditions, frontières et identités nationales

Il n’y a, en effet, pas que les femmes et l’homosexualité qui divisent l’Amérique et l’ensemble des pays occidentaux. Plus généralement, c’est tout l’héritage des sixties, le rejet des traditions et de la religion, de l’autorité hiérarchique, des nationalismes et des frontières, qui est aujourd’hui remis en question car, dans ces temps de bouleversements sociaux, économiques et géopolitiques, beaucoup d’Occidentaux cherchent à retrouver confiance dans l’avenir en fuyant dans le passé des traditions, des frontières et des identités nationales.

C’est si vrai que Donald Trump continue de donner le ton au Parti républicain et, là encore, Vladimir Poutine paraît incarner ces mêmes aspirations. Il en tire son deuxième avantage et le troisième est que le mécontentement social s’exprime beaucoup plus facilement et rapidement dans la liberté occidentale que dans une dictature.

Or si nous ne sommes pas forcément à la veille d’une nouvelle crise de 29, les tableaux de bord occidentaux virent au rouge. L’endettement devient toujours plus vertigineux alors que les taux d’intérêt repartent à la hausse. Le blocage des exportations de blé ukrainien renchérit spectaculairement les prix alimentaires et pourrait bientôt précipiter des régions entières dans la famine et la fuite vers l’Europe. Quant au retour de l’inflation, il est à craindre qu’il ne soit durable parce que la guerre d’Ukraine et le ralentissement des échanges internationaux sont source de pénuries et que l’inflation – «l’euthanasie du rentier», disait Keynes – reste le meilleur outil de réduction des dettes publiques.

Cela ne signifie nullement que Vladimir Poutine soit en grande forme. La résistance à laquelle il va continuer de se heurter en Ukraine l’affaiblit considérablement. La nature même de son régime interdit d’envisager une alternance politique permettant à la Russie de surmonter cette erreur historique. L’économie et le pouvoir d’achat russe reculent. Vladimir Poutine ne connaîtra pas une fin de règne heureuse mais la Cour suprême américaine vient de voler à son secours en donnant à voir, par un arrêt un seul, les trois faiblesses de l’Occident.


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