mercredi 15 juin 2022

Hôpital Face à la pénurie de soignants, les maternités amères

par Nathalie Raulin  publié le 14 juin 2022

Manque de moyens, fermetures en série d’établissements… Les professionnels, déjà très éprouvés par la pandémie de Covid, alertent sur la situation qui risque de perturber les accouchements dès cet été.

Combien de parturientes ne vont pas pouvoir accoucher cet été dans la maternité de leur choix et en toute sécurité ? De l’avis des professionnels de santé, les frustrations, voire les accidents, ne sont plus à exclure, tant les maternités françaises sont en souffrance. Ces dernières semaines, plusieurs établissements ont dû se résoudre à suspendre provisoirement leur activité faute de soignants en nombre suffisant pour assurer la sécurité des patientes. C’est vrai de la maternité du centre hospitalier du Chinonais (Indre-et-Loire) fermée depuis le 18 mai, la quasi-totalité des soignants s’étant mise en arrêt maladie. C’est aussi vrai de la maternité de Nevers qui, le 11 avril, a baissé le rideau huit jours durant, les 14 sages-femmes en poste sur les 26 nécessaires pour assurer le fonctionnement normal du service s’étant déclarées en burn-out. Un cataclysme dans ce département rural, qui ne compte plus qu’une seule maternité depuis la fermeture de celle de Cosne-sur-Loire en 2018. Et un stress pour les quelque 150 femmes sur le point d’accoucher qui, cette semaine-là, ont été redirigées vers Montluçon, Dijon, Auxerre ou Moulins.

Mais la série noire pourrait ne faire que commencer. A la maternité de Fougères (Ille-et-Vilaine), «un déficit aigu de gynécologues obstétriciens» fait ainsi craindre «un risque de rupture de continuité» dès le mois de juin. «Jusqu’à présent, l’établissement s’en sortait avec les intérimaires et l’aide des assistants du CHU, indique le Syndicat des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof) appelé à la rescousse. Mais, durant l’été, les premiers sont aux abonnés absents et les seconds doivent assurer leur propre tour de garde…»

Syndicats et organismes professionnels ne s’y trompent pas. «Toutes les maternités sont aujourd’hui en danger de fermeture définitive planifiée ou de difficultés de fonctionnement obligeant à des fermetures temporaires, a, dès le 11 mai, alerté le professeur Cyril Huissoud, secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). C’est absolument inédit, on n’a jamais vu cela à une telle échelle.» Mardi 31 mai, le Syngof s’est fait plus alarmiste encore : «L’accident est imminent. A un mois des vacances, le manque de médecins − y compris pédiatres et anesthésistes −, ainsi que de sages-femmes, atteint un niveau critique qui met en danger les femmes.»

Car, même quand les maternités restent ouvertes, les femmes à terme font déjà un peu partout les frais de la pénurie de personnels soignants. «Les établissements sous tension, contraints de transférer les parturientes en dernière minute, c’est de plus en plus fréquent,confirme Camille Dumortier, présidente de l’Organisation nationale syndicale des sages-femmes. C’est arrivé récemment en région toulousaine, dans la Drôme, ou dans les Hauts-de-France notamment. On l’apprend le plus souvent par la bande, via notre réseau de sages-femmes, car les établissements ne communiquent pas là-dessus. Mais on sait que, pour cet été, les ARS [agences régionales de santé, ndlr] de Bretagne et d’Auvergne-Rhône-Alpes sont inquiètes.» L’ARS Hauts-de-France aussi qui, le 19 mai dans son «suivi des maternités», admet des «tensions globalement fortes du fait de la démographie des professionnels» du secteur néonatal, et prégnantes «à court terme» notamment sur le littoral, dans l’Oise et l’Hainaut.

«Usines à bébés»

La situation est d’autant plus préoccupante que le maillage territorial des maternités s’est relâché. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), leur nombre a diminué d’un tiers en vingt ans, passant de 721 en 2000 à 478 en 2021. Ces regroupements, les professionnels de santé n’en contestent pas la légitimité, la trop faible activité de certaines structures ne permettant pas d’offrir un environnement sécurisé aux parturientes en cas d’accouchement difficile. Le mouvement de concentration s’est d’ailleurs jusqu’à présent opéré sans drame, le temps médian d’accès aux maternités étant demeuré raisonnable (de 7,9 minutes en 2000 à 9,1 minutes entre 2000 et 2017, selon la Drees). Mais le tableau pourrait s’assombrir. Conséquence logique de la concentration, l’activité des maternités a bondi, le nombre d’établissements effectuant plus de 2 000 accouchements par an ayant presque quadruplé entre 1995 et 2016. Les moyens humains et financiers, eux, n’ont pas toujours suivi. «On a créé des usines à bébés, des endroits où il y a treize salles d’accouchement et seulement trois sages-femmes pour surveiller trois ou quatre patientes en travail simultanément, s’étrangle Camille Dumortier. Ce n’est pas acceptable, ni pour les patientes ni pour les professionnels. Avant la crise sanitaire, les sages-femmes étaient déjà en quasi-burn-out. Depuis, le manque d’effectifs s’est encore aggravé. Pour ceux qui restent, cela veut dire encore plus de gardes et d’astreintes. Aujourd’hui, le ras-le-bol est complet.»

De fait, le vent a tourné. Après avoir longtemps pressurisé les soignants, les maternités n’arrivent désormais plus à les retenir. Pour cause, la demande de suivi gynécologique augmentant en ville, les sages-femmes, mortifiées devant la dégradation continue des conditions de soins, ont commencé à se détourner massivement de l’hôpital. Selon la Drees, la part des sages-femmes travaillant en milieu hospitalier a chuté de 73 % en 2012 à 59 % en 2021, alors que la part de celles exerçant une activité libérale (ou mixte), pas mieux rémunérée mais nettement moins contraignante, a bondi sur la période de 20 % à 34 %. Une tendance lourde, puisque désormais 40 % des jeunes sages-femmes n’exercent plus en établissement deux ans après leur sortie d’école…

Les postes vacants ne trouvant plus preneurs, certaines maternités ne tiennent aujourd’hui plus que sur l’abnégation des professionnels en place. Au risque du crash, comme en avril à Nevers. «On a pu rouvrir grâce à la mobilisation de la réserve sanitaire par l’ARS, explique Aurélie Perier, porte-parole des sages-femmes de la maternité de la Nièvre. Mais la direction n’a trouvé personne pour prendre l’un des 12 postes de sage-femme vacants depuis neuf mois (sur 26), et ce, malgré les avantages proposés comme le logement gratuit pendant neuf mois ou la reconnaissance immédiate du statut d’agent public. Après le départ de la réserve sanitaire le 14 mai, six infirmières ont été embauchées, ce qui permet aujourd’hui de tourner en mode dégradé. Mais comme une de nos sages-femmes prend sa retraite en juin, on n’arrive pas à boucler les tableaux de garde pour l’été. La question de la fermeture va se poser à nouveau.»

«Sur la corde raide»

Signe de la profondeur du mal, la pénurie touche désormais les mégastructures, à l’instar de la maternité du centre hospitalier de Saint-Denis, la plus importante de Seine-Saint-Denis avec un potentiel de 4 500 naissances. «Il y a un an et demi, l’équipe comptait 91 sages-femmes, soit le nombre requis pour fonctionner à plein régime. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 63, déplore le docteur Stéphane Bounan, chef du service gynécologie obstétrique de l’établissement. On n’arrive plus à remplacer les départs en retraite ou les mutations. Sur les six derniers mois, on n’a même reçu aucune candidature !» Pour continuer de tourner, l’établissement a dû réduire la voilure, fermer les cours de préparation à l’accouchement, la sophrologie ou le suivi par échographie, et concentrer ses sages-femmes sur les salles de naissance. En parallèle, les possibilités d’inscription pour accouchement ont depuis octobre été limitées à 300 par mois (contre 400 auparavant), en priorisant les grossesses à risque. «Malgré tout, on est sur la corde raide, admet le gynécologue. Le sous-effectif nous oblige tous les mois à refuser des urgences, voire à transférer certaines patientes sur le point d’accoucher vers d’autres établissements. Le dernier week-end de mai a été un vrai crève-cœur : alors que notre maternité est à même d’accueillir les grands prématurés, on a dû refuser de prendre en charge une grossesse in utero venant d’une maternité non équipée, alors même que cela peut entraîner une perte de chances pour le bébé…»



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