samedi 18 juin 2022

Entre deuil et déni, le scandale des adoptions forcées en Angleterre

Par

Judy holding a photo of J, her daughter, the day she was taken from her, in June 1968.
Judy dressed her in her best baby clothes

ENQUÊTE Judy, Veronica, Ann… Ces femmes font partie des quelque 250 000 Anglaises à avoir été séparées de leurs bébés nés hors mariage. Ces abandons, effectués sous la pression intense des institutions et de la société entre les années 1950 et 1980, ont bouleversé leurs vies et, souvent, celles de leurs enfants. Elles réclament aujourd’hui des excuses de leur pays.

1967. Cette année-là, les Beatles chantent All You Need Is Loveet l’avortement vient tout juste d’être légalisé en Angleterre et au Pays de Galles. « C’était l’époque du Swinging London, raconte Judy Baker, une énergique retraitée. J’avais 18 ans, j’ai rencontré le père de ma fille à Chelsea, au cœur de Londres, qui était l’endroit où l’on faisait la fête. Il avait 30 ans, il était très attirant et j’étais naïve. On a entamé une relation sexuelle régulière. » Judy Baker commence à prendre la pilule, disponible dans le pays depuis 1961. Trop tard, elle est déjà enceinte. « Je ne m’en suis pas aperçue tout de suite, parce que j’avais des règles irrégulières et que ma mère ne m’avait jamais rien expliqué sur le fonctionnement du corps féminin. »

La jeune fille est terrifiée, mais elle ne veut pas avorter, et le père de l’enfant est marié. A l’époque, dans ce pays qui entre de plain-pied dans la modernité après les années grises de l’après-guerre, être une « fille-mère » – une femme enceinte sans être mariée – est considéré comme une infamie. Inquiète, Judy Baker rencontre une assistante sociale à l’hôpital, le National Health Service (NHS), système de santé public et gratuit créé juste après guerre. « Elle m’a immédiatement dit : “Vous savez quelle est la solution, n’est-ce pas ? C’est l’adoption.” »

Un sujet encore tabou

Comme des milliers de Britanniques, Judy Baker a été confrontée, à peine sortie de l’adolescence, à un système cruel mais alors très répandu : l’adoption forcée. Comme en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada ou en Irlande. Sauf que, en Grande-Bretagne, ce procédé, qui a disparu dans le courant des années 1980, reste encore un sujet tabou, enfoui dans la mémoire nationale.

Judy Baker chez elle dans le Surrey, dans le sud de l’Angleterre, le 27 mai.

« On estime que 250 000 femmes, de moins de 24 ans en général, ont été placées dans des foyers mère-enfant [des institutions où leur grossesse était cachée] entre 1949 et 1976, estime Gordon Harold, spécialiste de l’adoption à l’université de Cambridge. Au moins 500 000 bébés y sont nés avant d’être présentés à l’adoption. Et il est très probable que ces chiffres soient sous-évalués. » Gordon Harold fut conseiller scientifique de l’Autorité chargée des adoptions en Irlande, pays dont le gouvernement a présenté, en 2021, des excuses publiques aux victimes irlandaises qui se sont vu confisquer leur nourrisson au sein de ces foyers.

La Grande-Bretagne est encore loin de cette démarche de mea culpa. Mais une enquête de la commission des droits humains du Parlement britannique a été lancée en décembre 2021. Elle explore les pratiques adoptives entre l’Adoption of Children Act de 1949, une loi clarifiant les droits à l’héritage des enfants adoptés et permettant aux familles adoptantes de masquer leur identité dans les dossiers d’adoption, et l’Adoption Act de 1976, instaurant un contrôle plus rigoureux des agences d’adoption. Cette commission devrait rendre son rapport cet été, avant la fermeture estivale de Westminster.

Une séparation traumatique

Judy Baker fait partie des rares victimes à avoir accepté de parler à visage découvert. A peine sa grossesse avouée à sa famille, elle est envoyée dans un foyer mère-enfant, près de Wimbledon, banlieue chic du sud de Londres. L’Angleterre compte alors environ 550 institutions de ce type. « Elles étaient pour la majorité gérées par l’Eglise catholique d’Angleterre, mais aussi par l’Eglise anglicane et l’Armée du salut, explique Gordon Harold. Elles travaillaient en étroite coordination avec les agences d’adoption. »

L’accouchement à l’hôpital est ­traumatique : Judy raconte le refus des infirmières de lui donner des antidouleurs et décrit leur rudesse. Elle se sent « comme un morceau de viande ». Elle se souvient aussi de la première rencontre avec sa fille – « je suis tombée instantanément amoureuse d’elle » – et du retour au foyer avec son bébé. « C’était un bon souvenir, j’étais juste une maman, je promenais ma fille en poussette dans le parc. »

Sept semaines après la naissance, l’agence d’adoption la contacte, explique avoir trouvé « les parents parfaits » pour son enfant et lui demande de l’amener « à la date du 26 juin ». La jeune fille obtempère. « Une assistante sociale a pris mon bébé, a quitté la pièce et c’était tout, il n’y a eu aucun mot de réconfort. Ma fille était endormie, elle ne s’est pas réveillée. Ma mère m’attendait au bas de l’agence, elle m’a emmenée faire du ­shopping. » Cinquante-quatre ans après les faits, Judy Baker est encore submergée par l’émotion à ­l’évocation de cette séparation.

Une pression sociale terrible

Gordon Harold note que, en Irlande, « des preuves récentes mettent en évidence un historique d’adoptions illégales : les certificats de naissance étaient falsifiés, les parents adoptifs étaient répertoriés comme parents biologiques de l’enfant »… En 2018, on estimait, selon lui, que jusqu’à 20 000 dossiers d’adoption depuis les années 1950 auraient été truqués. En l’état actuel des études et des témoignages, ce n’était pas le cas en Grande-Bretagne : les adoptions y étaient légales. Judy Baker a donné son consentement, comme des ­milliers d’autres futures mamans. Mais beaucoup d’entre elles racontent une pression sociale si forte que cela confine à la coercition.

« Nous n’avions pas le choix. On n’arrêtait pas de nous dire qu’il fallait le faire pour le bien du bébé, qu’il serait traité de bâtard si on le gardait, qu’on ne pourrait jamais se marier, qu’il aurait de superbes parents adoptifs, des opportunités qu’on ne pourrait jamais lui offrir. » Judy Baker

« Nous n’avions pas le choix, confirme Judy Baker. On n’arrêtait pas de nous dire qu’il fallait le faire pour le bien du bébé, qu’il serait traité de bâtard si on le gardait, qu’on ne pourrait jamais se marier, qu’il aurait de superbes parents adoptifs, des opportunités qu’on ne pourrait jamais lui offrir. Mes parents, qui étaient pourtant très aimants, n’ont rien dit, car ils voulaient me protéger des préjugés. » Les institutions autour des femmes, le système médical, le système judiciaire, les services sociaux, les institutions religieuses, l’école et les structures familiales, tous s’opposaient à leur libre arbitre.

« Une proportion non négligeable des filles-mères gardait néanmoins leur enfant, explique Michael Lambert, historien à l’université de Lancaster, un des rares spécialistes, avec Gordon Harold, des adoptions forcées en Grande Bretagne. Mais elles vivaient souvent dans un grand dénuement, car il n’y avait aucune aide financière prévue pour ellesLes jeunes filles concernées par les adoptions forcées venaient souvent de milieux modestes, où le mot-clé était respectabilité, et qui avaient une aspiration à s’élever dans l’échelle sociale. »

Un deuil « sans tombe où se recueillir »

Veronica Smith, 81 ans, a vécu cette même pression. Elle a 24 ans à l’été 1965, quand elle tombe enceinte lors d’un travail d’été dans un camp de vacances au sud de l’Angleterre. Quand cette jeune infirmière en parle à sa mère, celle-ci débarque de Londres. « Elle m’a dit qu’elle avait pris contact avec une agence d’adoption catholique, cela s’est fait sans discussion. Ma famille était très pratiquante. Elle m’a dit qu’il fallait en passer par là, que mon père ne devait rien savoir sinon ça le tuerait. Il n’a jamais rien su de ma grossesse. Avec le recul, je pense qu’il aurait accepté, c’était un homme bon. »

« Je n’ai pas eu de relation stable pendant de nombreuses années et je n’ai pas eu d’autres enfants. C’est comme si j’étais atteinte d’une sorte d’infertilité traumatique. Et puis, à la fin des années 1980, à la quarantaine, j’ai fait une dépression nerveuse. » Veronica Smith

Sa fille naît début 1966, elle est aussitôt adoptée par un couple qui s’expatrie au Canada. Veronica reprend le chemin du travail. « Je n’étais pas du genre à y penser tous les jours. Je voyais des couples avec des enfants, cela ne me faisait rien. Mais je n’ai pas eu de relation stable pendant de nombreuses années et je n’ai pas eu d’autres enfants. C’est comme si j’étais atteinte d’une sorte d’infertilité traumatique. Et puis, à la fin des années 1980, à la quarantaine, j’ai fait une dépression nerveuse. »

Veronica Smith est l’une des fondatrices de Movement for an Adoption Apology (« mouvement pour obtenir des excuses publiques au sujet des adoptions »), lancé au début des années 2010. L’association s’inspire des excuses publiques prononcées par la première ministre australienne Julia Gillard, en mars 2013, les premières dans le monde à propos des adoptions forcées.

Veronica Smith le 26 mai chez elle, près de Brighton. Derrière elle, les photos des enfants et petits-enfants de son mari, et une de son petit-enfant à elle, né de sa fille, avec laquelle elle a repris contact.

« Nous avons tout essayé pour attirer l’attention des politiques, raconte cette femme qui se dit encore très « en colère » par l’adoption imposée de sa fille. Ce n’est qu’en 2018 que la députée travailliste Alison McGovern a obtenu un débat à la Chambre des communes. » Veronica Smith affirme parler « pour toutes celles qui n’osent pas s’exprimer » par peur du jugement d’autrui.

« Il y avait l’idée que cette rupture nette permettrait à la mère biologique d’avoir une vie normale après l’adoption, c’est-à-dire comme on la concevait à l’époque : se marier et fonder une famille. » Michael Lambert, historien

Comme à des milliers d’autres femmes dans son cas, les représentants des autorités de l’époque lui ont expliqué que faire adopter sa fille lui offrirait un nouveau départ. « Il y avait l’idée que cette rupture nette permettrait à la mère biologique d’avoir une vie normale après l’adoption, c’est-à-dire comme on la concevait à l’époque : se marier et fonder une famille », décrypte Michael Lambert.

Souvent, il se passe tout le contraire : les adoptions forcées provoquent chez les mères de profonds sentiments de honte, de culpabilité, des décennies de difficultés dans leur vie amoureuse, souvent une incapacité à avoir d’autres enfants. « C’est comme si nous avions vécu un deuil, sauf que votre bébé n’est pas mort, souligne Judy Baker. Vous n’avez pas de tombe où vous recueillir. »

Absence de compassion

Beaucoup de femmes se plaignent aussi des mauvais traitements subis au moment de leur accouchement. En 1966, Ann Keen, 17 ans, tombe enceinte d’un homme qui lui a caché être marié, dans une petite communauté du nord du Pays de Galles. Son père est ouvrier métallurgiste, sa famille modeste mais respectée. Face à l’hostilité des siens, elle part dissimuler sa grossesse dans un foyer mère-enfant et confie son bébé, un petit garçon, aux services de l’adoption.

« J’ai eu une épisiotomie. Le docteur m’a recousue sans anesthésie. A chaque fois que je bougeais, il me tapait sur la jambe. Au début, je pensais être la seule à avoir été si mal traitée, mais, quand vous écoutez les autres témoignages, ils sont très similaires.  » Ann Keen

Elle se souvient de l’absence de compassion, voire de la cruauté du personnel médical. « A l’hôpital, on m’a dit que j’aurais mal [durant l’accouchement] parce que j’étais une mauvaise fille. J’ai eu une épisiotomie. Le docteur m’a recousue sans anesthésie. A chaque fois que je bougeais, il me tapait sur la jambe. Au début, je pensais être la seule à avoir été si mal traitée, mais, quand vous écoutez les autres témoignages, ils sont très similaires. »

Juste après la naissance, elle se bat pour avoir le droit de voir son fils. « Les infirmières ne voulaient pas. A force d’insister, l’une d’entre elles, plus gentille que les autres, m’a autorisée à le voir pendant dix jours, mais m’a dit qu’il ne fallait pas que je m’attache à lui. » Ann nourrit son bébé au sein. Elle raconte la suite, la voix pleine de larmes : « Au huitième jour, je me suis rendue à la nurserie, mais il n’était plus là. Je n’ai même pas pu lui dire au revoir ! Une infirmière m’a dit qu’il attendait sa nouvelle maman dans un autre bâtiment, elle m’a emmenée dans une salle de bains et a tiré mon lait en me disant : “Tu n’en as plus besoin”. J’ai eu le sentiment que j’étais finie, plus bonne à rien, c’était affreux. »

Ann Keen, dans sa maison de la banlieue sud de Londres, le 6 juin.

Malgré cette terrible expérience, Ann Keen deviendra infirmière qualifiée, députée travailliste puis secrétaire d’État à la santé du cabinet de Gordon Brown, au début des années 2000. Mais la honte et le poids du secret l’ont longtemps poursuivie. « Quand les femmes vous disent que vous avez préféré votre carrière aux enfants [Ann Keen n’en a pas eu d’autres], que pouvez-vous répondre ? Que vous avez fait adopter votre fils ? Que va-t-on penser de vous ? Les gens seront horrifiés. Quand Gordon Brown m’a proposé d’entrer dans son cabinet, j’ai hésité, je ne voulais pas que mon parcours lui porte préjudice, c’est vous dire à quel point la honte reste enfouie. »

Des retrouvailles parfois compliquées

A partir de 1976, les droits des enfants adoptés deviennent mieux protégés, l’accès à leur acte original de naissance est facilité, tout comme les retrouvailles avec leurs parents biologiques – jusqu’alors, ils n’avaient pas accès à leurs dossiers d’adoption. Ann Keen fait connaissance de son fils au milieu des années 1990. « J’ai vu un jour débarquer dans ma cuisine un jeune homme extrê­mement séduisant, c’était lui ! Il avait 27 ans, il venait d’apprendre par hasard, une semaine plus tôt, qu’il était un enfant adopté. Sa marraine lui a livré ce secret de famille : sa mère et son père, avec lequel il avait des ­rapports difficiles, n’étaient pas ses parents biologiques. »

Les retrouvailles sont heureuses. « Au début, on était ­inséparables, il était comme mon bébé ! Nous sommes encore très proches. Il est dresseur de chevaux, il vit en Afrique du Sud. C’est un jeune homme très attentif. Enfin, un jeune homme de 55 ans ! »

Une photo d'Ann Keen avec son fils Jason, prise en 1998, peu de temps après leurs retrouvailles.

Les rencontres mère-enfant ne se déroulent pas toujours aussi bien. A la fin des années 1980, Veronica Smith, du Movement for an Adoption Apology, a un déclic : elle écrit à l’agence qui s’est occupée de l’adoption de sa fille ainsi qu’aux autorités canadiennes et parvient à retrouver sa trace. Mais cette dernière n’a accepté de la rencontrer que douze ans après avoir su qu’elle avait une mère biologique : « Au moment où elle a eu elle-même un bébé, elle m’a envoyé une photo de son bébé, c’était charmant. » Depuis, elles ont eu des hauts et des bas, explique Veronica. Ces derniers temps, elles s’échangent beaucoup de textos. « Mais on ne s’est pas vues pendant presque deux ans à cause de la pandémie. »

« Notre première rencontre a été catastrophique », témoigne de son côté Judy Baker. Elle a revu sa fille, qui avait alors 32 ans, en 2000. Les deux femmes sont débordées par l’émotion. « Elle a eu une attaque de panique, avait peur que je disparaisse à nouveau », raconte Judy Baker. Aujourd’hui, leur relation est en dents de scie. « Pendant un moment, on n’a pas pu se passer l’une de l’autre, puis elle a mis de la distance, elle trouvait ça trop difficile. » Pour sa fille, le lien avec sa mère biologique est bien là, mais aussi la souffrance d’en avoir été brutalement séparée. Judy Baker explique aussi témoigner pour que le préjudice subi par sa fille soit reconnu. Cette dernière a été adoptée par une famille aimante, mais a longtemps pensé qu’elle avait été abandonnée parce qu’elle n’était pas digne d’amour.

Les enfants adoptés sont des victimes qui ont besoin d’un soutien psychologique spécifique, insistent les militantes du Movement for an Adoption Apology. « Beaucoup d’entre eux apprennent tardivement qu’ils ont été adoptés, constate Gordon Harold. La honte liée à l’infertilité valait aussi pour les familles adoptives, qui ont souvent caché l’adoption. Des milliers de Britanniques ignorent encore qu’ils sont des enfants adoptés. »

La « blessure primitive » des adoptés

Habitante du Surrey, au sud de Londres, et volontaire dans un hospice, Liz Harvie, 48 ans, a été adoptée à huit semaines, en 1974. « Ma mère biologique s’appelle Yvonne, raconte-t-elle.Ma famille adoptive habitait à Birmingham, pas très loin du domicile de ma mère biologique. » Elle décrit une enfance plutôt privilégiée, « avec cours de ballet et de piano dans une famille de la classe moyenne ». Contrairement à d’autres enfants dans son cas, Liz apprend toute petite qu’elle vient « du ventre d’une autre maman » : « Ma mère adoptive me l’a dit quand j’avais 2 ou 3 ans. »

Liz Harvie, 48 ans, a été adoptée à huit semaines, en 1974 (ici, chez elle, dans le Surrey). Elle a rencontré sa mère biologique, Yvonne, en 2002.

Très tôt pourtant, elle s’interroge sur son identité, elle se sent seule, un peu perdue, se demande souvent ce qu’elle a pu faire pour avoir été abandonnée. Elle « harcèle » ses parents adoptifs qui lui laissent consulter son dossier d’adoption quand elle a 16 ans. Elle découvre qu’elle s’est d’abord appelée Claire, entreprend quelques années plus tard la démarche de retrouver sa mère biologique. La rencontre n’a lieu qu’en 2002, quand elle a 28 ans, après de nombreuses réunions avec les services sociaux qui veulent s’assurer qu’elle est prête et à la suite d’échanges épistolaires avec sa mère biologique. « J’ai été longtemps partagée entre l’envie désespérée de retrouver mes racines mais aussi l’angoisse de trahir ma famille adoptive. »

Les retrouvailles sont intenses. « On s’est donné rendez-vous dans un pub de l’Oxfordshire, je l’ai tenue très longtemps dans mes bras, on ne voulait pas se séparer. Ma mère n’a jamais voulu m’abandonner, elle désirait me garder. » La mère biologique et sa fille se voient assez peu mais restent en contact sur les réseaux sociaux. Liz Harvie a aussi repris contact avec son père biologique, qui vit à l’étranger. Elle s’est mise à militer au sein du Movement for an Adoption Apology, il y a deux ans. « Depuis, je n’ai plus l’impression d’être seule, je peux enfin exprimer mes émotions. »

Une photo d'Yvonne, la mère biologique de Liz Harvie, ainsi que d’autres clichés que cette dernière lui a envoyés récemment.

Elle aimerait bénéficier d’un soutien psy­chologique spécifique pour réparer le fait d’avoir été privée de sa mère biologique. Une absence de lien qui a créé, selon elle, cette « blessure primitive » si souvent évoquée par les adoptés. Elle milite aussi pour un accès rapide et complet aux dossiers d’adoption, notamment pour des raisons médicales, afin de mieux tracer certaines pathologies congénitales.

Des excuses publiques qui tardent à venir

Les dizaines de milliers de victimes estiment qu’il n’est que trop temps pour l’État de faire amende honorable pour les injustices subies. « Ces adoptions forcées sont une tache sur l’âme nationale de notre pays, déplore Gordon Harold. Ces femmes, ces enfants et ces familles méritent l’attention, les soins appropriés et la reconnaissance publique des énormes souffrances infligées. »

« Je veux que mon nom et celui de toutes les autres soient blanchis. Car je n’ai pas abandonné mon fils, on m’a forcée à l’abandonner.  » Ann Keen

Pour Judy Baker, « les excuses publiques sont essentielles pour toutes celles qui restent prisonnières de ces affreux secrets, celles à qui on a répété qu’elles étaient de mauvaises personnes alors qu’elles étaient victimes d’un système qui leur a fait porter tout le blâme ». De la même façon, Ann Keen lance : « Je veux que mon nom et celui de toutes les autres soient blanchis.Car je n’ai pas abandonné mon fils, on m’a forcée à l’abandonner. »

Auditionné le 25 mai, le ministre de l’éducation Nadhim Zahawi, s’exprimant au nom du gouvernement conservateur de Boris Johnson, s’est dit « désolé » que de telles pratiques,« inadmissibles », aient pu advenir. « La société dans son entier a laissé tomber ces femmes et ces enfants », a-t-il affirméLe ­secrétaire d’Etat a cependant assuré que « le gouvernement de l’époque n’était pas activement engagé dans ces pratiques » et a refusé de promettre des excuses publiques.

Pourquoi le Royaume-Uni tarde-t-il tant à réagir « Ce pays pense qu’il n’est pas comme les autres, il a du mal à reconnaître que ces faits se sont déroulés ici, comme dans d’autres pays du Commonwealth », ­suggère Michael Lambert, de l’université de Lancaster. « Nadhim Zahawi a manqué de considération pour nous, pour les mères, s’énerve Liz Harvie, présente à l’audition. Il a refusé de reconnaître que les personnels des maternités, les infirmières, les assistantes sociales, dont beaucoup se sont mal ­comportées envers les mères biologiques, travaillaient pour l’Etat ! »


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