jeudi 16 juin 2022

A la barre Procès du «violeur de la Sambre»: les deux visages de Dino Scala

par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille  publié le 15 juin 2022 

Depuis vendredi, la cour d’assises de Douai sonde la personnalité de l’homme accusé de 56 agressions sexuelles, viols et tentatives de viols. Les débats laissent pour l’instant apparaître le profil d’un individu indifférent et manipulateur.

«J’ai commis des agressions sexuelles et des viols.» Enfin, il l’a dit, en réponse à la question d’une avocate : «Qu’avez-vous fait, monsieur Scala ?» Depuis plus de deux heures, Dino Scala, 61 ans, celui qu’on a surnommé le «violeur de la Sambre», parle de lui, en ce premier jour de son procès à la cour d’assises de Douai (Nord), vendredi. Volubile sur le quotidien de sa vie, allusif sur ce qu’on lui reproche. Il est accusé d’avoir agressé sexuellement, tenté de violer et violé pendant trente ans 56 femmes dans le val de Sambre. Le procès-fleuve est prévu pour durer trois semaines. Les auditions des victimes se tiendront les dix prochains jours, suivies de celles des psychiatres.

Pendant la lecture du résumé du dossier – une litanie de prénoms féminins, d’âges, entre 13 et 48 ans, et de dates, de 1988 à 2018 –, il est resté immobile, figé, sans regarder les victimes. «J’ai l’impression d’être devant une affiche», dira l’une d’elles. Un visage comme renfrogné, des yeux enfoncés sous l’arcade des sourcils, ce qui alourdit son regard d’une ombre constante, une chemise à rayures des plus classiques. Le «monsieur moyen» qu’a recherché la police judiciaire pendant des années. Puis le président de la cour, Erik Tessereau, l’interpelle, l’interroge sur sa personnalité : Dino Scala se lève et s’anime, les mains expressives, la voix assurée. Quelqu’un d’autre.

Vocabulaire de la chasse

Il y a Dino 1, le travailleur acharné, CAP d’électro-mécanicien, chargé de la maintenance chez des sous-traitants de Jeumont Electric, qui cumulait temps plein et travail au noir. Jamais de vacances : il se faisait payer ses congés plutôt que de les prendre. L’entraîneur de foot reconnu, le père fusionnel avec ses trois enfants – enfin, ceux du deuxième lit. Le gendre admirable, qui passe tous les soirs toiletter et coucher son beau-père, atteint de la maladie de Parkinson. Le fils qui, sans grand amour de sa mère, «une grenouille de bénitier», passe la voir tous les jours, à la sortie du travail. Aujourd’hui encore, il lui écrit chaque semaine.

Et il y a Dino 2, qui met son réveil à 4h40 du matin, quitte le domicile à 5h15 en automne et en hiver, quand il fait encore noir. Il circule sur les boulevards, à Maubeuge ou ailleurs, près des écoles et des hôpitaux, là où les femmes commencent leur travail tôt. Epie dans les villages les maris qui se rendent au travail, embrassent leurs épouses sur le pas de la porte et les laissent seules. Choisit ses proies ou repère les endroits isolés, où il peut se poster à l’affût. Dino Scala aime le vocabulaire de la chasse. Petit, il allait braconner avec son père. «La pulsion finale, pour lui, c’est un peu comme un chasseur qui tombe sur le gibier et s’apprête à faire feu», rapporte l’enquêteur de la PJ Raphaël Philippot. Depuis l’âge de 12 ou 13 ans, reconnaît-il, il sait qu’«il y a quelque chose qui ne va pas envers les femmes». Sa «technique» – étrangler par-derrière et tirer les femmes vers un endroit tranquille, derrière des buissons ou des bâtiments abandonnés – il l’a apprise à l’armée. Puis après ces cinq minutes de flambée de violence, agressions sexuelles ou viols accompagnés parfois de coups de poing, parfois sur des femmes qui perdent connaissance, il range les affaires des victimes en un petit tas bien ordonné, pour qu’elles les retrouvent. «Peut-être pour se faire pardonner», imagine Raphaël Philippot. Ensuite il embauche à 6 heures du matin, sans rien laisser paraître. Il redevient ce bon camarade, jovial, toujours prêt à rendre service.

Des deux femmes de sa vie, première et deuxième épouses, il ne dit que du mal : des paniers percés, qui lui ont laissé des dettes. «Je ne sais pas à quoi elles dépensaient l’argent.» L’argent, l’argent, le mot revient en boucle dans sa bouche. De la première, il a divorcé en 1988. La seconde le soutient toujours, malgré l’affaire. Elle, pas de chance, il la découvre dépressive. «Il faut vivre avec quelqu’un comme ça pour comprendre, souligne-t-il. Elle me faisait au moins une fausse tentative de suicide par mois.» Franck Martins, le commandant de la brigade criminelle de la PJ de Lille, note : «Il en veut aux femmes, il veut se venger sur elles de ce que ses femmes lui ont fait subir. Il nous dit que sa première envie, c’est de les frapper. Ensuite ça dérive en mode sexuel.»

«Baffes, coups de ceinture, martinet»

Dino 1, avec sa vie normale, a du ressentiment à revendre. Il serait prêt à discourir des heures, sur ce président de club de foot qui l’a viré de son poste d’entraîneur. Côté boulot, il a vécu 14 licenciements, au rythme des dépôts de bilan. A chaque fois, il était repris, mais avec un salaire moindre. Il continuait pourtant le même job, la maintenance sur le site de Jeumont Electric, où il a passé toute sa carrière. C’est d’ailleurs sur le parking de l’entreprise que sera repérée sa voiture, à 300 mètres du lieu de sa dernière agression, en février 2018. Autre rancune enkystée, la reprise de l’entreprise familiale par ses deux frères, dont il s’estime évincé.

— «Elle est compliquée, votre famille, remarque le président du tribunal, en douceur dans l’approche.

— Un peu beaucoup, répond Scala.

— Vous pouvez préciser ?

— Non, je ne préfère pas.»

Il consent à décrire un climat de violences, une éducation avec «baffes, coups de ceinture, martinet», quand des bêtises étaient commises. Un père volage, une mère jalouse, ce qui créait des tensions constantes à la maison. «Mes parents se battaient, nous, on intervenait pour les séparer», explique-t-il. A la barre, l’une de ses deux sœurs, deux ans de moins que lui, a témoigné de viols commis par le père entre l’âge de 4 et 12 ans. Elle s’est mariée dès ses 18 ans et a coupé les ponts. C’est la première fois que Dino Scala la revoyait, depuis quarante et un ans. Il n’a jamais su pourquoi elle était partie, n’a jamais vraiment cherché à savoir. «Je n’ai pas osé aller voir ce qui se passait», explique l’ancien enfant de chœur, qui l’est resté jusqu’à sa majorité. L’énorme non-dit est posé, un abcès, et la cour essaye de le percer. Le président du tribunal, d’abord. Puis sa femme : «Il faut que tu brises cette omerta, Dino !» Enfin son avocate, en fin de journée, lundi. «Ce ne sont que des doutes,répond-il devant son insistance. Des images de mon père dans ma chambre, des bruits de pas qui font peur, mais c’est tout.»

Devant la cour, il revêt sa carapace de bon gars, qui n’aime plus sa femme, mais se sent un devoir de rester avec elle. «Elle m’attend, elle prévoit déjà l’avenir. Ça reste mon épouse, elle a besoin de moi»,dit-il. Il ajoute un bémol : «Mais c’est moi qui gérerai l’argent de ma retraite, si je sors dans quelques années.» Il rêve d’une maison à la campagne, dans le Limousin. Sa femme ne voit pas si loin, elle n’est que douleur à la barre : «Je vis au jour le jour», s’écrie-t-elle. Elle ne sait rien des projets de Scala, tombe des nues.

«Il parle de son chat»

L’inspectrice de personnalité fait état d’une «sexualité peu épanouie», Mme Scala a des hémorragies récurrentes. Mais l’accusé ne sait pas trop de quoi elle souffre, une «perte d’enfant», suppose-t-il. Elle est atteinte d’endométriose, en fait. «J’ai tellement vu de médecins avec ma deuxième épouse que je saurais plus vous dire»,s’excuse-t-il. Sous cette image d’homme attentionné qu’il tient tant à construire, il apparaît indifférent. «Il est victime d’un tas de choses, il parle de son chat, qui lui manque, pour vous attendrir, note le commandant de la PJ de Lille, Franck Martins. Il crée ainsi une ambiance avec vous, il va vous emmener là où il veut vous emmener.»

L’un des enjeux du procès, c’est de déterminer ce que sait Dino 1 de Dino 2, s’il y a déni et refoulement, ce qui expliquerait les hésitations récurrentes de l’accusé, ses souvenirs qui remontent d’un coup, sur un détail. Ou si Dino Scala est manipulateur. «Il ne veut pas être condamné pour des faits qu’il n’a pas commis», a précisé d’emblée son avocate, Me Margaux Mathieu. Lundi après-midi, sont venus témoigner ses deux ex-belles-sœurs, et une de leurs amies. Ses premières victimes supposées, dans les années 80. La plus jeune avait alors 19 ans, elle est aujourd’hui toute de mépris devant celui qu’elle appelle «le pervers», le défie du regard, impérieuse. Elle a été la première à le percer à jour. Un matin, elle se réveille vaseuse, à moitié déshabillée, sans souvenir de la nuit. Sûre d’avoir été droguée par Dino Scala. «J’ai tout déballé. Ma mère ne m’a pas crue. Pour elle, c’était le gendre idéal.»

Au lycée, elle se confie à sa meilleure amie. Celle-ci lui avoue que son beau-frère l’a aussi agressée, elle ne s’en est sortie qu’en affirmant qu’elle était réglée. S’avance à la barre la deuxième sœur : un soir de novembre 1986, Dino Scala a voulu se glisser dans sa couche, se faire passer pour son mari, qu’il savait absent. Elle a crié, il s’est enfui, oubliant ses baskets, qu’elle a reconnues ensuite devant la porte de la maison. Aucune des trois femmes n’a porté plainte, elles ne sont là qu’à titre de témoins. Dino Scala, de bonne composition, reconnaît les faits, qu’il avait niés jusque-là. Sauf pour celle qui ne le craint pas. «Non, ce n’est pas vrai. Je n’y crois pas, moi, à la drogue.» Le président le reprend : «Il n’y a que vous qui pouvez savoir.» Même à son procès, Dino Scala, ce monsieur moyen, violeur en série de la Sambre, continue de choisir ses victimes.


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