mardi 17 mai 2022

Transparentalité Claire, mère trans: «Si vous ouvrez un éventail de possibilités à une enfant, elle s’en empare»

par Virginie Ballet  publié le 16 mai 2022 à

Claire, graphiste et illustratrice, a créé un blog pour raconter son quotidien de mère transgenre au sein d’une famille homoparentale, et fournir des ressources pour expliquer la transidentité aux enfants.

Au commencement était un conte. Bien sûr, il y était question d’un château, et d’un prince. Un prince malheureux, mais qui ne savait pas vraiment pourquoi… Tout juste savait-il que «quelque chose clochait» entre son reflet dans le miroir et la manière dont il se percevait. Cette histoire, celle du «Prince qui était une princesse»,Claire, illustratrice francilienne de 48 ans, l’a créée de toutes pièces il y a bientôt dix ans, pour expliquer sa transidentité à sa fille, alors âgée de 4 ans. Ensemble, elles avaient un jeu, prétexte à des moments de complicité : inventer des histoires, que Claire crayonnait en temps réel, la petite sur les genoux.

Cette histoire-là, Claire l’a conclue par : «Et moi, je suis comme ce prince.» Si ce conte a vu le jour, c’est parce qu’à l’époque, fin 2012, «au moment du délire des manifs réac» contre le mariage pour tous, peu de ressources francophones étaient disponibles sur la parentalité trans, a fortiori pour des enfants en bas âge. Claire, alors séparée depuis peu de son ex-compagne, l’autre mère de l’enfant, ressentait le besoin impérieux d’expliquer à sa fille ce qu’elle vivait. Un «gros morceau», résume-t-elle. «Parler à ma fille était essentiel, prioritaire, parce que je ne pouvais pas faire autrement que d’être qui je suis. Je voulais la faire entrer dans mon monde, sans avoir l’impression de lui cacher quelque chose. Une famille, c’est aussi cela», déroule Claire.

«On existe»

L’histoire de cette princesse atypique permet à Claire et sa fille de prolonger «ces moments d’échange», avec une mise à distance qui autorise toutes les questions enfantines. «Elle avait – et elle a encore parfois – une forme de réserve bienveillante, qui fait qu’elle peut marcher sur des œufs. Le conte permet de ne pas avoir à poser de questions directes, mais plutôt sur le personnage», se remémore Claire. Restait une question centrale, sur laquelle la famille a «tâtonné» : comment se faire appeler ? «Ce qui me gênait, c’était le mot “papa” en public, surtout dans le contexte de l’époque, avec les manifs contre le mariage pour tous.» Après avoir expérimenté des «petits noms mignons», elles ont finalement opté pour le prénom. Grâce au support imagé qu’elle a créé, Claire a pu aussi aborder le rôle des hormones dans le corps, pour faire comprendre sa transition, et les changements physiques qu’elle allait impliquer. «Ma fille était petite, dans une phase de découverte très riche. Si vous ouvrez un éventail de possibilités à une enfant, elle s’en empare. Sans doute que lui parler a permis aussi d’ouvrir des horizons sur le spectre LGBT, de ne pas rester dans des cases», observe Claire en souriant.

«Quand je pense aux films d’Almodóvar, dans lesquels les parents trans se cachent vis-à-vis de leurs enfants, je me dis qu’on n’est plus trop là-dedans aujourd’hui, mais plutôt dans l’idée d’être fiers.»

—  Claire

Par la suite, la dessinatrice rencontre celle qui est désormais sa compagne depuis neuf ans, et continue de croquer le quotidien de sa famille homoparentale, à temps perdu, pour son plaisir. Jusqu’à ce jour de 2017 où elle décide d’ouvrir un blog et d’y partager ses croquis. Comme pour clamer : «On existe», à une société française qu’elle juge pour le moins «frileuse» face à la parentalité trans. Et donner des clés aux parents ou futurs parents trans, parfois sous forme de tutos : que faire quand on ne vous genre pas correctement ? Quels livres se procurer pour parler à son enfant ? Au fil du temps, Claire et sa compagne ont pris le parti de raconter sur le blog «les beaux moments, plutôt que ceux plus durs. Parce que notre communauté a son lot de faits divers sordides». Il y a par exemple cette «punchline mignonne» de sa fille, aujourd’hui âgée de 14 ans, qui l’a marquée durablement. Un jour où elle avait passé la nuit chez une copine, la mère de cette dernière relate à Claire cette phrase de la jeune fille, qu’elle n’a pas comprise tout de suite : «J’ai trois mamans : une maman-maman, une belle-maman, et une maman trans.»

«L’idée d’être fiers»

Parmi les moments durs, sur lesquels Claire préfère ne pas s’appesantir, il y a cette difficulté à faire modifier le livret de famille, pour qu’il s’accorde avec son identité de genre féminine, ce qui ne peut se faire qu’avec l’accord de l’autre parent. Qu’à cela ne tienne : «Je ne m’en sers pas. Je préfère contourner le truc, faire autrement», tranche Claire. Bien sûr, il y a aussi parfois de l’intolérance, des ignares qui emploient le mauvais pronom, voire, insultent, mais à écouter la quadragénaire, tout cela ne pèse pas bien lourd face à la palanquée d’avancées qu’elle a pu observer depuis son coming out il y a dix ans, et qui lui donnent «un véritable espoir pour les générations futures». Elle cite, pêle-mêle, ce drapeau trans floqué du mot «respect» qui orne les murs d’une salle de classe du collège de sa fille, ces comptes, de plus en plus nombreux sur les réseaux sociaux, qui rendent visibles ces parentalités trop longtemps «taboues», ces groupes d’entraide entre parents…

Et puis, cette victoire judiciaire d’une autre Claire, une femme trans reconnue comme mère après huit ans de combat judiciaire en février dernier. «Ce jour-là, j’ai pleuré de joie», rembobine-t-elle.«J’ai espoir que ça ouvre une réflexion pour toutes ces familles jusque-là plus discrètes, appuie-t-elle. Quand je pense aux films d’Almodóvar, dans lesquels les parents trans se cachent vis-à-vis de leurs enfants, je me dis qu’on n’est plus trop là-dedans aujourd’hui, mais plutôt dans l’idée d’être fiers.» Claire se dit décidée à continuer de «militer avec ses crayons», et travaille à des dessins animés pédagogiques sur la parentalité trans. Elle rêverait de pouvoir publier le Prince qui était une princesse, non sans l’avoir remis au goût du jour. «Avec le recul, peut-être que c’était un peu normatif»,note-t-elle. Ces temps-ci, l’illustratrice a en tête l’histoire d’un dragon non binaire. Un personnage souvent pointé du doigt comme agressif, mais qui serait en réalité «un pote chouette, avec lequel on pourrait compatir». Et qui pourrait, qui sait, mettre le feu aux préjugés.


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