jeudi 26 mai 2022

Sale temps pour les enfants

par Tania de Montaigne  publié le 28 mai 2022 

 Des enfants de jihadistes bloqués dans les camps syriens aux écoliers morts dans la tuerie de l’école primaire d’Uvalde, tous payent le prix de la folie des adultes.

Il était une fois des enfants qui étaient nés là où on les avait fait naître. C’était un phénomène assez fréquent, les enfants étant des êtres peu contrariants par nature, ils avaient tendance à naître là où on leur disait de naître. Et, si tout un chacun s’accordait sur le fait qu’un lieu de naissance est rarement le résultat d’un choix de la part de celui ou celle qui naît, il se trouve que, pour ces enfants-là, il y avait un petit doute. Un gros doute, même. Ce doute venait de leurs parents. Chose assez fréquente avec les enfants, ils ont des parents, ça a été scientifiquement prouvé. Et, dans le cas de ces enfants-là, on trouvait qu’ils ne faisaient pas tellement d’effort, leurs parents laissaient à désirer.

Dette infinie

Le passé posait problème. Vous me direz, comme pour le lieu de naissance, il est assez rare de choisir ses parents et donc, son passé. Mais quand même, concernant ces enfants-là, beaucoup se demandaient s’ils ne l’auraient pas un peu fait exprès. C’est vrai, qui a l’idée d’avoir des parents jihadistes ? C’est quand même bien le signe d’une mauvaise volonté manifeste. Et puis, sans ça, pourquoi ces enfants seraient-ils nés en Syrie, au cœur de l’Etat islamique ? A-t-on idée, quand on est Français, de naître dans ce genre d’endroit ? Des enfants bien sous tous rapports n’auraient jamais fait une chose pareille. Ils auraient choisi des parents boulangers, médecins ou instituteurs et seraient nés dans une commune ayant obtenu le label «villes et villages fleuris», comme tout le monde. C’est quand même pas compliqué de grandir paisiblement dans un petit pavillon en bordure d’un trou de verdure où chante une rivière. Alors que, ces enfants-là, eux, vivaient dans des camps entourés de barbelés, abandonnés de tous, sans nourriture, sans hygiène, sans soins, sans école. Conditions de vie déplorables et parfaitement illégales, certes, mais pourquoi auraient-ils besoin de vivre dans des conditions humaines ? Ils l’avaient certainement cherché. Quand on a des parents comme ça, on doit forcément être partie prenante de quelque chose, même si on a 5 ans, non ?

Pour tout dire, ces enfants-là étaient Français, mais, chacun faisait comme si c’était un détail sans importance, une simple notice en bas de page. On disait même que, à bien y regarder, tout ça était pour le mieux puisque, ces enfants-là deviendraient forcément terroristes eux-mêmes un jour ou l’autre, c’était scientifiquement prouvé, c’était dans leurs gènes. Ils valaient mieux qu’ils restent loin. Pour eux, la dette était infinie et, ils n’auraient pas assez de toute une vie pour la payer. Une dette qui n’était pas la leur mais après tout quelle importance, ils n’avaient qu’à faire un effort à la naissance et se trouver d’autres parents, irréprochables ceux-là. C’est bien connu, quand on veut, on peut.

Sale temps pour les enfants.

Trucs d’enfants

Imaginez encore d’autres visages dans un autre pays. Un pays, où, quand on aurait moins de 21 ans, on ne pourrait pas acheter d’alcool, pas s’asseoir dans un bar, ni jouer au casino, mais, en revanche, on pourrait y acheter des armes. Des armes de toutes sortes, des grosses, des petites, des moyennes, des armes de poing, des armes de chasse, des armes de guerre. On achèterait des armes comme on achèterait un livre, un sac à main ou une paire de baskets, ce serait rapide et simple. Basique. Même pas besoin de se déplacer, ça se ferait en quelques clics. Même pas besoin d’avoir d’argent, ça ne coûterait presque rien. Et ça irait très vite. En deux jours à peine, ça arriverait chez vous. Bien emballé dans un petit colis. Simple. Il était une fois 19 enfants qui vivaient dans ce pays-là, ce pays où on achetait des armes comme on achèterait une baguette de pain. Ces enfants-là allaient à l’école. Ils y faisaient des trucs d’écoliers comme, apprendre à lire, à écrire, à compter. Comme, rire, courir ou chanter. Des trucs d’enfants qui vont à l’école quoi. C’était bientôt la fin de l’année scolaire, ils avaient déjà la tête ailleurs, pensant aux vacances toutes proches. Et puis, comme ça, sans transition, ces enfants-là étaient entrés dans l’horreur. Rapide comme une rafale. De la vie à la mort, troués par des balles achetées comme on achèterait une canette de soda.

Sale temps pour les enfants.


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