mercredi 25 mai 2022

L’OMS adopte une réforme historique de son financement


 



Par   Publié le 24 mai 2022

L’Assemblée mondiale de la santé a adopté un texte prévoyant de faire passer la partie du budget financée par les Etats membres de 16 % à 50 % d’ici à 2028, afin de renforcer le leadership de l’organisation onusienne.

Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, devant l’Assemblée mondiale de la santé, à Genève (Suisse), le 22 mai 2022.

« Il s’agit d’un tournant historique », a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mardi 24 mai, lors de l’Assemblée mondiale de la santé, les Etats membres de l’agence onusienne basée à Genève ont adopté une réforme du financement de l’organisation très attendue. La partie du budget financée par les Etats membres va passer de 16 % à 50 % d’ici à 2028, ce qui devrait permettre à l’OMS de regagner une partie de son indépendance. Cette réforme faisait partie des cinq priorités esquissées par le docteur Tedros « pour le monde et pour l’OMS » le 24 janvier : renforcer le rôle de l’OMS « au cœur de l’architecture de la santé mondiale », afin qu’elle devienne « plus efficace et efficiente ».

Il était, en effet, urgent que les Etats membres reprennent la main sur leur budget. Depuis le mandat, entre 1998 et 2003, de Gro Harlem Brundtland à la tête de l’OMS, les fonds privés ont pris une place de plus en plus importante dans le financement de l’agence. L’ancienne directrice est connue pour son appel à « tendre la main au secteur privé », dès sa première Assemblée mondiale. Un geste présenté à l’époque comme une nécessité, les Etats membres ne donnant pas assez d’argent, mais interprété par beaucoup d’observateurs comme un tournant libéral dans la politique de l’OMS.

Contributions volontaires

Résultat, seulement 16 % de l’exercice biennal 2022-2023 sont abondés par les contributions obligatoires des Etats membres, fixées d’année en année en fonction des ressources de chacun. Elles restent malgré tout une source essentielle de financement pour l’organisation, en raison notamment de leur prévisibilité, puisque leur montant est établi tous les deux ans par l’Assemblée mondiale de la santé. La réforme va permettre d’élever le niveau de ces contributions de 956,9 millions à 2,2 milliards de dollars d’ici à 2028. Un gain important si l’on considère que le budget total actuel est de seulement 6,1 milliards de dollars (environ 5,7 milliards d’euros). En comparaison, celui de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) est de 7,8 milliards d’euros.

L’essentiel du budget (84 %) provient des contributions dites « volontaires ». Ces dernières peuvent venir d’Etats décidant de fournir plus d’argent que leurs contributions obligatoires ne les y obligent. Le Royaume-Uni, notamment, fournissait 135 millions de contributions volontaires lors de l’exercice 2020-2021, en plus de sa contribution obligatoire de 49 millions, dépassant ainsi la participation chinoise. Ce supplément de cotisations permet de renforcer le jeu des influences au sein de l’organisation.

Il s’agit de reconquérir un leadership affaibli par le poids des Etats à forte capacité d’investissement et par les intérêts privés des fondations

Parmi ces contributions volontaires, l’écrasante majorité (88 %) est issue de fonds privés strictement affectés à des programmes ou lieux géographiques spécifiques ; ils doivent également être dépensés dans un délai précis. En 2020-2021, les programmes spéciaux, dont celui d’éradication de la poliomyélite financé par la Fondation Bill et Melinda Gates, totalisaient 757,6 millions de dollars, soit 13 % du budget total. Si cette dotation a participé à l’éradication de la poliomyélite, elle limite aussi la marge de manœuvre de l’organisation.

« Le recours excessif aux contributions volontaires (privées ou publiques) se traduit par une incapacité à fixer des priorités en fonction des priorités mondiales de santé publiquenotait en janvier 2021 un article du South Centre, une organisation intergouvernementale de pays en développement basée à Genève. Les Etats membres tentent de fixer des priorités, mais les fonds sont destinés à des questions spécifiques, sélectionnées par un petit nombre de donateurs qui jouent un rôle décisif dans la décision de l’organisation. »

Il s’agit donc bien de reconquérir un leadership affaibli par le poids des Etats à forte capacité d’investissement et par les intérêts privés des fondations qui abondent les comptes de l’OMS. Lundi, 75 ONG, organisations philanthropiques et experts dans le domaine de la santé mondiale, dont Gavi, le Global Health Council ou encore Save the Children, ont publié une lettre appelant les Etats membres à saisir cette « occasion historique de renforcer et d’investir dans le rôle de l’OMS en tant que principale organisation intergouvernementale de la santé qui se consacre à la promotion de la santé et du bien-être de tous dans le monde ».

« Il faut adopter cette réforme »

« J’ai vu ce que l’OMS peut faire quand elle a des ressources non assorties de conditions », a rappelé Kate Dodson, lors de la table ronde abordant cette réforme, lundi 23 mai. La vice-présidente pour la santé mondiale à la Fondation pour les Nations unies a codirigé le Fonds de réponse solidaire Covid-19, un fonds mondial destiné à soutenir le travail de l’OMS pendant la pandémie. « Il faut adopter cette réforme sans réserve », a-t-elle ajouté. En 2020-2021, l’OMS a reçu au total 2 milliards de financements supplémentaires. Un apport sans précédent, qui lui a donné les coudées franches pour lutter contre le Covid-19.

Augmenter les contributions obligatoires marque donc un grand pas dans l’histoire de l’OMS, mais encore faut-il les payer. Au 31 décembre 2020, près de 300 millions de dollars n’avaient pas été versés aux comptes de l’OMS, selon un rapport publié le 5 janvier. Les résolutions de l’OMS n’étant pas contraignantes, des experts se demandent comment l’organisation pourra obliger les Etats membres à augmenter leurs cotisations d’année en année.


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