mercredi 4 mai 2022

Forte hausse de la population carcérale en France, à l’inverse d’autres pays

Le développement du travail d’intérêt général aux Pays-Bas ou des jours-amendes en Allemagne, ainsi que le recours à des peines de prison plus courtes, ont permis d’y réduire le nombre de détenus. 

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Publié le 3 mai 2022

Un détenu passe une porte sous la surveillance d’un gardien, au centre pénitentiaire de Paris-La Santé, le 15 avril 2022.

Au 1er avril, les prisons françaises comptaient 71 053 personnes incarcérées, soit une hausse de 1,1 % en un mois et de 9,1 % en un an, selon les chiffres publiés vendredi 29 avril par le ministère de la justice. Si l’on ajoute les 14 719 personnes observant une peine de détention à domicile sous surveillance électronique (+ 5,4 % en un an), le nombre de personnes exécutant une peine privative de liberté atteint 85 772. Ce dernier chiffre est un record absolu depuis la seconde guerre mondiale.

La conséquence est une nouvelle dégradation des conditions de détention pour les prisonniers, et de travail pour les personnels pénitentiaires. Cinquante établissements sont aujourd’hui occupés à plus de 150 % de leur capacité, dont six dépassent même les 200 % comme le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan et la maison d’arrêt de Nîmes.


Une situation dont s’alarme le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT). Il a appelé, le 21 avril, « les Etats européens ayant une surpopulation carcérale persistante à remédier à ce problème avec détermination en fixant un plafond – à respecter scrupuleusement – pour le nombre de détenus dans chaque établissement pénitentiaire et en développant le recours aux mesures alternatives à la détention ».

Dans son rapport annuel publié le même jour, le CPT note que « la surpopulation peut transformer une prison en un entrepôt humain et saper tout effort visant à donner un sens pratique à l’interdiction de la torture et des autres formes de mauvais traitements ». Ce comité du Conseil de l’Europe souligne la responsabilité des Etats et l’effet de « politiques pénales toujours plus strictes », alors que« la surpopulation carcérale n’est pas essentiellement le reflet de l’augmentation des niveaux de criminalité ».

Cette nouvelle forte hausse constatée en 2022 du nombre de personnes détenues en France tranche avec ce qu’il se passe dans de nombreux autres pays européens, où la tendance est à la baisse du recours à l’emprisonnement. Le principal levier de cette inflexion a été le recours aux peines alternatives.

Politiques pénales très différentes

Aux Pays-Bas, le nombre de détenus est passé de 69,5 pour 100 000 habitants en janvier 2011 à 58,5 en janvier 2020. Dans le même temps, la proportion de personnes incarcérées en Allemagne passait de 88,4 pour 100 000 à 76,2, selon le Conseil de l’Europe. En France, ce ratio était de 105,3 en janvier 2020.

Le cas des Pays-Bas a été rendu célèbre quand le pays, confronté à une surcapacité de son parc pénitentiaire, avait loué au début des années 2010 certaines de ses prisons vides aux services pénitentiaires belges et norvégiens. Mais, ces contrats n’ont pas duré, la solution choisie a été plus radicale : une trentaine de prisons ont été fermées entre 2013 et 2018.

Plusieurs raisons expliquent cette situation. D’abord, « le contrôle social joue sans aucun doute un rôle plus important qu’en France pour contenir la petite délinquance », observe un magistrat français ayant travaillé plusieurs années aux Pays-Bas. D’autre part, souligne-t-il, « la politique pénale est plus douce pour les consommateurs de drogues, avec l’absence de poursuites pour la détention de faibles quantités de stupéfiants ». En matière de délits routiers ou de vol à l’étalage, la règle est le recours à l’amende.

Enfin, la peine de travail d’intérêt général (TIG) y est très fréquemment prononcée. Selon les statistiques du ministère néerlandais de la justice, en 2019, quand dix peines de prison ferme étaient prononcées par les tribunaux de première instance, huit peines de TIG étaient infligées (35 855 pour 29 195). En France, la même année, la proportion était de dix à un.

Surtout, les durées moyennes d’incarcération traduisent des politiques pénales très différentes. Elle est de 5,1 mois aux Pays-Bas, moins de la moitié des 11,1 mois effectués dans les prisons françaises. Incarcérer moins longtemps réduit mécaniquement le « stock » de détenus à un instant T, mais ne veut pas dire incarcérer moins de monde. De fait, les Pays-Bas mettent davantage de personnes en prison chaque année que la France. En 2020, ils ont ainsi incarcéré 124 personnes pour 100 000 habitants, contre 101 en France. Mais 19 % des peines effectuées dans les prisons hollandaises étaient inférieures à six mois en 2019, contre moins de 5 % en France. La réforme des peines de l’ancienne garde des sceaux Nicole Belloubet (2017-2020), entrée en vigueur en 2020, a cherché depuis à réduire encore plus le recours à ces courtes peines, considérées comme désocialisantes.

Si la justice néerlandaise incarcère sans doute plus tôt dans le parcours délinquant que les juridictions françaises, le quantum des peines infligées y est en moyenne inférieur de moitié, à infraction égale. Cela a été observé par l’Université de Leyde, par exemple, sur le cas des combattants revenants du djihad (sans preuve de participation directe à un crime) en Syrie, en Irak ou en Afghanistan. Selon cette étude, leur peine a été en moyenne de 36 mois aux Pays-Bas, de 51 mois en Allemagne, de 77 mois au Royaume-Uni, de 86 mois en France et de 176 mois aux Etats-Unis.

Recours limité à la détention provisoire

L’Allemagne est un autre exemple de décroissance carcérale réussie. Entre 2006, point culminant de la courbe outre-Rhin, et janvier 2020, la population emprisonnée a baissé de 22 %. « Les juridictions allemandes n’hésitent pas à recourir beaucoup plus à des peines d’amende qu’à des peines de prison », explique Stéphane Dupraz, magistrat français de liaison à Berlin. Les tribunaux allemands prononcent cinq fois plus de peines d’amende que de peine de prison avec ou sans sursis. En France, la prison est privilégiée : 1,6 fois plus de peines de prison que de peines d’amende.

En revanche, ces peines d’amende sont le plus souvent prononcées sous forme de jours-amendes. Autrement dit, si le versement de l’amende ne respecte pas l’échéancier, c’est l’incarcération automatique. « En conséquence, beaucoup de gens sont incarcérés pour de très courtes peines pour non-paiement. Ce qui pose des difficultés d’accompagnement », note M. Dupraz. Si la proportion de personnes jetées en prison chaque année y est beaucoup plus élevée qu’en France (181 pour 100 000 habitants, contre 101), la durée moyenne de détention étant nettement plus courte (4,7 mois contre 11,1 mois), la proportion de la population derrière les barreaux est très inférieure.

Dernier facteur, et non des moindres, le recours à la détention provisoire avant jugement est plus limité en nombre et en durée.« Les motifs d’une détention provisoire fixés par le code de procédure pénale allemand sont plus restrictifs. Ils ne comprennent pas, par exemple, la notion de trouble à l’ordre public », précise M. Dupraz. Résultat, quand 31 % des détenus en France sont des prévenus, ce taux tombe à 20 % outre-Rhin.


Les densités carcérales sont ainsi nettement inférieures à 100 % aux Pays-Bas et en Allemagne. En France, les réformes ont depuis vingt ans également encouragé les peines alternatives afin de limiter le recours à l’emprisonnement. Mais sans le même résultat. Ces peines de bracelet électronique, de TIG ou de stage sont venues en complément et n’ont pas freiné la progression du nombre de détenus. En vingt ans, celui-ci a augmenté de 44 %, et le nombre de personnes sous écrou pénitentiaire (détenus et bracelets) a bondi de 77 %.


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