jeudi 5 mai 2022

Chronique «Aux petits soins» Devant une impasse thérapeutique, ne pas laisser les patients face à une «sélection par l’argent»




par Eric Favereau  publié le 3 mai 2022

Dans un avis publié la semaine dernière, le Comité éthique et cancer revient sur le choix de femmes, atteintes d’un cancer du sein triple négatif, d’aller à l’étranger, à leurs frais, pour avoir accès à des thérapies innovantes mais encore mal évaluées. 

C’est une goutte d’eau ne concernant certes qu’une cinquantaine de malades, mais leur histoire est tout sauf anecdotique, révélant les ambiguïtés autour de l’accès aux thérapies innovantes. La semaine dernière, le comité d’éthique de la Ligue nationale contre le cancer a ainsi rendu un avis sur la situation «de personnes malades atteintes de cancer et pour lesquelles, en France, plus aucun traitement à visée curative n’est proposé». Ces malades vont se tourner parfois vers des cliniques privées à l’étranger, souvent en Europe, payant très cher des traitements encore incertains.

On les appelle, ou plutôt elles se font appeler, les triplettes. Les raisons de ce drôle de qualificatif : elles sont atteintes d’un cancer du sein, dit triple négatif. Des cancers qui touchent majoritairement des femmes jeunes (moins de 40 ans), représentant environ 15 % de l’ensemble de ce type de cancers. Ce sont des cancers agressifs aux options thérapeutiques limitées, aux rechutes fréquentes, et pour lesquels il n’existe pas de traitement standard en deuxième ligne.

«Sélection par l’argent»

Depuis quelques années, sont néanmoins apparus des traitements autour de l’immunothérapie qui se montrent prometteurs, mais incertains. Deux cancérologues de l’Institut Gustave-Roussy ont saisi le Comité éthique et cancer à propos d’une clinique allemande qui prend en charge ces femmes en situation d’impasse thérapeutique, recrutées en France et dans d’autres pays. Cette clinique leur promet de les aider «à faire face à une situation très difficile», leur proposant «un plan de traitement personnalisé»reposant sur «les protocoles d’immunothérapie les plus modernes et des approches de médecine de précision actuellement disponibles».Petit bémol, ces malades sont appelés à payer elles-mêmes des sommes très importantes. Nos médecins français s’interrogent sur les pratiques de cette clinique, qui se rapprochent de l’acharnement thérapeutique, et pointent une «sélection par l’argent». Question : est-on face à une dérive scandaleuse où des médecins abuseraient de la grande vulnérabilité de malades ? Tout l’intérêt de la réponse du Comité éthique et cancer est qu’elle est nuancée.

Face à ces cancers aux options thérapeutiques limitées, le comité note : «Différents types de médicaments sont en cours d’évaluation, l’un d’eux, l’atézolizumab, qui a obtenu une autorisation européenne de mise sur le marché en août 2019 dans cette indication. Mais un an plus tard, les résultats négatifs d’un essai ont conduit à la fermeture de cette possibilité en France.» Un autre médicament existe, le trodelvy, mais l’industrie a du mal à le produire. Face à cette pénurie, bon nombre de patientes se sentent délaissées. «Les patientes auditionnées par le Comité ont fait part d’un sentiment d’abandon complet de la part de la médecine et des autorités de santé. Ces perceptions ont été d’autant plus vives quand ces personnes ont découvert, par Internet et les réseaux sociaux, que l’atézolizumab et d’autres médicaments d’immunothérapie étaient proposés par des cliniques privées à l’étranger, en particulier en Allemagne.»

Traitement à 20 000 euros

Dans ce contexte, le Comité éthique et cancer s’est intéressé à l’une de ces cliniques, la clinique Hallwang, établissement privé sans convention avec les systèmes d’assurance maladie. Celle-ci reçoit quasi exclusivement des patients étrangers. Et pour ces dernières, les coûts sont très élevés. «Une patiente a indiqué qu’elle payait 4 800€ chaque injection du vaccin thérapeutique de la clinique. Une autre a expliqué que son traitement lui était facturé environ 20 000 euros toutes les trois semaines.» Selon le Comité, les trois patientes auditionnées ont indiqué être, au moment de leur témoignage,«depuis en rémission de leur cancer du sein triple négatif». Et elles ont exprimé «leur satisfaction alors que rien dans le discours tenu par les oncologues consultés en France ne leur permettait d’espérer une telle situation». Elles ont indiqué «ne regretter en rien leur démarche auprès de la clinique, même si elles et leur famille se retrouvent dans une situation financière difficile». Elles ont également «fait part de leur incompréhension de ne pas pouvoir avoir accès en France aux médicaments d’immunothérapie».

Qu’en déduire ? Le Comité éthique et cancer se montre mesuré. Il rappelle une situation non satisfaisante en France vis-à-vis de ces traitements en cours d’évaluation. Estimant «qu’il n’est pas éthique d’opposer à ces malades une fin de non-recevoir pour l’accès à un médicament en cours d’évaluation, même encore préliminaire, dès lors qu’il s’agit pour eux d’un traitement de la dernière chance». Enfin, si la démarche de ces patientes «est susceptible de placer les professionnels de santé qui les prennent en charge dans une situation inconfortable», le comité insiste que «rien ne justifie les attitudes de rejet auxquelles ont pu être confrontées les personnes auditionnées qui en ont témoigné». En d’autres termes, devant une impasse thérapeutique, la tolérance s’impose, et le choix du patient doit être privilégié.


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