jeudi 12 mai 2022

Cannabis récréatif: l’Allemagne dit chiche à la légalisation




par Charles Delouche-Bertolasi  publié le 12 mai 2022 

Le ministre fédéral de la Santé allemand Karl Lauterbach compte profiter de l’essoufflement de la pandémie pour lancer une série de réformes. Parmi elles, la légalisation du cannabis avec un projet de loi prévu avant la fin 2022. 

De l’autre côté du Rhin, on s’apprête petit à petit à troquer les autotests contre des feuilles à rouler. La nouvelle coalition au pouvoir entend bien profiter de la baisse des contaminations au Covid-19 pour initier son train de réformes politiques. Dont une, particulièrement attendue par les consommateurs mais aussi les professionnels de santé : la future légalisation du cannabis en Allemagne.

Annoncée en novembre 2021 lors de la création du programme de la nouvelle coalition sans moult précisions, cette dernière, désormais au pouvoir, a donné cette semaine plus de détails sur ce projet. Burkhard Blienert, le commissaire fédéral aux drogues, a ainsi entrepris le 6 mai le lancement d’un «processus de consultation approfondi» en collaboration avec le ministère de la Santé et d’autres ministères. «Il s’agit de rassembler les connaissances et les expériences, mais aussi d’aborder très ouvertement les objections et les réserves», a-t-il avancé. Les Länder (régions), les communes, les associations, les scientifiques et la société civile devraient également être impliqués dans les préparatifs. «Il n’y a guère d’autre sujet de politique des drogues qui préoccupe autant les gens depuis des décennies que le cannabis», a ajouté Blienert, précisant soutenir le processus législatif sur le plan technique et politique pour lui assurer «une bonne base» légale.

Et l’agenda est déjà connu. D’ici l’automne, des questions importantes telles que la protection de la santé, la culture, les chaînes d’approvisionnement ou encore la taxation devraient être au cœur des discussions. Pour le commissaire fédéral aux drogues, une attention particulière doit être accordée «à la protection de la jeunesse». «Au final, ce n’est évidemment pas plus, mais moins de jeunes qui doivent consommer du cannabis en Allemagne», avance-t-il. Selon lui, les expériences internationales, comme celles du Canada, devraient également être examinées. «Avec l’accord de coalition, nous nous sommes mis d’accord sur un changement de paradigme dans la politique en matière de drogues et de dépendances : moins de répression, plus de protection et d’aide», a déclaré le chargé de mission du gouvernement fédéral.

Vers une distribution contrôlée dans des magasins agréés

Si le projet est salué par le versant sécurité du gouvernement allemand, il l’est aussi du côté de la santé. A quelques mois de l’entrée en vigueur de la légalisation du cannabis, le ministre de la santé allemand Karl Lauterbach est petit à petit revenu sur sa vision de la plante psychoactive. «J’ai changé d’avis à ce sujet au cours des deux dernières années», a déclaré Lauterbach. «J’ai toujours été opposé à la légalisation du cannabis, mais j’ai revu ma position il y a environ un an. Je pense que les dangers d’une non-légalisation sont plus importants. […] Le temps de l’été doit être mis à profit pour réformer avec vigueur», a-t-il indiqué au journal allemand Handelsblatt après avoir souligné sur Twitter que le projet de loi était en «préparation» et que «le processus de légalisation» était en cours d’accélération.

Ce projet de loi devrait voir le jour au cours du second semestre 2022. Les Verts, les sociaux-démocrates du SPD et les libéraux du FDP ont convenu dans l’accord de coalition d’introduire une «distribution contrôlée de cannabis aux adultes à des fins de consommation dans des magasins agréés».

Si la coalition accélère son projet, c’est également par crainte de voir le cannabis de synthèse se répandre jusque dans les pochons des jeunes Allemands. Les autorités sanitaires s’alarment de voir la circulation de nouveaux cannabinoïdes de synthèse avec des taux très élevés de delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), la molécule psychotrope du cannabis. En 2019, l’université allemande d’Ulm avait observé cette année-là presque huit fois plus de cas de psychoses liés à une consommation de cannabis comparé à l’année 2011. La raison : de plus en plus de produits coupés avec des adhésifs de synthèse et des taux bien trop élevés de THC.

Plus de 4,7 milliards d’euros de recettes fiscales annuelles

Jusqu’alors en Allemagne, l’usage de cannabis n’était pas pénalisé mais sa possession et sa culture constituaient des infractions. Plus pour très longtemps. «La légalisation du cannabis arrive», a alerté le ministre fédéral allemand de la Justice Marco Buschmann sur Twitter, rappelant le consensus de la coalition autour de la question. «A Meseberg, j’en ai discuté avec Cem Ozdemir [ministre fédéral allemand de l’Agriculture, ndlr] et Karl Lauterbach. Le commissaire fédéral aux drogues prévoit déjà des préparatifs complets pour la légalisation et Karl Lauterbach a annoncé un premier projet de loi pour 2022», a-t-il précisé.

Dans un tweet publié le 6 mai, le ministre des finances Christian Lindner a également confirmé que le processus de légalisation du cannabis récréatif était sur les rails. «Une question que de nombreuses personnes me posent sans cesse : «Quand la Bubatz [mot d’argot allemand pour désigner le cannabis] sera-t-elle légale ?» Je dirais : bientôt.» La réforme du cannabis récréatif pourrait rapporter plus de 4,7 milliards d’euros de recettes fiscales annuelles supplémentaires au pays, et créer environ 27 000 emplois légaux dans l’industrie du cannabis, selon une étude de l’université de Düsseldorf publiée en novembre 2021.

Depuis la légalisation du cannabis thérapeutique en 2017, l’Allemagne s’est positionnée comme le plus grand marché en Europe. Dans son dernier rapport, l’Association nationale allemande des fonds d’assurance maladie statutaires relève pourtant une stagnation des ventes de cannabis médical assurées par le secteur public. Selon les auteurs, l’absence actuelle de croissance du marché est due au faible accès des patients au produit. La cause : des médecins encore réticents à le prescrire. Les observateurs notent néanmoins que la présence d’une industrie du cannabis récréatif dans le pays pourrait lever les obstacles juridiques à la distribution et faciliter ainsi l’accès au cannabis thérapeutique.

 

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