dimanche 17 avril 2022

Précarité La gueulante de Jean-Baptiste Eyraud après son arrestation: «Pourquoi on ne parle jamais du logement?»

par Eve Szeftel  publié le 13 avril 2022 


Après une nuit au poste, le porte-parole de l’association Droit au logement, a tenu mercredi soir une conférence de presse place de la Bastille, à Paris. Il a profité de cette médiatisation inespérée pour pousser le son sur les questions de logement, inexistantes dans la campagne. 

Il est arrivé juché sur un grand vélo noir, aussi grand que lui, et sous les applaudissements de la foule rassemblée pour une conférence de presse improvisée ce mercredi soir, place de la Bastille, à Paris. Un peu gêné d’être ainsi au centre de l’attention, mais en même temps reconnaissant à la police de lui avoir offert une tribune pour parler du logement, ou plutôt de ceux qui en sont privés. «Un toit, c’est un droit» : devant les barnums du campement où 220 familles «oubliées du Dalo» (pour droit au logement opposable) se relaient depuis le 5 mars, date du 15e anniversaire de la loi, Jean-Baptiste Eyraud, le porte-parole de l’association Droit au logement (DAL), a raconté ses mésaventures avec la police.

La veille, le DAL manifestait rue Saint-Simon, tout près du ministère du Logement, quand les forces de l’ordre ont chargé, croyant la manifestation interdite sur la chaussée, pour repousser les militants sur le trottoir. La police a fait usage de gaz lacrymogène, deux femmes qui font partie des 220 Dalo de Bastille ont été molestées et Eyraud plaqué violemment à terre, avant d’être placé en garde à vue dans la foulée pour «rébellion». «J’avoue que ça ne m’a pas blessé», a ironisé Eyraud, réfutant cependant toute provocation : «Je sais me tenir en face des forces de l’ordre». Dans un communiqué mercredi matin, l’association s’est insurgée contre cette interpellation qu’elle a qualifiée de «musclée», dénonçant une «répression violente contre les familles “Oubliées du Dalo”».

«Cette arrestation violente lors d’une manifestation pacifique de femmes, d’hommes et d’enfants est une nouvelle attaque contre les mal-logés et leurs soutiens», a tempêté l’association. L‘interpellation de Jean-Baptiste Eyraud a provoqué de nombreuses réactions, notamment sur Twitter, de Ian Brossat, l’adjoint (PCF) au Logement de la mairie de Paris, à Emmanuelle Cosse, la présidente de l’Union sociale pour l’habitat et ancienne ministre du Logement, qui a estimé que «rien ne justifie une telle violence [contre un militant qui], depuis trente ans, sans violence, défend la cause des mal-logés».

«La loi est violée, comme les droits des locataires»

«Je vais bien», a assuré Jean-Baptiste Eyraud, reconnaissant cependant avoir eu «peur» quand un policier l’a immobilisé avec son genou, alors qu’il était allongé sur le ventre : «J’avais du mal à respirer et j’ai pensé à tous ceux qui ont perdu la vie à cause de cette violence.» Il a annoncé son intention de porter plainte pour «violences volontaires en réunion par personnes dépositaires de l’autorité publique» et «entrave à la liberté de manifester».«Manifestement, la préfecture nous en veut», a ironisé le porte-parole, rappelant que Didier Lallement, le préfet de police de Paris,avait saisi la justice à deux reprises pour contrecarrer les actions du collectif, à chaque fois sans succès.

L’Etat est également en faute car il n’applique pas la loi Dalo comme il est censé le faire, en logeant dans les six mois les ménages reconnus prioritaires, a estimé le militant. Rien qu’en Ile-de-France, 65 000 ménages reconnus comme tels attendent toujours d’être relogés, et parfois depuis «des années» ; ils sont 210 000 au niveau national. «La loi est violée, comme les droits des locataires, l’encadrement des loyers, le gel des loyers à la relocation, les normes de décence, Airbnb […] Avec la crise du logement, les marchands de sommeil s’enrichissent, les bailleurs privés de manière générale, tous ceux qui sortent des écoles de commerce et se disent qu’ils seront rentiers dans quinze ans en ayant acheté deux, trois ou quatre logements» et si possible petits car c’est plus rentable, a dénoncé Jean-Baptiste Eyraud. «C’est le paradis de la fraude, les rapports locatifs : il n’y a pas de contrôle, il n’y a pas de sanction !» Dans le public, aux côtés de leaders syndicaux et associatifs figuraient des élus LFI, comme le député Eric Coquerel et la conseillère de Paris Danielle Simonnet, ainsi que Ian Brossat.

Rdv aux QG de «Madame» et «Monsieur»

La charge policière aura eu au moins un mérite. Une délégation sera reçue jeudi matin par la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, a annoncé cette dernière sur Twitter. Surtout, alors que les «oubliés du Dalo» campent depuis un mois et demi dans l’indifférence générale et que le logement n’a pas réussi à percer le plafond de verre de la campagne, c’était l’occasion ou jamais de donner de la voix. Et Eyraud ne s’en est pas privé, prenant des accents de tribun pour dénoncer l’inflation des loyers, conséquence de ce «régime de soutien à la rente» qu’est aujourd’hui la politique publique du logement à ses yeux. «Quand on parle du pouvoir d’achat, pourquoi on ne parle pas des loyers ? Pourquoi on ne parle pas du logement cher ? Pourquoi on ne parle pas du premier poste, qui est le plus élevé pour les classes populaires, et qui oblige les ménages modestes à se nourrir à la banque alimentaire pour pouvoir payer leur loyer et pas se retrouver à la rue ? Parce que la rue, ça tue !», a tonné le militant sous les applaudissements.

Pas découragé par sa nuit au commissariat, le porte-parole du DAL a donné rendez-vous lundi 18 avril sous les fenêtres du «QG de Madame et du QG de Monsieur», visant sans les nommer les deux «finalistes» de la compétition présidentielle, Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Pas de consigne de vote en faveur du second, coupable d’avoir raboté les APL en début de mandat, mais un étonnement quant à sa «stratégie : il paraît qu’il lui manque des réserves de voix, et il nous tape sur la gueule !»


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