vendredi 29 avril 2022

Du rififi dans l’art brut

Par  Publié le 28 avril 2022

Auteur de spectaculaires dessins anatomiques, l’artiste Luboš Plný, figure tchèque de l’art brut, réclame des milliers d’euros au collectionneur français Bruno Decharme, à qui il doit son succès. 

L’artiste tchèque Luboš Plný, en février 2011, à Prague.

L’artiste tchèque Luboš Plný aurait pu rester un marginal, tourné vers ses démons intérieurs, comme nombre de figures de l’art brut, cette appellation forgée par le peintre Jean Dubuffet pour désigner les créateurs autodidactes tenus pour fous ou anticonformistes tourmentés. Mais le producteur de films publicitaires et collectionneur français Bruno Decharme, de passage à Prague en 2007, a su voir la force de ses spectaculaires dessins anatomiques.

Las, au moment où l’artiste de 60 ans, qui souffre de troubles psychiques, connaît un succès critique et commercial exceptionnel, la relation avec son découvreur vire au bras de fer financier. Treize ans durant, l’amateur affable a été l’exclusif représentant de Plný, son intermédiaire avec les galeries et l’artisan incontesté de son succès. Treize ans d’une complicité sans nuages, consacrée, en 2017, par une présence à la Biennale de Venise et, en octobre 2021, par une exposition remarquée à la FIAC, sur le stand de la galerie Christian Berst, spécialisée dans l’art brut.

En affaires depuis 2009

Aujourd’hui, entre l’artiste et son agent, rien ne va plus. Plný réclame en effet à Bruno Decharme près de 146 000 euros supposément impayés sur un total de 62 œuvres. L’artiste signale aussi l’éventuelle « disparition » de 43 pièces, d’une valeur globale évaluée à plus de 800 000 euros selon ses calculs. Leur différend est désormais entre les mains de leurs avocats respectifs à Prague.

« Sans titre », 2018, de Luboš Plný. Encre et acrylique sur papier, 100 × 280 cm.

L’affaire, qui n’a pas encore été portée devant les juges, a tout pour gêner le petit milieu de l’art brut et plus encore le monde des musées, où Bruno Decharme est considéré comme « un œil », généreux avec ça. En juin 2021, tout juste septuagénaire, il a offert au Centre Pompidou près de mille pièces d’art brut, estimées autour de 15 millions d’euros, parmi lesquelles huit œuvres de Plný, qui viennent compléter deux dessins acquis auparavant par l’institution. L’enjeu est d’autant plus important qu’une exposition de sa collection est ­programmée au Grand Palais en 2024.

« Tout se passait verbalement, c’était une erreur. » Bruno Decharme

Quand l’entourage de l’artiste invoque « ­mensonges » et « abus de faiblesse », Bruno Decharme crie au « délire paranoïaque ». Les deux hommes sont en affaire depuis 2009. A l’occasion d’une première exposition qu’il organise en banlieue parisienne, Bruno Decharme perçoit sur les ventes réalisées la commission ordinairement dévolue aux galeries, soit 50 %, versée à son association, ABCD, établie à Montreuil et à Prague.

Les tarifs d’alors sont dérisoires. En 2011, les deux hommes formalisent leur relation, pour une durée de cinq ans : l’artiste concède à celui qui fait fonction d’intermédiaire avec les galeries et les collectionneurs une commission de 25 % sur sa propre rémunération. En pratique, toutefois, Bruno Decharme ne prélève qu’une contribution de 5 %, toujours au profit de son association, ABCD.

A l’échéance du contrat, en 2016, une nouvelle proposition d’accord est rédigée par ABCD, qui ne sera jamais signée. « Je ne pouvais pas valider un document réclamant un paiement en espèces », affirme Decharme. « Si ce deuxième contrat n’existe pas, sur quel fondement juridique Bruno Decharme se basait-il pour représenter Luboš Plný ? », s’interroge l’avocat tchèque Petr Koblovsky, qui assiste désormais l’artiste. « Tout se passait verbalement, c’était une erreur, admet le Français. Mais, dès lors que la cote de Luboš passait de 900 euros, en 2007, à 25 000 euros aujourd’hui, qu’on l’exposait, tout le monde était content et on s’est dit que tout allait bien. »

Un sac de nœuds

Tout va bien, en effet, jusqu’en 2020. Cette année-là, Plný ne perçoit aucun revenu lié. Surprise, son épouse, Lucie Žabokrtská, réclame des comptes. En mai 2021, elle exige l’historique des transactions depuis 2009. Malgré ses multiples relances, rien ne vient. « Je pensais réunir les éléments en quelques semaines, mais on a mis du temps à retrouver la trace de certains acheteurs. Je l’admets, je suis bordélique », s’excuse le collectionneur.

Excédée, l’épouse francophone mobilise un avocat, qui obtient de Bruno Decharme, en mars 2022, une première liste de transactions. La comptabilité fournie, en plusieurs envois successifs, a tout d’un sac de nœuds. Impossible de rapporter les sommes versées sur le compte de Plný à chaque dessin vendu. « Luboš ne voulait surtout pas de correspondance entre la valeur des œuvres et le montant qu’il recevait. Il ne voulait pas non plus de paiements réguliers, justifie Bruno Decharme. Il disait craindre de perdre sa pension d’invalidité. » « Faux ! », proteste Lucie Žabokrtská.

A l’échéance du contrat, en 2016, une nouvelle proposition d’accord est rédigée par ABCD, qui ne sera jamais signée. « Je ne pouvais pas valider un document réclamant un paiement en espèces », affirme Decharme. « Si ce deuxième contrat n’existe pas, sur quel fondement juridique Bruno Decharme se basait-il pour représenter Luboš Plný ? », s’interroge l’avocat tchèque Petr Koblovsky, qui assiste désormais l’artiste. « Tout se passait verbalement, c’était une erreur, admet le Français. Mais, dès lors que la cote de Luboš passait de 900 euros, en 2007, à 25 000 euros aujourd’hui, qu’on l’exposait, tout le monde était content et on s’est dit que tout allait bien. »

Un sac de nœuds

Tout va bien, en effet, jusqu’en 2020. Cette année-là, Plný ne perçoit aucun revenu lié. Surprise, son épouse, Lucie Žabokrtská, réclame des comptes. En mai 2021, elle exige l’historique des transactions depuis 2009. Malgré ses multiples relances, rien ne vient. « Je pensais réunir les éléments en quelques semaines, mais on a mis du temps à retrouver la trace de certains acheteurs. Je l’admets, je suis bordélique », s’excuse le collectionneur.

Excédée, l’épouse francophone mobilise un avocat, qui obtient de Bruno Decharme, en mars 2022, une première liste de transactions. La comptabilité fournie, en plusieurs envois successifs, a tout d’un sac de nœuds. Impossible de rapporter les sommes versées sur le compte de Plný à chaque dessin vendu. « Luboš ne voulait surtout pas de correspondance entre la valeur des œuvres et le montant qu’il recevait. Il ne voulait pas non plus de paiements réguliers, justifie Bruno Decharme. Il disait craindre de perdre sa pension d’invalidité. » « Faux ! », proteste Lucie Žabokrtská.

Dans le détail, l’épouse et son avocat pointent que certains montants indiqués par Decharme ne coïncident pas avec les valeurs déclarées par les trois marchands parisiens et new-yorkais chargés de vendre les œuvres. Pour preuve, alors qu’un dessin a été cédé en 2016 au Centre Pompidou par la galerie Berst, cette dernière déclare avoir versé 25 000 euros sur le compte de Decharme, avec, pour consigne, de les transférer à Plný. Or ce dernier n’en a reversé que la moitié à l’artiste qu’il représente. « Une erreur de ma part », s’excuse-t-il, devant l’évidence.

En revanche, le découvreur-collectionneur-marchand n’a pas reçu la liste des 43 œuvres supposées disparues, que M Le magazine du Monde a pu consulter. Une partie semble avoir été dûment acquise par Bruno Decharme, qui nous a montré des factures que conteste la partie adverse. D’autres, notamment des photos et objets érotiques, seraient en dépôt chez lui. « Je n’ai rien à cacher », assure Bruno Decharme, qui plaide pour un accord à l’amiable pour éviter un long et coûteux procès. « Si on n’arrive pas à s’entendre en se mettant autour d’une table, on ira sereinement au tribunal », assure-t-il.



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