mercredi 6 avril 2022

Conditions de travail Aux urgences de l’hôpital d’Orléans, «la catastrophe est là»

par Nathalie Raulin  publié le 7 avril 2022 

Alors que la quasi-totalité du personnel paramédical du service de l’hôpital est en arrêt maladie, les médecins menacent de se mettre en grève à compter de ce vendredi si rien n’est fait pour éviter l’engorgement.

Signe avant-coureur de la «mort de l’hôpital public», motif de la minute de silence observée chaque vendredi par les soignants un peu partout en France ? La crise en cours au centre hospitalier régional d’Orléans (Loiret) donne à tout le moins un aperçu du craquage qui guette l’ensemble du système de santé français. Depuis fin mars, la quasi-totalité de la centaine d’infirmières et d’aides-soignantes en poste aux urgences adultes sont en arrêt maladie pour asthénie, épuisement professionnel, ou stress aigu. Du jamais vu.

Dans l’impossibilité de maintenir l’activité du service malgré le déclenchement du plan blanc, l’hôpital a restreint l’accès aux urgences aux patients en danger vital, orientés par le 15. Dans un département catalogué «désert médical» où les urgences hospitalières sont souvent le seul recours de la population, telle situation est critique. Elle menace de devenir dramatique. C’est que les médecins urgentistes ont prévenu : à moins d’obtenir des engagements permettant d’améliorer les conditions de travail du service, ils seront en grève dure à compter de vendredi à 9 heures.«Si la direction veut nous réquisitionner, il faudra qu’elle le fasse dans les règles, à savoir qu’elles nous remettent notre assignation en main propre, et pas dans notre casier ou à notre secrétariat»,prévient l’un d’eux.

«On est maltraitants malgré nous»

Il a suffi d’une «goutte d’eau» pour que les urgences déraillent. Lundi 28 mars, à l’arrivée des infirmières de relève, les urgences sont en plein chaos. Une dame âgée vient d’être retrouvée morte sur un des 50 brancards qui se sont accumulés tout le week-end dans les couloirs du service. Même si elle était «attendue», selon les soignantes, cette mort-là résonne comme un signal d’alarme. La pression est devenue trop forte. Calibrées pour absorber 180 passages quotidiens, les urgences doivent ce jour-là en écluser près de 230. Le rythme est «infernal», aux dires des soignantes. Chaque infirmière doit s’occuper de plus d’une vingtaine de patients, alors que le ratio jugé acceptable est de dix. Au risque de la négligence. Or tout laisse penser que le pire est encore à venir : pour la première fois, il y a ce jour-là 15 patients sur des brancards en attente d’un lit en chirurgie… «Quand on a vu cela, on a refusé de prendre nos postes, témoigne une infirmière expérimentée présente ce jour-là. Le directeur adjoint de l’hôpital est descendu pour nous parler. On lui a dit qu’on ne pouvait plus travailler dans ces conditions. Il nous a répondu qu’il n’y avait pas de solutions avant septembre et qu’on avait une “mauvaise analyse de la situation”. C’était trop de mépris.» Dans les deux jours qui suivent, les arrêts maladie pleuvent.

«Il ne s’agit pas d’arrêts de complaisance, précise le docteur Jean-François Cibien, président du syndicat Action Praticiens Hôpital (APH), appelé à la rescousse dans le conflit social qui se noue. «On assiste à une véritable explosion de la souffrance au travail dans les urgences un peu partout en France. Orléans est la vitrine de ce qu’il se passe, à Nantes, à Rennes, à Cavaillon, à Marmande, à Moissac, à Epernay…» La faute à la baisse des places d’hospitalisation. Sur le millier de lits disponible en septembre, l’hôpital d’Orléans a été contraint d’en fermer 150, suite aux départs ou à l’absentéisme de paramédicaux sortis rincés de la crise Covid. Conséquence : faute de places dans les services spécialisés, les patients arrivés aux urgences y stagnent, attisant le malaise des équipes. «On fait de l’hospitalisation sauvage, dénonce une infirmière. Qui peut trouver acceptable de laisser une personne âgée, trois, quatre, cinq jours sur un brancard dans un couloir sans fenêtre, la lumière allumée 24 heures sur 24, au milieu des hurlements et sans aucune intimité ? Pour nous, c’est un cauchemar. Ces patients en attente d’hospitalisation, on doit continuer de les surveiller, les nourrir, leur donner à boire, les laver alors qu’on n’est pas équipé pour cela et que de nouveaux arrivent. On n’a plus une minute de repos. Du coup, on peut faire des erreurs. Il m’est arrivé par exemple d’oublier de donner ses médicaments à une dame atteinte de Parkinson. On est maltraitants malgré nous. On n’a pas à endosser une telle responsabilité.»

La direction sous pression

Cette colère, les médecins urgentistes d’Orléans la partagent. «Avant de pouvoir nous occuper des patients qui arrivent, on passe des heures à appeler tous les services des étages pour obtenir qu’ils nous prennent nos malades, dénonce le docteur Matthieu Delacroix. Cela ne peut plus durer. Il faut que la charge de travail soit répartie plus équitablement entre les urgences et les services spécialisés. Il n’y a pas le choix. La catastrophe est là. Si rien n’est fait, tout le monde va partir.» Décidés à «ne pas couler sans se battre», les praticiens ont posé des conditions à la levée de leur préavis de grève, notamment la nomination d’un «bed manager» ayant l’autorité pour imposer aux pontes des étages de prendre en charge des patients des urgences ou de l’exigence d’avoir toujours 40 lits d’hospitalisation disponibles.

Sous pression, la direction de l’établissement multiplie les réunions de crise. Mercredi, plusieurs pistes commençaient à prendre forme. «Urgentistes et spécialistes de l’hôpital travaillent en ce moment pour améliorer le système de gestion interne des lits», indique le directeur de l’établissement, Olivier Boyer, qui n’exclut pas «d’installer une structure à même d’imposer le placement des patients dans les services». En parallèle, lui cherche le moyen de libérer des lits de médecine. En parallèle, une réunion en visio a eu lieu «avec l’ARS et plusieurs établissements post-hospitaliers, Ehpad, structure d’hospitalisation à domicile et de soins de suite, de sorte à faciliter le départ de l’hôpital de patients âgés, ou pas autonomes», dit Olivier Boyer, qui affirme s’organiser aussi «pour pouvoir transférer des patients graves en attente aux urgences vers d’autres hôpitaux».Façon de redonner rapidement de l’oxygène au service. «Une ville de 300 000 habitants comme Orléans ne peut pas se passer des urgences», insiste le directeur qui ne voit pourtant de solution à leur engorgement que sur le long terme : «Il faudrait pouvoir ouvrir un service de médecine polyvalente post-urgences. Mais pour cela, il faudrait avoir des médecins et des paramédicaux…»


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