mercredi 6 avril 2022

A l’hôpital d’Orléans, les urgences craquent

Par   Publié le 04 avril 2022

Au centre hospitalier régional, plus de 90 % des infirmiers et aides-soignants des urgences sont en arrêt maladie. Le décès d’une patiente, lundi 28 mars, découverte sur un brancard, a été la goutte d’eau.

Du jamais-vu. Au centre hospitalier régional d’Orléans, la quasi-totalité des soignants des urgences sont en arrêt maladie, depuis bientôt une semaine. L’hôpital, qui a déclenché son plan blanc mardi 29 mars, ne maintient l’activité qu’avec le recours aux infirmiers et aides-soignants d’autres services et au « pool » de remplaçants. Celle-ci a été réduite après un appel à la population à ne solliciter le service qu’en cas d’urgences « vitales ».

Selon le décompte du syndicat SUD-Santé-sociaux communiqué le 3 avril, 79 des 80 infirmières des urgences et 35 des 45 aides-soignantes sont arrêtées – y compris les quatre cadres de santé –, soit 90 % de ces personnels paramédicaux des urgences, en raison de « l’état d’épuisement et de mal-être » qui domine depuis des mois, selon les représentants syndicaux.

Comment en est-on arrivé à cette situation ? La journée « catastrophe » du lundi 28 mars a été la « goutte d’eau », pour reprendre les mots des soignants. Dans l’un des secteurs des urgences, un soignant a retrouvé l’une de ses patientes décédée, à même un brancard. La mort de cette dame âgée était « attendue », explique-t-on dans les rangs médicaux, mais les conditions dans lesquelles elle intervient bouleversent un service déjà au bord de l’explosion. « Ce n’est pas le premier, et ce ne sera pas le dernier décès aux urgences, on sait qu’on est confronté à la mort, rappelle Marine (le prénom a été changé), une infirmière présente ce jour-là, qui souhaite rester anonyme. Mais il y a des morts qui choquent plus que d’autres, et là, ce qui choque, c’est qu’on ne peut plus accompagner dignement les patients. »

« On est maltraitants »

La jeune femme de 25 ans s’occupe alors du secteur d’à côté : elle compte 23 patients sous sa charge à l’heure du passage de témoin à l’équipe de l’après-midi, à 14 heures. Un nombre disproportionné qui revient de plus en plus souvent ces derniers mois au centre hospitalier régional, alors que le ratio jugé normal est d’un infirmier pour huit à dix patients. « On n’est plus en mesure d’assumer des décès comme ça, résume Marie Lefrançois, sa collègue aide-soignante. On s’aperçoit qu’il va y avoir des loupés dans ces conditions où ça déborde de partout. »

Outre ce décès, la saturation est telle que la nouvelle équipe qui arrive pour l’après-midi, ce lundi 28 mars, refuse de prendre ses fonctions et déclenche un « droit de retrait » – le cinquième depuis le début de l’année, selon SUD-Santé-sociaux. Une manière de tirer la sonnette d’alarme et de forcer à trouver des solutions de désengorgement. Dans les couloirs, les brancards s’entassent, dans de nombreux box, on compte trois patients au lieu de deux, même la salle de plan blanc, où les patients n’ont aucune intimité, a été rouverte depuis quelques jours, selon des soignants présents.

Un membre de la direction descend alors échanger avec les personnels, mais son discours fait l’effet d’une douche froide. « Il a dit à l’équipe qu’il fallait être patient, attendre pour que ça aille mieux jusqu’à septembre et les sorties d’écoles d’infirmières… Donc qu’il n’y avait aucune réponse à court terme, rapporte une représentante de SUD-Santé-sociaux, Lucie Cornéat, infirmière en pneumologie. Et aussi que les soignants n’avaient pas une “analyse complète de la situation”, ce qui a profondément blessé. » S’ensuivent des arrêts maladie qui tombent en cascade.

« On se le dit depuis des mois, on est maltraitants, reprend l’infirmière, Marine. On rentre en pleurant chez nous, on sait qu’on ne fait pas du bon boulot, je pensais déjà à démissionner alors que j’aime mon métier, que l’équipe est super-soudée, mais quand la qualité du sommeil se dégrade, qu’on ressasse sa journée toute la nuit, qu’on n’arrive plus du tout à “décrocher” même pendant les vacances… » Arrêtée pour dix jours, la jeune femme ne se voit pas revenir si les conditions de travail ne changent pas. « Même si c’est dur psychologiquement d’être en arrêt, c’est sûr qu’on pense aux patients… »

Préavis de grève déposé

Pourquoi les urgences orléanaises se sont retrouvées dans une telle situation ? Cette « porte d’entrée de l’hôpital », comme dans de nombreux établissements, voit ses difficultés s’aggraver depuis des mois. Avec une problématique centrale et récurrente : le manque de lits dans les autres « étages » pour y transférer les patients dont l’état nécessite une hospitalisation. Résultat : le service est en permanence saturé, avec des personnes attendant jusqu’à trois, quatre jours, sur des brancards, sans que les soignants ne soient à même de les surveiller ou tout simplement de les nourrir correctement. Depuis septembre, alors que le pays sortait de sa troisième vague de Covid-19, les fermetures de lits n’ont cessé de s’accroître, faute de personnels, avec les départs d’infirmières, les difficultés de recrutement et le fort absentéisme.

« C’est le reflet de la situation nationale, du manque de lits à l’hôpital », indique Louis Soulat, chef du SAMU et des urgences du CHU de Rennes, et porte-parole du syndicat SAMU-Urgences de France, qui évalue en outre à 30 % l’augmentation d’activité aux urgences en mars, par rapport à la même période en 2019. « Depuis deux mois, les services sont en forte tension, avec la recrue du Covid-19, la poussée de grippe depuis le retrait du masque, et aussi des pathologies habituelles très denses, explique le responsable. A Nantes, à Strasbourg, il y a aussi eu des décès sur brancard, à Marseille une fuite massive de praticiens, on a de plus en plus de services qui ferment, comme à Laval, qui prévoit onze nuits de fermeture en avril… Nous sommes dans un tunnel mais il n’y a pas de lumière au bout. » Avec une pénurie de médecins urgentistes qui est loin de s’arranger.

A Orléans, la situation pourrait s’aggraver. Un préavis de grève a été déposé. Les médecins du service, une trentaine, envisagent une grève « dure » à compter du 8 avril si aucune solution n’est trouvée : « On ne viendra pas juste travailler avec un brassard », prévient l’un d’eux, soulignant qu’il s’agit d’un mouvement « du dernier espoir »« un baroud d’honneur », avant de voir sinon pleuvoir les démissions. Le service est pourtant dans une « dynamique très positive », à entendre plusieurs médecins, avec, malgré des postes vacants, une situation relativement bonne sur le plan des ressources humaines. « On a déjà tout donné, on a sacrifié notre santé, notre vie de famille, ce n’est plus possible, on ne peut plus couler avec le bateau… », alerte le docteur Matthieu Lacroix, qui espère un écho national : « Il faut un plan d’urgence pour sauver l’hôpital public, il s’écroule, c’est vraiment effrayant. »

A Orléans, il s’agit pour lui de « l’aboutissement d’un long processus de dégradation ». Parmi les revendications des urgentistes figure l’assurance de disposer de 40 lits libres journaliers dans l’hôpital pour y envoyer leurs patients, ou encore la mise en place d’une cellule institutionnelle de gestion des lits.

A la direction de l’établissement, on plaide l’impuissance face à la crise : « Nous sommes vraiment démunis, c’est un problème structurel », dit le directeur général, Olivier Boyer. Alors que les capacités du centre hospitalier étaient déjà insuffisantes par rapport aux besoins, 150 lits ont été fermés sur 1 000 depuis la rentrée de septembre, avec 90 infirmières manquantes, dans une région sous-dotée en médecins au premier rang des déserts médicaux du pays. « Mais je ne désespère pas que, dans les jours qui viennent, on arrive à trouver une solution », dit le responsable. Sans pouvoir néanmoins être plus précis.


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