mardi 8 mars 2022

Vingt ans après la loi Kouchner, l’histoire inachevée des droits des malades


 


par Eric Favereau  publié le 8 mars 2022

La loi Kouchner sur le droit des malades fête ses 20 ans. Si les protagonistes du texte se montrent aujourd’hui plutôt satisfaits du chemin réalisé, des points noirs subsistent, notamment sur l’accès aux soins.

Le 4 mars 2002, la loi sur les droits des malades était définitivement adoptée en France. Vingt ans plus tard, un colloque s’est tenu au ministère de la Santé où se sont retrouvés tous les protagonistes de cette aventure. Et ils étaient contents. Très contents.

Ils n’avaient pas tout à fait tort, car ce fut une belle histoire et une forte avancée. «Une très belle loi», a dit d’emblée Olivier Véran, actuel ministre de la Santé à son prédécesseur Bernard Kouchner, qui en fut l’auteur principal. «Cette loi a été très bien accueillie», a poursuivi ce dernier, avouant néanmoins un regret, celui de ne pas avoir intégré un volet fin de vie à ce texte. Le french doctor a insisté sur l’avancée considérable que fut l’accès libre de tout patient à son dossier médical (auparavant l’accès devait passer par un médecin).«Tous les syndicats de médecins y étaient opposés», a-t-il rappelé. Didier Tabuteau, alors directeur adjoint du cabinet de Martine Aubry et à ce titre rédacteur en chef de ce texte (aujourd’hui vice-président du Conseil d’Etat) a rappelé : «Nous sortions d’une époque troublée, entre l’affaire du sang contaminé et d’autres encore, et l’objectif premier était de passer de la défiance à la confiance. Cette loi a mis dix ans avant d’être votée. C’est la question du temps long, de savoir ou de pouvoir prendre son temps.» Pierre Lascoumes, juriste et à l’époque coresponsable du collectif interassociatif des usagers de la santé – regroupant les plus importantes associations de malades – a synthétisé, non sans émotion, cette loi qu’il fut l’un des premiers à porter : «Ce fut la rencontre d’une volonté politique et d’une mobilisation associative. Ce fut la plus belle aventure professionnelle de ma vie.»

Vendredi au ministère de la Santé, l’ambiance était plutôt détendue et l’on fêtait un bel anniversaire législatif. Pourtant, le verre peut paraître à moitié plein, comme le confirment une série d’études présentées ce jour-là. Certes, la loi sur les droits des malades semble aujourd’hui bien connue. Selon une enquête de France Assos santé (structure regroupant toutes les associations d’usagers de la santé) sur près de 2000 patients, «l’information en matière de santé se maintient à un niveau élevé, avec néanmoins un défi émergent : le besoin de pédagogie autour de la santé numérique et des dossiers médicaux en ligne». Toujours sur le volet positif, «des évolutions encourageantes ont été notées en cinq ans sur la notoriété des droits des personnes malades». En outre, «les droits des malades sont globalement perçus comme mieux appliqués qu’en 2017».

Même bonne connaissance de la loi chez les professionnels de santé, ce qui ressort d’une enquête flash réalisée dans les hôpitaux de Paris : «75 % des professionnels déclarent la connaître», mais aussi «85 % déclarent connaître les droits individuels (information et consentement, droit à la confidentialité, à la dignité et à l’absence de discrimination, personne de confiance…). 55 % déclarent connaître le volet des droits collectifs (consécration du rôle des associations de patients, représentation des usagers dans les instances hospitalières…). Et 43 % connaissent le volet «réparation des accidents médicaux».

«Avertissement pour les acteurs du monde de la santé»

Pour autant, il y a des points noirs qui peuvent devenir inquiétants, comme celui de l’accès aux soins. Pour France Assos santé, «si 95 % des Français connaissent le droit d’accès aux soins, seuls 84 % estiment que ce droit est effectivement bien appliqué». Et ce baromètre montre une baisse de 4 points par rapport au baromètre 2017. «Cette chute sonne comme un avertissement pour les acteurs du monde de la santé. Et ce taux s’écroule plus particulièrement dans certaines régions dont l’offre de soins est plus dégradée qu’ailleurs, comme en Centre-Val de Loire et en Guadeloupe, où respectivement seulement 64 % et 66 % des personnes interrogées estiment le droit à l’accès aux soins appliqué.»

Et l’essor du Web n’aide pas : selon l’enquête de France Assos santé, seuls 54 % des usagers interrogés se sentent «bien informés sur les dossiers contenant leurs données de santé sur Internet». Quant à la question de la représentativité, émerge un besoin plus fort de représentation et de défense des usagers de santé. Comme si le malade se sentait bien seul pour défendre ses droits. «C’est l’information décevante de ce baromètre», note France Assos santé : «Seuls 32 % des sondés savent qu’il existe des personnes qui les représentent en tant qu’usagers à l’hôpital et à l’Assurance maladie et que ces personnes peuvent les défendre en cas de problème. Il est également regrettable que les commissions des usagers dans les hôpitaux ne soient connues que par 25 % des personnes interrogées. Ces commissions sont pourtant un outil indispensable de démocratie en santé, puisque des milliers de représentants des usagers, issus des associations de santé agréées, y siègent partout en France.»

«Patients plus exigeants»

Enfin, on ne peut pas dire que cette loi ait totalement détendu l’ambiance, à en croire l’enquête flash des hôpitaux parisiens. «89,89 % [des professionnels de santé parisiens] pensent que les patients sont plus exigeants», «qu’ils expriment plutôt moins de gratitude à leur égard» et qu’il y a de la part des patients «plus d’agressivité pour 68% des répondants». Pour finir, «90 %déclarent qu’il serait utile de sensibiliser les patients à des «devoirs» envers les soignants».

De fait, vingt ans plus tard, le combat n’est pas tout à fait achevé. Et Laurence Tiennot-Herment, qui préside le Téléthon, l’a rappelé lors du colloque. «Les droits des malades doivent toujours s’imposer. Et la place des associations reste l’enjeu majeur de la nouvelle décennie de la démocratie en santé.» Elle n’a pas tout à fait tort quand on voit leur mise de côté lors de la crise du Covid.


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