dimanche 20 mars 2022

Quand un suicide cause des dommages à d’autres, qui indemnise ?

Rafaële Rivais  Publié le 19 mars 2022

Les assureurs qui refusent de garantir un sinistre provoqué par un suicide doivent désormais prouver que la personne qui a mis fin à ses jours a eu conscience du dommage qu’elle allait causer à autrui.

L

es familles dans lesquelles une personne s’est suicidée peuvent, en plus de leur peine, craindre de devoir payer de fortes sommes d’argent, lorsque ce suicide a causé des dommages à des tiers (incendie d’un immeuble, déraillement d’un train). Certains assureurs refusent en effet d’assurer ce type de sinistre, en invoquant le code des assurances (article L. 113-1), selon lequel ils ne doivent pas « [répondre] des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».

Ils considèrent que les dégâts survenus à l’occasion d’un suicide résultent d’une « faute dolosive » : en se donnant la mort, l’assuré n’a certes pas voulu provoquer l’accident, tel qu’il s’est produit (à la différence de celui qui a commis une « faute intentionnelle »). Mais il l’a rendu inéluctable, ce qui a fait disparaître l’aléa devant être lié à leur couverture du risque, et justifie leur refus de garantie.

Cette conception de la faute dolosive mécontente les victimes, comme la SNCF. Récemment, elle a, en vain, réclamé quelque 60 000 euros à la Macif, assureur d’un homme, M. W, qui s’était jeté sous un train, alors que celui-ci arrivait en gare de Saint-Cyr-l’Ecole (Yvelines). Et quelque 20 000 euros à Assurances du Crédit mutuel (ACM) incendie, accidents et risques divers (IARD), assureur d’une femme qui s’était placée sur un passage à niveau à Feuchy (Pas-de-Calais), au moment où le train passait. Elle a donc saisi la justice.

Lorsque ces affaires arrivent devant la Cour de cassation, l’avocat de la SNCF, Me Guillaume Tapie, affirme qu’il ne peut y avoir faute dolosive – et disparition de l’aléa – que si l’assuré a eu « conscience » du dommage qu’il allait inéluctablement causer à autrui, ce que l’assureur doit prouver.

La Cour lui donne raison. Le 20 mai 2020 (19-14.306), elle condamne la Macif à indemniser la SNCF. Elle juge en effet que « l’intention de M. W était de mettre fin à ses jours ». Selon elle,« rien ne permettait de conclure qu’il avait conscience des conséquences dommageables de son acte pour la SNCF » ; de ce fait, « l’assurance n’avait pas perdu tout caractère aléatoire ».

Faute dolosive

Le 20 janvier 2022 (20-13.245), elle confirme cette nouvelle définition de la faute dolosive, plus favorable aux victimes, contre ACM IARD. Elle casse l’arrêt d’appel qui avait donné satisfaction à ACM, « sans caractériser la conscience que l’assurée avait du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son geste ».

Pour qu’il y ait faute dolosive, il faut que « les moyens employés » dans le but de mettre fin à ses jours aient « [dépassé] très largement ce qui est nécessaire pour uniquement se suicider ». C’est ce qu’a jugé la Cour, le 20 mai 2020 (19-11.538), à propos d’un copropriétaire, M. X, ayant placé deux bouteilles de gaz dans son salon, avant d’y répandre de l’essence et d’y mettre le feu, ce qui a provoqué sa mort, par asphyxie et par brûlures, mais aussi plus de 400 000 euros de dégâts.

La Macif, son assureur, refusait d’indemniser Axa IARD, assureur de la copropriété. Elle affirmait que, « au-delà de sa volonté de se suicider, M. X souhaitait causer d’importants dommages à [son] immeuble », comme en témoignait « sa volonté de provoquer une forte explosion »La Cour lui donne raison. Elle estime en effet que, « si l’incendie n’avait pas pour motivation principale la destruction (…) de l’immeuble, celle-ci était inévitable et ne pouvait pas être ignorée par l’incendiaire, même s’il lui était difficile d’en apprécier l’importance réelle et définitive ».

Axa IARD ne souhaite pas communiquer sur cette affaire, mais confirme au Monde que « la procédure dans de tels événements est de s’enquérir des éventuels héritiers puis, s’il n’y en a pas, de se mettre en relation avec les services fiscaux ». Pour se faire rembourser des sommes avancées.


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