lundi 7 mars 2022

« On n’imagine pas la misère qu’il y a derrière ces murs » : paroles de visiteurs de prison

 




Par Jean-Baptiste Jacquin(Saint-Brieuc, envoyé spécial)  Publié le 7 mars 2022

A Saint-Brieuc, dix bénévoles entrent chaque semaine dans la maison d’arrêt pour y visiter des détenus sans famille. Ils partagent leur expérience. 

Dans une cellule de la maison d’arrêt de Fontenay-le-Comte (Vendée), le 17 septembre 2021.

Dans un local associatif situé au pied des hauts murs en moellon de granit de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), quatre femmes et trois hommes sont assis en cercle autour de deux tables basses. Ils s’y retrouvent, tous les deux mois environ, pour partager leur pratique de visiteur de prison, leurs interrogations ou leurs doutes. Dix visiteurs, dont neuf sont membres de l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP), sont agréés par l’administration pénitentiaire pour entrer dans cette prison de 85 places… et 145 détenus au 1er février. A l’échelle nationale, l’ANVP regroupe un millier de bénévoles.

« J’ai quelqu’un qui n’est vraiment pas dans l’échange, mais dans la remise en question de tout, le monde entier est coupable, lance Josiane (les membres du groupe ne souhaitent pas donner leurs noms), visiteuse de prison depuis trois ans. Il a été incarcéré une première fois, a été libéré, puis est revenu. Il a beaucoup d’aplomb, beaucoup d’exigences… J’ai écouté, écouté, mais quand j’ai appris qu’il serait transféré dans une autre prison, j’ai été soulagée. » Un « ohhh ! » réprobateur parcourt la salle… « Ben oui, se justifie Josiane, il faut du plaisir dans l’échange. C’est la première fois que la rencontre ne s’est pas faite ! »


« Cela prend du temps, parfois, pour qu’une relation de confiance s’établisse », réagit Marie-Thérèse, visiteuse depuis 2007. Isabelle, comptable et conseillère en gestion et fiscalité pour des agriculteurs, la seule du groupe à ne pas être retraitée, le confirme :« J’ai eu un taiseux, un marin pêcheur, il ne disait rien. Et puis un jour, il s’est débloqué, il s’est mis à beaucoup parler et à beaucoup pleurer. »

« On apprend à écouter »

Chaque visiteur vient une demi-journée par semaine dans cette maison d’arrêt pour recevoir, dans un petit local, trois détenus, une heure chacun. Une relation suivie s’instaure pendant six mois ou un an, la durée moyenne de détention étant ici de neuf mois. Parfois beaucoup plus, lorsqu’une information judiciaire dure. Isabelle suit un jeune, incarcéré depuis quatre ans. Elle s’est attachée à lui et va demander l’autorisation d’aller le visiter dans le centre pour peines où il sera bientôt transféré.


Henri, ancien technicien de réseaux télécoms, a rencontré 35 détenus en un peu plus de six ans. « Ce sont des gars aux antipodes les uns des autres, on s’adapte. On apprend à écouter, je découvre beaucoup de choses, y compris sur moi-même, c’est très enrichissant. » Au point qu’il garde sa montre sous les yeux, car il ne voit pas le temps passer.

A la prison de Saint-Brieuc, le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation propose, ainsi, de rencontrer un de ces citoyens bénévoles à tout nouveau détenu qui n’aura pas de visite. Soit parce qu’il n’a pas de famille, est étranger, ou que la famille a coupé les ponts, car il y a eu inceste ou violences intrafamiliales. L’attribution à un visiteur est décidée par l’établissement. Certains ne diront jamais à leur visiteur la nature de l’infraction qui les a conduits ici. « Dehors, les gens voient l’acte, on me dit que je vais voir quelqu’un qui a frappé ou violé. Mais nous, visiteurs, on voit des individus », assure l’un des participants.

Bénévole depuis novembre 2021, après avoir suivi une journée de formation sur « l’environnement du visiteur » organisée par l’ANVP, Nathalie devrait bientôt obtenir son agrément définitif de la part de l’administration pénitentiaire. Elle suivra avant l’été un nouveau stage, de deux jours cette fois. Déjà bouleversée par certaines rencontres, elle évoque le cas de ce détenu « rebelle » dont elle a découvert au bout de six ou sept séances qu’il « écrit merveilleusement bien ». « Il écrit désormais beaucoup, ça le calme, il a moins de rancœur, moins de regrets. J’espère qu’il va se reprendre grâce à l’écriture. »

« Rôle de régulateur »

Pour Didier Bazin, président de la section des Côtes-d’Armor de l’ANVP et délégué interrégional du Grand Ouest, l’association « contribue à apporter de l’humanité derrière les murs, là où il n’y en a pas beaucoup ». Il relate le cas de ce jeune qui lui a récemment confié le bien que lui faisait le simple fait de le regarder dans les yeux. « A trois dans 9 mètres carrés, ils ne se regardent jamais en face. C’est terrible de ne pas être capable de regarder dans les yeux les gens avec qui tu vis », s’émeut M. Bazin.

Ces visiteurs ont tous identifié le même surveillant qui les voit comme des intrus. Selon eux, il arrive même qu’il annonce qu’un détenu ne veut pas descendre au rendez-vous… alors qu’il ne serait tout simplement pas allé le chercher dans sa cellule. « Une fois, un surveillant m’a dit que j’avais mieux à faire de ma retraite que de venir ici », affirme Josiane, professeure de braille ayant également travaillé avec la mission locale au profit de personnes en rupture scolaire.


« On n’imagine pas la misère qu’il y a derrière ces murs », dit Christian, devenu visiteur après avoir entendu une émission de radio. « On a un rôle de régulateur. En permettant aux personnes de dire leur peine, elles repartent apaisées en cellule », observe la plus ancienne du groupe. Un étroit fil maintenu avec l’extérieur qui peut aussi aider à se projeter sur l’après. Car ce n’est pas l’enseignante de l’éducation nationale affectée à la maison d’arrêt qui pourra accompagner les détenus sur ce chemin. Arrêtée depuis l’été 2021, elle n’a toujours pas été remplacée.



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