mardi 8 mars 2022

« Nous dénonçons le climat misogyne, homophobe et raciste qu’instaure la culture carabine au sein des services hospitaliers »

Publié le 8 mars 2022

TRIBUNE

Collectif

Les fresques dans les centres hospitaliers et universitaires représentant des viols collectifs ou des femmes mangeant des ordures banalisent la déshumanisation des femmes et les violences à leur encontre, dénoncent, dans une tribune au « Monde », des représentants d’associations et de collectifs de patientes et de syndicats de professionnels de santé.

Nous, associations et collectifs de patientes, syndicats de professionnels de santé, dénonçons le climat misogyne, homophobe et raciste qu’instaure la culture carabine au sein des services hospitaliers et auprès des patientes. Cette culture patriarcale contribue autant à accroître les risques psychosociaux chez les professionnels qu’elle participe aux violences subies par les patientes.

Souvent présentée comme favorable à l’entraide entre praticiens et praticiennes afin de dédramatiser un quotidien professionnel lourd, elle s’incarne à travers une culture à caractère morbide, sexuel, des bizutages, des traditions dans les salles de garde, mais également par des fresques pornographiques pouvant représenter d’autres professionnels et collègues sur les murs des internats.

Insupportable

Si nous reconnaissons les difficultés inhérentes à ces professions et la nécessité d’organiser des moments conviviaux, il nous est insupportable de constater qu’ils servent de prétextes pour piétiner inlassablement la dignité des femmes et des personnes homosexuelles et racisées. La culture carabine, propre à la médecine française, s’inscrit bien dans la continuité du système patriarcal. En effet, bien que les infirmières et les sages-femmes connaissent ces mêmes difficultés, aucune de ces professions ne cultive une telle ambiance.

Cela est d’autant plus insupportable que cette ambiance carabine misogyne se traduit par des violences sexistes et sexuelles au sein de la profession et contre les patientes. Comment pouvons-nous encore prétendre que la culture carabine est une culture de l’entraide quand on regarde sans concession l’ampleur des violences ?

D’après une étude de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), la moitié des étudiantes en médecine déclarent avoir subi des remarques sexistes lors de leurs stages et 40 % d’entre elles y ont été victimes de harcèlement sexuel. Selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), 3,4 % des plaintes déposées auprès des instances disciplinaires de l’ordre des médecins en 2016 concernent des agressions sexuelles et des viols commis par des médecins.

Comment pouvons-nous encore penser que la culture dans laquelle chaque interne évolue et doit se conformer pour faire corps n’a aucun impact sur sa pratique de la médecine ? Ce sont les mêmes médecins qui s’amusent de fresques représentant des viols collectifs, des femmes inconscientes recouvertes de sperme ou d’autres qui mangent des ordures, et qui sont aussi responsables de la formation des internes et de la prise en charge des patientes.

Incapacité des pouvoirs publics

Si entraide il y a, elle est au bénéfice des agresseurs. La culture carabine sert la justification des violences sexistes et sexuelles en minimisant leur ampleur et en cultivant l’omerta pour réduire au silence les victimes. Dans près de 60 % des cas, les étudiants et étudiantes signalant des violences sexistes et sexuelles à leur hiérarchie à l’hôpital se heurtent à une absence de réaction.

Après les campagnes #metoo, #balancetonporc, #payetonutérus, #payetablouse, et les différents scandales de violences obstétriques et gynécologiques, des associations, collectifs de patientes, syndicats de professionnels de santé ont été lassés par l’incapacité des pouvoirs publics et des centres hospitaliers et universitaires (CHU) à agir. Ils ont multiplié pétitions et tribunes qui sont restées lettre morte.

C’est la raison pour laquelle des actions en justice ont été conduites aux CHU de Toulouse puis de Rennes pour faire interdire les fresques pornographiques se trouvant dans les internats de médecine. Ces fresques carabines, en banalisant la déshumanisation des femmes et des violences à leur encontre, favorisent l’émergence d’un climat sexiste dans les hôpitaux et participent au continuum des violences.

Forte de l’ordonnance du tribunal administratif de Toulouse dans laquelle le juge a estimé que « le caractère pornographique des fresques dont l’enlèvement est demandé, représentant des agents de service public, hommes comme femmes, se livrant à des actes sexuels dans des situations humiliantes (…), porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la dignité humaine », Osez le féminisme ! a saisi le Conseil d’Etat pour que ces fresques soient interdites dans toute la France.

Prévention et lutte

C’est pourquoi nous vous demandons, Olivier Véran, d’aligner votre politique avec ce qui a été proclamé comme « grande cause du quinquennat » par le président Emmanuel Macron en prenant cette série de mesures :

– la publication d’une circulaire à l’adresse de l’ensemble des CHU de France les appelant à procéder à l’enlèvement et/ou au recouvrement définitif des fresques sexistes et pornographiques présentes en leur sein afin d’aligner leur règlement intérieur avec la jurisprudence récente ;

– la clarification des règlements intérieurs des hôpitaux publics avec l’application de sanctions ;

– le financement et la mise en place d’un plan de prévention et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’hôpital public.

Liste des signataires : Alyssa Ahrabare, porte-parole d’Osez le féminisme ! ; Victor Alava, secrétaire adjoint du syndicat SUD-Santé de Haute-Garonne ; Sonia Bisch, fondatrice et porte-parole du collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques (Stop VOG) ; Enora Lamy, coprésidente d’Osez le féminisme ! 31 ; Hélène Monlaü, présidente de la Marche mondiale des femmes Occitanie ; Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV) ; Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie ; Claudine Salvaire, présidente du Collectif Midi-Pyrénées pour les droits des femmes (CMPDF) ; Sophia Antoine, activiste, Femen ; Anna Stevenson, présidente du collectif Autour de l’adénomyose et l’endométriose pour la recherche scientifique (Aaers) ; Martin Winckler, écrivain et médecin.


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