vendredi 11 mars 2022

Maternité des Lilas: en Seine-Saint-Denis, une institution féministe menacée de disparition

par Elsa Sabado   publié le 9 mars 2022

Depuis plus de dix ans, la clinique militante, sanctuaire des droits des femmes à rebours des logiques de rentabilité, n’a cessé d’accumuler les difficultés. Sans repreneur, elle pourrait fermer ses portes cet été.

«J’irai jusqu’au bout de ce qui a été initié par la lutte.» En 2012, François Hollande, en pleine campagne présidentielle, promettait au pied des murs en brique de la vieille maternité des Lilas (Seine-Saint-Denis) d’en rebâtir une nouvelle, «qui puisse avoir le même esprit dans un autre lieu et avec des financements pérennisés». Dix ans plus tard, l’institution croupit toujours dans ses murs de 1964. Pour combien de temps ? Le groupe privé Almaviva Santé, qui vient de racheter la clinique voisine Floréal, à Bagnolet, a jusqu’à l’été pour reprendre la maternité. Passée cette date, ses autorisations d’activité ne seront pas renouvelées par l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France, a prévenu son directeur de l’offre de soin, Didier Jaffre, lors d’une réunion de crise avec les médecins et la direction, début janvier.

Quatrième groupe de cliniques privées en France, Almaviva Santé appartient à 60 % à Wren House, dont l’argent provient des fonds souverains koweïtiens, à 6 % à la banque publique d’investissement BPIFrance et à 10 % au fondateur du groupe de maisons de retraite DomusVi, Yves Journel. Son actuel directeur, Yann Coléou, fut notamment le DG du groupe d’Ehpad Korian«Si la maternité est absorbée par ce groupe, les médecins seront en libéral, et plus salariés. Payés à la tâche, ils voudront réaliser les accouchements, qui ne seront donc plus accomplis par les sages-femmes. Or, c’est la raison d’être de notre maternité», redoute Corina Pallais, déléguée syndicale SUD, qui y voit le clap de fin de l’histoire de la maternité des Lilas.

Fondée en 1964 par la comtesse de Charnières, la maternité des Lilas s’inspire de la méthode de l’accouchement sans douleur, basée sur l’explication, la décontraction, et la respiration, rapportée d’URSS par le docteur Fernand Lamaze, fondateur de la clinique parisienne des Bluets. Elle propose d’accoucher avec ou sans péridurale, dans la position qui leur convient, en leur proposant diverses préparations, du chant prénatal à la sophrologie… «Nous éduquons les femmes et les couples à la vie, la sexualité, aux choix et aux désirs. L’accent est mis sur l’autonomisation des femmes et le partage du savoir», théorise Marie-Laure Brival, gynécologue obstétricienne historique de la maternité. L’institution donne autant de place aux 900 interruptions volontaires de grossesse qui y sont pratiquées tous les ans qu’aux accouchements. L’ambition affichée est de prendre le temps pour accompagner parturientes et avortantes, à rebours des logiques de rentabilité. En 1979, la maternité est victime d’une première crise financière, à la faveur de laquelle elle devient un établissement «participant au service hospitalier», financé par l’assurance maladie, et géré par l’association Naissance.

Coups d’arrêt

«Dès le mouvement de concentration hospitalière des années 90, nous savions qu’il fallait renoncer à notre mono-activité, trouver des solutions d’adossement avec d’autres établissements et de nouveaux locaux, car les nôtres étaient déjà vétustes», rappelle Marie-Laure Brival. En 2006, la mairie des Lilas préempte le terrain de l’ancienne usine de fil Gütermann pour accueillir le futur bâtiment de la maternité. Censé réaliser 2 000 accouchements par an, il doit ainsi atteindre l’équilibre financier. «En février 2009, Roselyne Bachelot tamponne d’une main le projet de reconstruction, poursuit Marie-Laure Brival, lui allouant 6,6 millions d’euros. De l’autre, elle fait adopter la loi HPST, qui accélère la concentration hospitalière.»

A peine créée, l’ARS Ile-de-France, dirigée par Claude Evin, regarde d’un mauvais œil cet établissement qui ne rentre pas dans sa logique de fermeture des maternités les moins médicalisées, et ne va cesser de mettre des coups d’arrêt au projet de reconstruction pour différents motifs. D’abord, en 2011, le manque de sécurité. L’adossement de la maternité aux Diaconesses, un hôpital du XXe arrondissement de Paris, débloque un temps la situation. Puis, en 2013, l’ARS annonce découvrir un «déficit structurel» de la maternité ne lui permettant plus de recourir à l’emprunt, ce qui provoque le retrait des Diaconesses, et sape le projet de reconstruction aux Lilas. La nouvelle proposition de l’ARS – le transfert vers le centre hospitalier de Montreuil – est rejetée tant par le personnel de la maternité des Lilas que par son comité de soutien, qui la considèrent comme un pis-aller, et continuent de croire à la reconstruction aux Lilas.

«En 2014, après le départ des Diaconesses, c’était la panique. Nous n’avions plus d’association, plus de gestionnaires», se souvient Marie-Laure Brival. Elle s’attelle à la reconstruction de la maternité et, pour composer son conseil d’administration, se met à la recherche de personnes influentes. Y entrent alors Françoise Zecri, une des propriétaires historiques des murs de la maternité, un de ses proches, Louis Fabiano, Jean-Claude Hirel, un ancien inspecteur des finances qui propose spontanément ses services. La conseillère municipale socialiste et présidente du comité de soutien des usagers, Madeline Da Silva, en prend alors la présidence.

«Fin de l’esprit des Lilas»

Pas pour très longtemps. Malgré la promesse présidentielle, la ministre de la Santé Marisol Touraine finit par doucher définitivement les espoirs de reconstruction de la maternité en mono-activité et aux Lilas. Par défaut, Marie-Laure Brival et Jean-Claude Hirel proposent un adossement à la clinique privée bagnoletaise Floréal. Ils s’aliènent ainsi le soutien de la mairie des Lilas, et Madeline Da Silva démissionne du conseil d’administration en mars 2015. «Cela signifiait la fin de l’esprit des Lilas, tant au niveau des durées moyennes de séjour que des conditions d’accouchement. Nous nous sommes résignés à la défaite, avec le sentiment d’avoir été trahis par François Hollande», déplore le maire d’alors, Daniel Guiraud.

D’autant que l’adossement à Floréal tarde. Pire : peu à peu, l’ARS détricote le projet proposé par Marie-Laure Brival et Jean-Claude Hirel. «On est passés d’un bâtiment autonome, à deux étages sur la clinique Floréal, à un étage. Avec un statut moins favorable pour les salariés, qui étaient de moins en moins partants», raconte Marie-Laure Brival. Louis Fabiano, à qui Jean-Claude Hirel laisse le siège de président de l’association Naissance en 2017, se montre bien moins diligent que son prédécesseur. «Malgré nos multiples questions en CSE, nous n’avions plus aucune information sur ce qui allait advenir de la maternité», relate Corina Pallais, la déléguée syndicale SUD. Une source proche de l’ARS est plus sévère encore : «Fabiano ne se présentait pas aux rendez-vous qu’on lui donnait. On ne sait pas ce qu’il était venu faire là.» «Quand je suis parti, le projet Floréal était bouclé, il n’y avait plus qu’à. Je suis surpris que l’administration ait continué à la financer comme cela, pendant dix ans», juge aujourd’hui Jean-Claude Hirel. Contacté, Louis Fabiano n’a pas souhaité répondre à nos questions.

A partir de 2015, Murielle Vannier devient directrice générale et initie une politique d’économies : «Avant, on gardait parfois les bébés à la nurserie pour laisser les mères dormir. Avec les non-remplacements, c’est moins souvent le cas. Les alèses qu’on nous fournit se déchirent. Le poupinel, qui gardait le linge au chaud, est tombé en panne et n’a jamais été remplacé», déplore l’auxiliaire puéricultrice Myriam Devaucelle, membre de la CGT. En parallèle, la directrice embauche plus de personnel administratif. Le nombre d’accouchements chute progressivement – passant de 1 540 en 2015, à 1 410 en 2019 et à 1 278 en 2020 – et, avec lui, celui des recettes de la maternité.

Equipes exténuées

En décembre 2018, Marie-Laure Brival, arrivée à l’âge de la retraite, rend sa blouse et entre au conseil d’administration. «Au vu de la situation de crise dans laquelle se trouvait la maternité, les réunions étaient trop peu nombreuses. Nous recevions les convocations et les documents trop tard, quand on les recevait, et nous n’avions pas le temps de les étudier. Tout semblait se passer entre Louis Fabiano et Benoît Péricard.» Ce dernier, vice-président de l’association Naissance, est un poids lourd de la santé, passé de la direction du CHU de Nancy, à celle du secteur santé du cabinet d’audit KPMG.

La question de l’avenir de la maternité resurgit en novembre 2020, quand se propage la rumeur selon laquelle le propriétaire de Floréal veut vendre son établissement. La vente à Almaviva Santé est effective en décembre de l’année suivante. Dans la présentation du projet du nouveau propriétaire aux salariés, à aucun moment il n’est question de la reprise de la maternité des Lilas. Sollicitée, Almaviva a affirmé «n’avoir pas de commentaire particulier à faire sur la maternité des Lilas, entièrement concentré sur le projet médical et chirurgical actuel de la clinique Floréal». Ni le conseil d’administration de la maternité ni le directeur de l’offre de soin à l’ARS, Didier Jaffre, n’ont souhaité répondre à nos questions tant sur l’avancement de ces tractations, que sur une éventuelle alternative en cas d’échec.

Au bout de dix années de ce régime d’incertitude, les équipes sont exténuées. «On oscille en permanence entre l’envie de tourner la page, d’aller développer d’autres projets ailleurs, et l’envie de défendre ce lieu, son histoire, ses équipes, sa richesse», expose Corina Pallais. Car la maternité continue d’innover, qu’il s’agisse du groupe de parole sur les parentalités plurielles impulsé par le Centre de planification familiale ou de sa mutation en «transernité», lorsqu’elle a assuré l’accompagnement de la première grossesse d’un homme transgenre reconnue par l’état civil. A un moment où le féminisme investit comme rarement les questions de parentalité, son attractivité ne se dément pas auprès de jeunes professionnelles de la maïeutique engagées, comme Alys, 27 ans, convaincue d’être le fruit d’une génération qui «remet en cause le pouvoir médical patriarcal» et ravie que son nom circule comme soignante de confiance dans la communauté LGBT. Ou Angélique, sensibilisée à l’accouchement physiologique depuis son école de sage-femme, à Dijon : «Quand tu viens travailler là, c’est pour une raison. Bosser à la maternité des Lilas, c’est une fierté.»


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