mercredi 16 mars 2022

Guerre en Ukraine : « Nous ne sommes jamais obligés de donner toute l’information en une seule fois à un enfant, l’essentiel est d’ouvrir le dialogue »


Faut-il ou non parler de la guerre aux enfants ? A quel moment et comment s’y prendre ? La pédopsychiatre Marie-Noëlle Clément a répondu à vos questions.

14:40

Ce tchat est terminé 

Merci à toutes et à tous pour vos nombreuses questions et contributions. Ce tchat est désormais terminé, Marie-Noëlle Clément a répondu à vos interrogations. Nous espérons que cet échange vous a plu.

Bon après-midi, et à bientôt sur Lemonde.fr !

14:35
Bonjour,
on fils autiste de huit ans se passionne depuis deux ans pour les trains soviétiques, il a appris l'alphabet cyrillique rapidement et par echolalie à acquis un certain vocabulaire en Russe. Son rêve, c'est le transsibérien et la Sibérie. C'est un réel plaisir pour lui et je ne sais pas comment lui expliquer clairement qu'il ne doit pas cesser d'aimer les trains russes malgré la guerre (il s'en détourne). Ou d'un autre côté, ne pas ignorer et faire l'impasse sur la situation entre la Russie et l'Ukraine.
MDélicate position
Crevette 

Bonjour,

Pourquoi ne pas le laisser choisir ? C’est-à-dire lui expliquer, en vous appuyant sur des supports comme des journaux destinés aux enfants, des cartes de géographie, qu’il y a en ce moment une guerre de la Russie menée contre l’Ukraine.

Lui donner votre propre position sur ce conflit, lui faire part des émotions qui vous habitent. Et voir ensuite quel lien il pourra faire, ou pas, entre ses propres centres d’intérêts, et la situation actuelle.

Il est probable que cette passion qu’il nourrit pour les trains russes soit totalement clivée par l’actualité, et qu’il ne voit pas la moindre utilité à remettre en question cet intérêt très fort. Mais vous lui aurez donné les informations qui vous tiennent à cœur et vous vous tiendrez prête à répondre à ses questions s’il en a.

14:25
J'ai parlé de la guerre à mon fils de 5 ans, qui a bien compris. Comment gérer le fait que lui même et ses copains jouent beaucoup à la guerre. Faut il leur interdire les faux pistolets épées qu'ils aiment beaucoup...? Faut-il relier ces deux choses ? La vraie guerre et jouer à la guerre ?
Pauline

Bonjour,

Jouer c’est faire semblant. Donc faire la guerre et jouer à la guerre, cela n’a rien à voir. Les enfants ont besoin de jouer pour métaboliser, digérer en quelque sorte, les événements qu’ils vivent ou qui peuvent les inquiéter.

Donc il n’y a pas lieu de leur interdire ce type de jeu, ce serait même tout à fait contre-productif. En revanche on peut veiller à ce que les jouets achetés ne soient pas réalistes, pour ancrer les choses dans le champ du jeu, du théâtre, du « faire semblant ».

14:21
Mon fils adolescent de 16 ans dort mal depuis le début de ce conflit, qu'il suit avec nous, alors qu'il ne s'intéressait pas particulièrement aux informations jusqu'à présent. Il ne verbalise rien, mais je me demande si cela peut avoir un lien. Comment aborder cette question ?
Luc

Bonjour,

Il est grand… et petit à la fois ! A cet âge, il est d’une importance capitale de parler de l’actualité avec nos ados. Mais il n’est pas impossible en effet que ses troubles du sommeil soient liés à cela, qu’il soit inquiet, perturbé. Et c’est une raison encore supplémentaire pour en parler avec lui.

Demandez-lui s’il en parle avec ses copains, avec ses professeurs. Demandez-lui s’il est inquiet, faites-le préciser. Si ses difficultés devaient perdurer, vous pouvez aussi lui proposer d’en parler avec un psychologue.

Les ados sont parfois gênés de parler de certains sujets avec leurs parents, notamment parce qu’ils ont envie de les protéger d’angoisses qui peuvent les habiter. C’est parfois plus simple avec un autre adulte (dans un premier temps, ce peut être aussi un ami de la famille, ou un oncle, une tante, etc.).

14:17
Bonjour. Quels mots employer ? Jusqu'où aller dans la communication avec son enfant (petite de 5 ans) : faut-il évoquer les "morts" ou les "tués", inévitablement évoqués à la radio ? Ou faut-il plutôt être elliptique ? Merci.
Max_L

Bonjour,

Là encore, essayez de partir des représentations qu’a votre fille de la guerre : « Sais-tu ce que c’est qu’une guerre ? A ton avis, qu’est-ce qui se passe dans une guerre ? » Vous verrez ainsi où elle en est.

A partir de là, vous allez pouvoir expliquer ce qu’est une guerre. Vous n’êtes pas obligé de mentionner les morts, au moins dans un premier temps. Vous pouvez parler des blessés, car les gens se battent.

Souvenons-nous que nous ne sommes jamais obligés de donner toute l’information en une seule fois à un enfant ! Encore une fois, l’essentiel est d’ouvrir le dialogue. C’est peut-être elle qui vous posera la question à un moment ou un autre. Et sinon, progressivement, à un moment, vous sentirez que c’est le moment où vous pouvez l’aborder.

14:13
Comment donner de l'espoir aux enfants plus grands (10 et 13 ans) qui sentent bien les limites de ce que les adultes ( parents, gouvernements) peuvent faire pour résoudre ce conflit?
Jacques

Bonjour,

Il ne faut jamais oublier que les préados et les ados ne regardent pas le conflit avec les mêmes yeux que nous : ils ont pour eux leur jeunesse et leur envie, leur espoir de changer le monde. Donc il faut les encourager dans cette voie.

Par exemple en menant des actions symboliques ou concrètes : participer à une marche pour la paix, participer à une collecte pour les familles ukrainiennes, etc. C’est dans l’action qu’ils garderont l’espoir.

14:10
Avons-nous raison d'interdire le journal télévisé à notre fils de 7 ans, pour le protéger des images ?
Euniie

Bonjour,

Comme je le disais précédemment, le journal télévisé n’est pas indiqué pour les enfants de moins de 9-10 ans. Donc un enfant de 7 ans n’est en effet pas armé pour y faire face.

C’est plutôt à poser en termes de protection qu’en termes d’interdiction : « Au journal télévisé il y a parfois des images difficiles à voir, qui font du mal. Donc nous pensons que tu es trop petit pour le regarder. Mais si tu veux on peut parler ensemble de l’actualité et lire des journaux qui sont faits pour les enfants de ton âge. »

14:08
Comment aborder le sujet avec mon ado ? Est-ce que je peux le faire participer à des actions humanitaires ?
Paul

Bonjour,

Les adolescents ont des savoirs à leur disposition pour mettre en perspective l’actualité. On peut donc s’appuyer là-dessus (éléments historiques, géopolitiques). Toutefois, ils ont aussi leurs fragilités : une sensibilité exacerbée par le processus adolescent, une propension à suivre l’actualité en continu sur leur smartphone, une peur de l’avenir…

Nous devons donc être prudents avec eux, les accompagner au mieux en leur conseillant notamment de s’informer plutôt sur des médias « mainstream » par exemple. L’info en continu est très déstabilisante car elle nous confronte à notre impuissance devant des images qui tournent en boucle et pour lesquelles il y a peu d’éléments d’analyse.

Pour ce qui est de participer à des actions de solidarité, je pense que c’est très important, à tout âge, mais particulièrement à l’adolescence en effet. C’est une manière de ne pas être seulement un spectateur passif et impuissant, mais de faire quelque chose. De plus, ce sont souvent des actions collectives, donc c’est une manière de se sentir relié à d’autres qui partagent les mêmes valeurs. C’est très important en période troublée.

14:03
Après avoir entendu parler de la guerre à la récré, notre fille s'est remis à faire pipi au lit. Est-ce qu'il peut y avoir un lien ? Que peut-on faire ?
Loulou

Bonjour,

C’est tout à fait possible. L’énurésie nocturne secondaire (c’est-à-dire celle qui survient chez un enfant qui a déjà acquis la propreté) est très liée aux événements extérieurs qui peuvent déstabiliser l’enfant. Les échanges vont bon train dans les cours de récré entre les enfants, et il y a une course à celui qui apportera l’information la plus spectaculaire. Elle a peut-être entendu des choses qui lui ont fait peur, que d’autres ont peut-être répétées pour les avoir entendues dans leur entourage.

Questionnez-la sur ce que les autres enfants disent sur cette guerre, sur ce qu’elle en a compris. Reportez-vous à une carte de géographie, montrez où se situe la zone de conflit. Il est très important de donner ces éléments de contexte, car les enfants peuvent avoir l’impression que c’est à leur porte que cela se passe (c’est d’ailleurs ce que tout le monde dit : la guerre aux portes de l’Europe…).

Les paroles des parents sont susceptibles d’amener de la réassurance, là où les paroles des autres enfants, dans la cour, fusent sans aucune hiérarchisation. Si les difficultés perdurent, il ne faut pas hésiter à consulter un ou une psychologue pour enfants pour passer un cap difficile. Une consultation peut parfois suffire…

13:55
Je n’avais pas prévu d’en parler à mon fils de 4 ans et demi. Mais il a vu quelques images à la télé chez mes parents et il nous en parle ou en parle à d’autres enfants. « Tu connais la guerre? » « la guerre c’est pas gentil » en effet.
que puis je lui dire par rapport à son âge ?
Clarisse

Bonjour,

Essayez de partir de ses propres représentations, en lui demandant ce qu’il a entendu et compris. Cela permet de donner à l’enfant des éléments qui ne viendront pas faire effraction dans son univers psychique.

Partir de ses propres représentations, en les précisant, en les modulant, en les requestionnant, est une manière prudente et douce d’aborder les choses avec un jeune enfant. Et cela permet d’ouvrir le dialogue.

Il sera ainsi à l’aise pour revenir vous questionner s’il a de nouvelles interrogations : il saura qu’il peut trouver des éléments de réponse sans s’en trouver déstabilisé.

13:52
Nous ne regardons pas la TV mais les enfants de 9 et 12 nous entendent parler de la guerre. Est ce qu'il y a des livres à conseiller pour évoquer le sujet avec eux comme un support pour informer et rassurer
Icw78

Bonjour,

Toute la presse d’actualité destinée aux enfants et aux ados est très bien faite pour donner des éléments de contextualisation, expliquer les enjeux géopolitiques avec des mots simples. Ils font un travail formidable, il ne faut pas hésiter à s’appuyer dessus.

13:51
Que faire si on se sent angoissé.e par rapport à la situation ? Faut-il se taire ou en parler à ses enfants ?
Janie 

Bonjour,

Il vaut mieux essayer d’apaiser un peu ses propres angoisses en discutant tout d’abord avec des adultes. Les enfants ont besoin d’une parole rassurante, structurante, et recevoir les angoisses de leurs parents peut les déstabiliser beaucoup. Toutefois, devant certains événements collectifs graves (attentats, guerres…), il est difficile d’être toujours un parent apaisé, apaisant et rassurant !

Mais je dirais qu’il s’agit plutôt de nommer nos émotions, d’inviter ainsi nos enfants à nommer les leurs, mais en évitant de les prendre pour confidents de nos peurs ou de nos fantasmes (ou inquiétudes) de catastrophe. Et se souvenir qu’ils ont aussi besoin de paroles d’espoir.

13:45
Faut-il regarder les informations avec ses enfants, alors que le JT risque de parler de la guerre en Ukraine ?
Martin 

Bonjour,

Avant 9-10 ans, un enfant n’est pas armé pour faire face aux informations du JT. Il y a trop d’images potentiellement choquantes, trop d’éléments qu’ils ne comprennent pas, car ils n’ont pas les références requises. Donc il vaut mieux éviter avant cet âge-là.

Entre 10 et 13-14 ans, c’est encore bien de les accompagner devant le JT, car ils manquent encore d’éléments de contextualisation : ils ont beaucoup de questions et elles ne doivent pas rester sans réponse. Parler des images que l’on voit avec nos enfants est fondamental.

Quel que soit l’âge, manger devant le JT est déconseillé : le repas doit rester un moment d’échange ; l’enfant ne doit pas se sentir captif, devant son assiette, d’images qu’il n’a pas envie de voir.

13:41
Bonjour,
Nous envisageons d’accueillir un.e réfugié.e dans une chambre d’amis au sein de notre appartement. Nous avons deux enfants de 5 et 7 ans et je me demande comment gérer, cela ne risque t il pas de trop les perturber ? Merci.
Myr 

Bonjour,

C’est une belle expérience de solidarité dont ils se souviendront longtemps ! Bien sûr, il faut les préparer, leur expliquer pourquoi vous allez accueillir une personne chez vous. Leur dire par exemple que cette personne est partie de son pays en guerre, regarder ensemble une carte de géographie pour montrer où se situe l’Ukraine et le voyage qu’elle a fait.

Leur expliquer que cette personne a besoin d’être accueillie dans un pays en paix, dans une maison où elle sera protégée. Sans oublier de préciser que cet homme ou cette femme sera sans doute très triste de la situation, qu’il faudra savoir accepter qu’elle n’ait pas forcément de parler, de jouer, de rire…

Les préparer au fait qu’elle ne parle probablement pas notre langue, et leur donner des pistes pour communiquer avec des gestes, des dessins, en montrant des objets. Bien sûr des questions multiples vont surgir, pour eux et pour vous, au fil des jours, et il faudra rester disponible pour leur répondre.

13:36
Bonjour, faut-il en parler avec son enfant de 5 ans, si celui-ci ne semble pas conscient de la situation, ne montre pas de signes d'anxiété particulière et ne pose pas de questions, ou bien une telle discussion "artificiellement provoquée" peut-elle avoir pour effet de créer une détresse là où il n'y en avait pas? Merci de votre réponse.
Gina

Bonjour,

Les enfants qui vont à l’école maternelle sont susceptibles d’entendre parler de l’actualité dans la cour de récréation. Dans d’autres familles, des enfants ont peut-être vu le journal, entendu leurs parents discuter, et ils vont ramener cela à l’école. L’enfant qui n’a pas été informé risque de s’inquiéter de paroles qui partent dans tous les sens, et de se demander pourquoi ses parents à lui ne lui ont rien dit.

Le mieux, si l’enfant ne semble pas conscient de la situation, est de lui demander s’il en a entendu parler à l’école par exemple : « En ce moment nous sommes préoccupés et nous lisons beaucoup les journaux car il y a une guerre dans un pays qui s’appelle l’Ukraine. Est-ce que tu en as entendu parler ? » C’est une manière d’ouvrir le dialogue, de lui permettre de revenir avec ses questions demain ou plus tard, même s’il n’a pas envie ou besoin d’en parler immédiatement.

13:31
À partir de quel âge peut-on parler de la guerre aux enfants ? Quels mots et explications employés pour un enfant de 3 ans ? Merci
Heidi-Suisse

Bonjour,

Avant l’âge de 3 ans, il ne paraît pas utile d’informer les enfants de la guerre et de l’actualité. En revanche, il est toujours important de nommer les émotions qui nous habitent, car les bébés les perçoivent très bien.

Si nous sommes inquiets, préoccupés, il faut le dire à son jeune enfant, en lui précisant surtout qu’il n’y est pour rien, que ce sont des histoires de grands. Et rester présents malgré nos préoccupations, continuer de jouer avec son enfant, etc.

13:28

Le tchat va commencer 

Vous pouvez continuer à nous faire parvenir nos questions. Marie-Noëlle Clément va commencer à y répondre.


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