mardi 29 mars 2022

Faut-il fermer les établissements pour personnes handicapées ?

par Elsa Maudet  publié le 29 mars 2022 

Yannick Jadot propose d’aller peu à peu vers une disparition des structures spécialisées, désignées par l’ONU comme contraires aux droits des personnes handicapées. A l’inverse, d’autres candidats envisagent d’augmenter le nombre de places d’accueil.

Le propos est court, mais il détonne : «Nous entamerons la sortie progressive du système institutionnel qui entraîne une forme de ségrégation sociale des personnes en situation de handicap.» Dans son programme, Yannick Jadot propose une rupture. Sur les douze candidats à la présidentielle, il est le seul à envisager la fin des institutions spécialisées accueillant des personnes handicapées.

Sollicitée par Libération, son équipe de campagne précise : «La société dans laquelle nous vivons est validiste, c’est-à-dire faite pour les personnes valides. En pratique, cela implique pour les personnes en situations de handicap une forme de ségrégation sociale dans des pans entiers de leur vie quotidienne : école, études supérieures, travail, etc. […] Nous sommes donc favorables à une désinstitutionnalisation progressive, ce qui implique la fermeture de structures spécialisées ou a minima leur rapprochement des structures en milieu ordinaire pour permettre une articulation.» Un «a minima» qui vient, il est vrai, tempérer la promesse de départ.

La demande de fermeture des établissements pour enfants et adultes handicapés (ce que l’on appelle la «désinstitutionnalisation») est pourtant récurrente depuis plusieurs années, tant de la part de militants – considérés radicaux par leurs opposants – que de… l’ONU. En 2019, dans un rapport particulièrement salé, l’organisation internationale étrillait en effet le système français. «La rapporteuse spéciale est extrêmement préoccupée par le nombre très élevé de personnes handicapées qui vivent dans des établissements répartis sur tout le territoire français. Environ 100 000 enfants et 200 000 adultes handicapés résident dans une grande variété d’institutions. […] Bien qu’elles diffèrent par leur taille, leur dénomination et leur organisation, ces institutions restreignent toutes la liberté des personnes handicapées, les séparent et les isolent de la collectivité, leur ôtent le choix et le pouvoir de décision en matière de lieu de vie et de mesures d’assistance, et les restreignent considérablement dans leur prise de décisions au quotidien, peut-on lire dans le rapport. La rapporteuse spéciale insiste sur le fait qu’il n’existe pas de “bon établissement d’accueil”, puisqu’ils imposent tous un certain mode d’existence qui limite les possibilités de vivre une vie agréable sur la base de l’égalité avec les autres. Les personnes handicapées, y compris celles qui nécessitent beaucoup de soins, doivent avoir la possibilité de vivre en société, et de choisir leur lieu de résidence et les personnes avec lesquelles elles vivent.»

Des structures «discriminatoires et paternalistes»

L’ONU qualifiait carrément de «discriminatoires et paternalistes»les établissements et services dédiés aux personnes handicapées et dénonçait la moindre qualité d’enseignement dont bénéficient les enfants scolarisés dans des structures médico-sociales. Ses recommandations, dès lors, étaient claires : «La rapporteuse spéciale demande instamment au gouvernement d’adopter un plan d’action concret pour fermer progressivement tous les établissements existants et transformer le marché actuel de l’offre de services aux personnes handicapées en une offre de services de proximité, notamment en matière de logements adaptés. La désinstitutionnalisation des enfants handicapés devrait être une priorité et le gouvernement devrait sérieusement envisager d’établir un moratoire sur les nouvelles admissions.»

Trois ans plus tard, où en est-on ? La France n’a pas souhaité engager ce processus de désinstitutionnalisation – l’ONU le déplorait d’ailleurs cet été. Un frémissement se fait toutefois sentir, les structures spécialisées étant de moins en moins présentées comme la panacée. Le gouvernement actuel a, lui, décidé de miser sur le développement de l’habitat inclusif. N’étant ni vraiment du logement individuel, ni vraiment du logement institutionnel, il consiste à réunir dans un même bâtiment plusieurs personnes handicapées, chacune vivant chez elle mais partageant soins et accompagnement médico-social venus de l’extérieur. Enfin un droit à la vie autonome, se réjouissent les uns ; une nouvelle forme d’institutionnalisation qui ne dit pas son nom, dénoncent les autres.

Le retard de la France en matière d’inclusion des personnes handicapées est tel qu’il serait inconcevable de fermer les portes des établissements spécialisés du jour au lendemain. Chaque candidat y va d’ailleurs de ses propositions pour rendre la société plus accessible. Mais à part le candidat écolo, aucun ne s’engage sur le chemin de la désinstitutionnalisation. Interrogé par Handicap.fr, Jean-Luc Mélenchon affirme que son équipe et lui ne sont «pas favorables à la fermeture des établissements médico-sociaux à cette heure. En l’absence de solutions alternatives, ils sont aujourd’hui nécessaires». Le candidat insoumis propose de «renforcer les contrôles de ces établissements de façon à assurer la sécurité et la bonne prise en compte des personnes qui y sont accueillies» et de «développer des solutions alternatives, de sorte que chaque personne ou famille ait le choix du mode de prise en charge». D’autres candidats, à l’instar de Fabien RousselMarine Le PenEric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, proposent même d’augmenter le nombre de places. Un positionnement à l’opposé de ce que font les pays nordiques, notamment la Suède, qui ont peu à peu déplacé leurs financements des structures spécialisées vers les aides à domicile.


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