mardi 15 mars 2022

Enquête Phobie scolaire, l’autre lutte des classes

par Marlène Thomas  publié le 14 mars 2022

L’Education nationale a lancé une enquête sur ce trouble anxieux aux origines multiples qui touche davantage d’élèves depuis la crise sanitaire. Une souffrance encore incomprise par les personnels éducatifs.

Chaque matin, c’est le même rituel. Vanessa conduit son fils Louis (1), 12 ans, devant le collège, pétrie du même espoir : qu’il arrive à franchir le seuil de l’établissement. «Il met son masque, prend son cahier de liaison, met sa main sur la poignée mais n’arrive pas à sortir de la voiture», témoigne cette accompagnante éducative et sociale de 50 ans, qui vit à Tournon-sur-Rhône (Ardèche). Vomissements, maux de ventre… Vanessa a d’abord craint un problème physique. Une batterie d’examens médicaux plus tard, un diagnostic a été posé par une psychologue : Louis souffre de phobie scolaire.

La déscolarisation, progressive, a commencé début 2021. Un mal-être soudain. Depuis la rentrée des vacances de Noël, le collégien n’a pas remis un pied dans sa classe de cinquième. Aussi appelée «trouble anxieux scolaire» ou «refus scolaire anxieux», parfois englobée sous le vocable fourre-tout de «décrochage», la phobie scolaire est caractérisée par «une peur extrême, irrationnelle d’aller à l’école, l’enfant se met à avoir des réactions d’anxiété massive ou de panique quand on essaie de le forcer à y aller», résume la docteure Laelia Benoit, pédopsychiatre spécialiste de la phobie scolaire et chercheuse en sociologie à l’université de Yale (Etats-Unis). Le témoignage d’une souffrance morale nécessitant une prise en charge psychiatrique ou psychologique.

Dans le monde d’avant, le taux de phobie scolaire avoisinait les 2 % d’enfants scolarisés, selon la spécialiste. Dans le sillage des confinements, les cas se sont multipliés. «La tendance est à la hausse et clairement liée à la crise sanitaire, à l’augmentation de l’anxiété des adultes et des enfants», nous confirme-t-on à l’Education nationale. Le ministère a annoncé fin novembre le lancement d’une enquête pour mesurer le phénomène, dont les résultats se font attendre. «La pandémie a été un déclencheur. En restant à la maison, j’ai vu beaucoup moins de monde, je n’avais pas de raison de stresser», confie Chloé, 11 ans, en situation de phobie scolaire depuis la fin du premier confinement. Originaire de Courbevoie, elle n’a pas réussi à faire sa rentrée en sixième en septembre 2020.

Trouble de l’adaptation

Si les premiers signes sont apparus dès la rentrée 2019, Manon (1) en est certaine, la crise sanitaire «a aggravé les problèmes» de sa fille Mia (1), 17 ans. Avec une anxiété sociale déjà latente, sa peur de l’autre a été accentuée. Depuis début 2021, elle est totalement déscolarisée. «Elle avait une forme d’hypervigilance, voulait savoir si le voisin d’à côté avait bien son masque, se demandait : Comme je ne vois pas son visage, qu’est-ce qu’il pense ?» rapporte cette enseignante de Metz.

Laelia Benoit analyse : «Pour ceux qui avaient un vécu douloureux de l’école, étudier depuis chez eux a été un soulagement. Il est donc d’autant plus angoissant de reprendre le chemin de la classe.» La phobie scolaire est liée à «un trouble de l’adaptation», explique la pédopsychiatre : «On a demandé aux enfants de s’adapter pour étudier à la maison, maintenant on leur demande de s’adapter pour retourner en classe.»

Cette souffrance cache souvent des problématiques plus profondes. La phobie scolaire est plurielle, son origine multifactorielle. Si théoriquement, cette anxiété est irrationnelle, et donc inexplicable pour l’enfant, certains facteurs de risques lui sont tout de même régulièrement associés, parmi lesquels l’angoisse de séparation (particulièrement chez les jeunes enfants), les troubles autistiques ou les troubles «dys» (dyslexie, dyspraxie…).

«Crises d’angoisse»

Carol en est persuadée, l’école n’est pas adaptée à sa fille Adèle, en phobie scolaire depuis octobre. Malgré un profond mal-être, cette ado de 16 ans arrive à maintenir, au prix d’importants efforts, deux jours hebdomadaires en classe. «Adèle est TDAH [trouble du déficit de l’attention avec/sans hyperactivité, ndlr] à haut potentiel. Il y a une dyslexie aussi, ça fait beaucoup. Parfois, l’école ça matche et parfois pas du tout», déroule cette quinquagénaire originaire d’Ille-et-Vilaine. Se couple à cela une mauvaise orientation qui n’a fait qu’accentuer son malaise. Au lycée, la phobie scolaire est aussi souvent intimement liée à la pression de la performance. Notre système éducatif trop compétitif serait-il à blâmer ? «On sait que les élèves français sont parmi les plus anxieux au monde avec le Japon et la Corée», relève la sociologue. Leur point commun ? «Une orientation précoce et irréversible faisant peser une forte pression sur les élèves et les parents.»

Répondant aux lacunes de la recherche française, Laelia Benoit a lancé auprès des familles concernées, en 2018, une première enquête d’ampleur sur la phobie scolaire. «Pour près de la moitié des 2 000 participants, leur enfant avait subi du harcèlement», relate-t-elle, en insistant sur une prédominance au collège. Les avis divergent toutefois sur cette catégorisation lorsque la phobie est consécutive à un harcèlement.

Dans sa vaste maison d’Enghien-les-Bains (Val-d’Oise), Coralie (1) retrace l’escalade ayant mené à la déscolarisation de sa fille Juliette (1), 16 ans. «J’ai été alertée le jour où elle est revenue avec un coquard. En vingt-quatre heures, j’ai décidé de la retirer du collège, c’était fin 2019», explique Coralie. Anorexie, tentatives de suicide, scarifications… Victime de harcèlement scolaire et d’une agression sexuelle au collège, Juliette a été hospitalisée à onze reprises en psychiatrie. Depuis janvier 2020, elle n’est retournée en cours qu’en pointillé, malgré un changement d’établissement à la rentrée suivante. «Je ne finissais jamais mes journées, je faisais toujours des crises d’angoisse et je rentrais», décrit la jeune fille.

«Elle a un poil dans la main»

Si la phobie scolaire s’impose peu à peu dans le débat public, les parents confrontés à cette situation restent souvent encore démunis. «C’est courant que les parents doivent arrêter leur travail, et c’est très grave lorsqu’il s’agit de familles solos, souvent des mères», constate Odile Mandagaran, présidente de l’association Phobie scolaire. Un sacrifice également financier : selon l’enquête de la sociologue Laelia Benoit, «le coût moyen des prises en charges non remboursées est de près de 190 euros par mois en moyenne par famille» (consultations psys, cours privés pour maintenir le niveau scolaire…).

Les mères interrogées nous racontent leur bataille pour poser un diagnostic, mais aussi pour maintenir un lien, même ténu, avec la scolarité. Le tout en faisant face à un entourage souvent culpabilisant. «Il y a souvent des remarques du type elle a un poil dans la main“, “elle en profite. On est tous confrontés à ce regard»,regrette Coralie. Une incompréhension retrouvée jusqu’au sein des établissements où le manque de sensibilisation est parfois frappant. «En CM2, ma prof pensait juste que je n’avais pas envie d’aller en cours. Certains amis me disent aussi que la phobie scolaire n’existe pas. Ça m’embête, j’essaie de leur faire comprendre ce que c’est», regrette Chloé.

Au sein de certains établissements, la méconnaissance du phénomène est telle qu’elle peut mener à des signalements pour absentéisme. Accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) à Argenteuil, Sophie raconte comment, après deux alertes du collège en raison des absences répétées de son fils Lucas, l’aide sociale à l’enfance a été sollicitée pour mettre en place une aide éducative. L’intervenante censée les accompagner dans leurs difficultés est venue une fois en près de deux ans. Après plusieurs hospitalisations en psychiatrie et essais de rescolarisation entre la sixième et la quatrième, l’adolescent a quitté son collège en novembre 2019. C’est par le biais de l’Ecole dynamique de Paris, une école privée hors contrat, qu’il a réintégré un cursus scolaire. Le coût ? «5 600 euros par an», repas non compris. «C’est très cher,souffle Sophie. Je cherchais des solutions, je ne savais plus du tout quoi faire.» Onéreux mais visiblement efficace pour Lucas, qui y va chaque jour assidûment.

Cours individuels

Coralie est elle aussi passée par une voie alternative pour raccrocher sa fille à l’école, par l’entremise de l’association Cours singulier à Paris, dédiée aux jeunes en phobie scolaire. Des cours de soutien adaptés et en petit comité qui lui coûtaient «390 euros par mois». «On a la chance d’avoir les moyens», reconnaît-elle. Juliette s’apprête désormais à rejoindre un cursus scolaire classique dans une unité de soins-études de la clinique parisienne de la Fondation des étudiants de France (FSEF). Des lycéens peuvent y suivre leurs cours de façon ordinaire tout en bénéficiant d’aménagements si nécessaire et d’une prise en charge médicale. Si beaucoup se tournent aussi vers l’enseignement à distance, pour Odile Mandagaran, «ce n’est pas forcément la bonne solution. Si on a un enfant en phobie scolaire, en dépression, qui a du mal avec les apprentissages, ça ne marche pas, il faut être très autonome». Sa fille, tout comme Mia, y a eu recours, en vain. Au sein de l’Education nationale, un dispositif nommé Apadhe (Accompagnement pédagogique à domicile à l’hôpital ou à l’école) permet d’aider au retour en classe. Grâce à une enveloppe d’heures attribuée aux académies, les élèves empêchés pour raisons de santé physique ou psychique peuvent suivre temporairement jusqu’à six heures de cours individuel par semaine à domicile, à l’hôpital ou dans l’enceinte de l’établissement.

«Ce système coûte cher et l’enveloppe allouée ne permet pas de proposer cette aide à tous les élèves», précise Laelia Benoit. Dossiers à l’appui, le médecin scolaire tranche. «Il se doit de prioriser les enfants qui souffrent de maladies graves comme le cancer», poursuit-elle. De nombreux élèves souffrant de phobie scolaire ne sont donc pas considérés comme prioritaires et se voient refuser le dispositif. Chloé, la collégienne de Courbevoie, a pour sa part la chance de bénéficier de trois cours par semaine depuis la rentrée, en français, maths et anglais. Elle se rend désormais dans l’enceinte de son collège pour deux d’entre eux. Ce dispositif, qu’il faut coupler à un accompagnement psychologique, permet une reprise graduelle. «Je suis moins angoissée que la première fois que j’y suis allée. Avant j’avais beaucoup de mal à rentrer dans le collège», rembobine Chloé. Récemment, elle a même réussi à passer le cap de la salle de classe. «En janvier, elle a réussi à aller deux fois en cours de français en demi-groupe», salue sa mère. Un grand pas en avant.

(1) Le prénom a été modifié.


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