mercredi 2 mars 2022

Ehpad : le plan de la Cour des comptes pour sauver un modèle « à bout de souffle »

Par   Publié le 28 février 2022 

Les magistrats financiers ont contrôlé cinquante-sept établissements, dont dix-neuf privés à but lucratif – mais aucun d’Orpea. Conclusion : la qualité de la prise en charge n’est pas liée « à la nature publique ou privée mais à l’efficacité de l’encadrement ».

A l’Ehpad des 100 Marches, à Montfort-en-Chalosse (Landes), le 10 février 2022.

Des couchers à 18 heures, voire à 16 heures, des dîners servis à l’heure du goûter, des toilettes qui durent à peine dix-sept minutes, une surconsommation de psychotropes… Le modèle actuel des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est « à bout de souffle », estime la Cour des comptes, dans un rapport rendu public, lundi 28 février, sur « la prise en charge médicale des personnes âgées » dans ces structures. Les magistrats financiers dressent la liste des maltraitances qui découlent du manque chronique de personnel soignant et de médecins. A l’appui de ce bilan, ils ont contrôlé cinquante-sept établissements dont dix-neuf privés à but lucratifs.

Le hasard veut qu’aucun Ehpad de la société Orpea ne figure dans l’échantillon. Les contrôles ont été menés en 2020 et début 2021 soit avant la sortie du livre de Victor Castanet Les Fossoyeurs(Fayard, 400 pages, 22,90 euros) qui dénonce « le système d’optimisation des coûts » du groupe privé commercial.

La Rue Cambon fait valoir que sa photographie n’en est pas moins le reflet de la réalité puisque « les Ehpad publics ne sont pas spécialement mieux gérés que les Ehpad privés lucratifs », a relevé Pierre Moscovici en rendant compte des conclusions de ces travaux, mercredi 23 février, au Sénat. La qualité de la prise en charge n’est pas liée « à la nature publique ou privée [de l’Ehpad] mais à l’efficacité de l’encadrement liée au triptyque directeur-médecin-infirmier coordonnateur », a expliqué le premier président de la Cour devant la commission des affaires sociales, commanditaire du rapport.

Malgré des crédits publics en hausse de 30 % depuis 2011, qui dépassent les 14 milliards d’euros, ces dépenses accrues « ne suffisent pas à répondre aux besoins d’une population de plus en plus fragile », constate la haute juridiction. La part croissante des résidents en grande dépendance (54 %) ou atteints de troubles cognitifs (57 %) nécessite un renfort sensible d’aides-soignants, de médecins, d’infirmières, de psychomotriciens, de psychologues, d’animateurs… La première mesure à prendre pour renforcer les effectifs des Ehpad consiste, selon la Cour, à revoir la manière dont les agences régionales de santé (ARS) leur allouent des dotations.

Lourdeur administrative

Les ARS appliquent une grille d’évaluation des besoins périmée car elle ne prend pas suffisamment en compte les temps nécessaires à la prévention de la grande dépendance et à l’accompagnement des résidents atteints de troubles cognitifs. Baptisée « Pathos », cette grille a été repensée par le ministère en 2015. Pourtant, la nouvelle mouture n’est toujours pas en application… Sa mise en œuvre permettrait une hausse du taux d’encadrement en personnels pour un coût qui se situerait entre 638 millions et 1,2 milliard d’euros par an. La Cour ne précise toutefois pas combien de soignants supplémentaires seraient ainsi recrutés.

Autre réforme structurelle pour dynamiser les moyens : confier aux seules ARS le pilotage financier des Ehpad. Aujourd’hui, elles ne délivrent que les crédits de l’Assurance-maladie pour financer les besoins en personnels de soins. Les départements financent, de leur côté, les besoins liés à la dépendance des résidents ; ils versent aux Ehpad une allocation personnalisée d’autonomie (APA) pour chaque personne hébergée en fonction de son niveau de perte d’autonomie et de ses revenus. Le financement des départements ne dépasse pas 16 % du total des recettes des établissements. La coexistence de deux tutelles est source de lourdeur administrative. Elle se justifie d’autant moins qu’ARS et départements cofinancent des postes de soignants.

La Rue Cambon souhaite que les ARS conduisent seules « les discussions financières » avec les Ehpad. Ce qui suppose que l’Assurance-maladie assume « le financement quasi intégral des charges relatives aux soins et à la dépendance ».

Cette réforme serait assortie d’une baisse des dotations de l’Etat aux départements, puisqu’ils ne verseraient plus d’APA aux résidents, et d’une hausse des crédits de la Sécurité sociale fléchés vers le secteur. Surtout, sa mise en œuvre impliquerait de trouver un accord politique avec les présidents de département, opposés, pour la plupart, à l’idée de se départir de leur casquette de cotutelle des Ehpad. Certains considèrent qu’ils ont vocation à devenir les financeurs uniques, au motif qu’ils seraient bien plus efficaces que les ARS…

Pour renforcer la présence médicale dans les Ehpad, la Cour des comptes demande que des crédits leur soient consentis pour salarier les médecins. Aujourd’hui, les deux tiers des établissements les rémunèrent à la vacation. Résultat, la moitié d’entre eux sont dépourvus de médecin coordonnateur.

Carence des contrôles

Les Ehpad comptent en moyenne moins de trente-cinq soignants pour 100 résidents. Pour augmenter ce ratio, la Rue Cambon suggère de fixer une norme qui établirait le nombre maximum de résidents pris en charge par un soignant, sur le modèle en vigueur dans certaines crèches pour enfants. Cette norme serait édictée par la Haute Autorité de santé. Selon la Cour des comptes, chaque Ehpad serait alors tenu d’afficher son taux de personnels soignants par résidents. La transparence sur les conditions de prise en charge les inciterait à améliorer la qualité.

Le coût global des réformes proposées par les magistrats financiers est évalué entre 1,3 milliard à 1,9 milliard d’euros par an. « Il est très inhabituel pour la Cour de préconiser des dépenses supplémentaires, mais nous l’assumons », a fait valoir M. Moscovici devant le Sénat. Il a évoqué la réforme des retraites comme une source possible de nouveaux financements pour les « besoins massifs » en faveur du grand âge.

A l’instar du livre de Victor Castanet, la Cour alerte aussi sur la carence des contrôles des Ehpad par les ARS. Alors que le ministère de la santé affirme qu’un établissement est inspecté en moyenne tous les dix ans, le rapport indique que les établissements ne le sont que « tous les vingt à trente ans ».

La Cour demande de pouvoir étendre ses contrôles au budget « hébergement » des Ehpad privés lucratifs, alimentés par les sommes que versent les résidents. Cela permettrait, notamment, de vérifier que les groupes commerciaux ne font pas indûment financer par des crédits de l’Assurance-maladie des dépenses qu’ils devraient prendre en charge sur le budget « hébergement », tel que les salaires des agents préposés aux repas ou à l’entretien. L’enveloppe « hébergement » est la clé de la rentabilité des Ehpad commerciaux.

ÉCOUTEZ L’ÉPISODE DU 11 FÉVRIER 2022

La Cour des comptes a transmis une note au Sénat dans laquelle elle propose que le Parlement amende le code des juridictions financières afin d’étendre son droit de regard sur cette face cachée de leur comptabilité. Le Sénat devrait examiner cette requête dans le cadre de la commission d’enquête sur les politiques de contrôle des Ehpad qui doit débuter ses travaux en mars et rendre ses conclusions en juin.

En réponse au scandale Orpea suscité par l’enquête de Victor Castanet, le gouvernement s’est engagé à renforcer les contrôles. La Cour a opportunément ajouté son plaidoyer au menu des arbitrages de l’exécutif.


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