mercredi 2 mars 2022

Chronique «Aux petits soins» Psychiatrie: nos fous aussi maltraités que nos vieux

par Eric Favereau  publié le 1er mars 2022 

Dans un rapport rendu public ce mardi, la contrôleure générale des lieux de privation de libertés rend compte de la situation inhumaine que vivent les patients dans un centre de santé mentale à Lens. 

Parfois, les services de psychiatrie sont le théâtre de dérapages effrayants, pires même que ceux dénoncés récemment dans les maisons de retraite. Et heureusement parfois, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté s’en inquiète lors de visites impromptues. C’est ce qui vient de se passer, avec le centre de santé mentale Jean-Baptiste-Pussin à Lens (Pas-de-Calais), où à l’issue d’un contrôle effectué le mois dernier, Dominique Simonnot a décidé de saisir la justice et de rendre public le rapport, ce 1er mars, «tant nous avons vu constater un nombre important de dysfonctionnements graves portant atteinte à la dignité des patients et à leurs droits fondamentaux».

Ce rapport est d’autant plus désespérant que cette situation n’est pas nouvelle. Elle a déjà été dénoncée par le conseil départemental de santé mentale, mais rien ne semble se passer en dépit de la gravité des accusations. Des patients sont ainsi enfermés, attachés, alors qu’ils sont en hospitalisation libre. «Leurs droits, aussi peu connus des patients que du personnel, sont d’autant plus rarement mis en œuvre que les juges ne se déplacent pas dans l’établissement et s’accommodent des absences répétées des patients à leurs audiences».Et ce n’est pas un cas isolé : dans ce lieu, cela concerne «l’ensemble des unités de l’établissement, résultant d’une absence de pilotage global».

La lecture de ce rapport ressemble à une triste liste de griefs à la Prévert. Tout va mal. Au premier jour du contrôle, 56 patients sur 71 étaient en hospitalisation libre. Tous, pourtant, étaient enfermés dans des lieux clos. «Le bâtiment est la plupart du temps fermé, à l’exception des horaires d’ouverture de la cafétéria de 13 h 30 à 16 h 30, pendant lesquels les patients peuvent accéder à un espace extérieur contigu au parking d’entrée, sans toutefois pouvoir franchir les grilles de l’enceinte. Au sein de chaque unité, des personnes peuvent être enfermées dans leur chambre sans décision ni contrôle médical, parfois même contre avis médical», note le rapport.

Aucune intimité, des conditions sanitaires défaillantes

Et cela continue. «Les patients ne peuvent pas fermer à clé leur chambre ni leur espace sanitaire comprenant des toilettes, un lavabo et une douche. Ils n’ont pas d’intimité lorsqu’ils se lavent ou se rendent aux toilettes, ils n’ont aucune tranquillité, ni le jour ni la nuit, alors que certains sont hospitalisés depuis des semaines, des mois, voire des années. Plusieurs personnes hospitalisées, dont une jeune femme et un mineur, ont déposé plainte pour des faits de harcèlement et d’agressions en chambre, en journée ou la nuit.» Ou encore : «Les patients ne peuvent pas appeler à l’aide puisque, selon des professionnels, le dispositif d’appel en chambre a été volontairement désactivé dans l’ensemble des unités en raison d’un usage par les patients estimé excessif.» Et cela vrille dans tous les domaines : «En raison de malfaçons, le chauffage est très inégalement réparti et les chambres situées aux extrémités du bâtiment sont particulièrement froides, de sorte qu’il faut distribuer plusieurs couvertures et qu’un patient a déclaré dormir avec un bonnet. L’eau chaude sanitaire est tout au plus tiède.»

Le consentement superflu

Passons à l‘accès aux soins. Celui-ci est systématiquement défaillant, selon le rapport. «Les patients pris en charge aux urgences du centre hospitalier font parfois l’objet de contention sur des brancards… Au sein des unités, le projet de soins n’est pas défini, les patients n’y sont pas associés, ni les personnes de confiance dont la désignation n’est pas toujours valide en raison du flou des procédures observées.» Au passage, le consentement du patient semble pour le moins superflu. «L’examen des dossiers médicaux montre que le consentement aux soins du patient n’est pas tracé. L’examen des traitements pharmacologiques révèle la persistance de la prescription “si besoin”… L’administration d’un traitement peut donc être réalisée sans examen médical psychiatrique préalable et impliquer l’emploi de la force, comme cela a été le cas à plusieurs reprises en présence des contrôleurs, et sans que les médecins présents ne soient appelés ni même avisés.»

Ces pratiques illégales touchent tous les patients, y compris les mineurs. «Adultes et mineurs font l’objet de mesures d’isolement et de contention arbitraires, mises en œuvre dans des conditions indignes.» Et le rapport détaille : «Il y a officiellement deux chambres d’isolement, situées chacune dans un secteur de l’étage, positionnées en bout de couloir, particulièrement mal chauffées, ne disposant d’aucune horloge permettant de se repérer dans le temps ni d’aucun dispositif d’appel accessible en situation de contention. Le patient enfermé ne peut pas voir l’extérieur au travers des vitres, opacifiées et sans ouverture possible. Son intimité et la confidentialité de ses soins ne sont pas respectées puisqu’il est exposé à la vue de tous par l’œilleton de la porte, ou des écrans des caméras de surveillance situés dans le poste infirmier et visibles depuis le couloir.»

Plus ahurissant, «l’isolement et la contention ne sont pas seulement pratiqués en chambre d’isolement mais indistinctement en chambre hôtelière, de sorte que l’on peut considérer que le centre ne dispose pas de deux chambres d’isolement mais de quatre-vingts chambres d’isolement potentielles». Ainsi, «l’examen des registres papier d’isolement et de contention tenus dans chaque unité montre que les isolements se pratiquent dans toutes les chambres pour des durées dépassant très fréquemment les délais légaux et sans respect des procédures de renouvellement, avec parfois des contentions associées durant toute une journée et pouvant concerner des personnes en soins libres».

Les décisions de justice pas toujours appliquées

Situation dantesque, qui perdure. «Malgré les recommandations adressées depuis des années par la Commission départementale des soins psychiatriques, aucune décision n’est prise pour remédier à la situation. Dans le dernier compte rendu du 1er juin 2021, les membres de la commission se disent “scandalisés de voir que des patients en soins libres étaient placés en chambre d’isolement dès leur arrivée”. Quant à la direction, «non contente de ne prendre aucune mesure pour remédier aux dysfonctionnements multiples ainsi dénoncés, elle les banalise et semble même les valider, puisque les documents remis aux contrôleurs et supposés clarifier les pratiques sont en parfaite contradiction avec diverses dispositions législatives et réglementaires».

Dernier point : le contrôle du juge des libertés et de la détention est ineffectif. Le patient a rarement accès à son juge. «Les contrôleurs ont même constaté l’existence de certificats médicaux attestant de l’incompatibilité de l’état de certains patients avec une comparution devant le juge, en raison d’un risque de fugue. Or un tel motif ne saurait être regardé comme un motif médical.» Enfin, Le juge ne dispose pas toujours d’un dossier complet le jour de l’audience. Et quand celui-ci rend une décision, elle n’est pas toujours appliquée.

Au final, conclut le rapport, «le centre de santé mentale Jean-Baptiste-Pussin à Lens doit faire l’objet de mesures urgentes». On peut l’espérer, mais comment comprendre le silence des médecins, comme celui de la direction, et plus généralement l’indifférence des autorités de tutelle et de l’Agence régionale de santé ?


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