vendredi 25 février 2022

Reportage A Valenciennes, «une vie de famille» dans un Ehpad à taille humaine

par Elsa Maudet, envoyée spéciale à Valenciennes (Nord)  publié le 25 février 2022

A la maison communautaire du Faubourg de Lille, les professionnels de santé s’adaptent au rythme et aux habitudes de vie de la vingtaine de résidents, loin des établissements à grande capacité entachés par le scandale Orpea. 

Le temps que les autres résidents prennent place dans la salle de restauration, Marthe Carrez met l’ambiance. «On n’a pas tous les jours 20 ans / Ça nous arrive une fois seulement / C’est le jour le plus beau de la vie / Alors on peut faire des folies», entonne la guillerette octogénaire, reprenant une chanson de Berthe Sylva. Il est 15 heures passées, l’heure de l’animation à la maison communautaire du Faubourg de Lille, à Valenciennes (Nord). Au programme, ce mardi : quiz musical. Pendant que Mimine, le chat de l’établissement, joue avec les feuilles de bambou secouées par le vent de l’autre côté de la baie vitrée, Maryline Coutant et Jérémie Varichon, les deux animateurs, lancent le premier titre. Quelques notes ont tout juste le temps de s’échapper de l’enceinte que, déjà, Marthe Carrez lâche : «Y’a de la joie  Bingo. Mais qui chante ? Jacques Maïa tente : «Les Compagnons de la chanson.» Raté. Il se reprend : «Charles Trenet !» Applaudissements.

Comme à l’accoutumée, la quasi-totalité des 23 habitants de ce petit Ehpad prennent part à l’activité. Ici, pas d’ascenseurs, pas de longs couloirs blancs rappelant l’hôpital : l’établissement de plain-pied installé au milieu d’un lotissement de briques rouges est pensé comme une grande maison. Chaque résident dispose de son «studio», une chambre de plus ou moins 28 mètres carrés que d’aucuns agrémentent d’un frigo et d’un micro-ondes, d’autres seulement d’une commode et d’une télé. «C’est un lieu de vie qui soigne, aime à dire Valérie Trelcat, la directrice. On a une vie de famille.»

Les repas sont préparés sur place, par la cuisinière. Pas question de passer par l’intermédiaire d’une entreprise de restauration extérieure, à qui il est «difficile de faire bouger un petit pois», juge Alain Carpentier, le président de l’Association de développement gérontologique du Valenciennois (ADGV), qui gère cet Ehpad et cinq autres du même type, ainsi qu’un service d’aide à domicile. Les personnes âgées perdant de l’appétit à mesure que les années filent, l’équipe a à cœur de leur donner envie d’user de leur fourchette. Si le vendredi, traditionnel jour du poisson, un résident souhaite autre chose, il n’est pas difficile de lui proposer une tranche de jambon ou un œuf. «Dire que c’est merveilleux, ce serait mentir, mais ils font leur possible», nuance tout de même Jacques Maïa, 92 ans et dans cet Ehpad depuis près d’un an à cause d’un AVC qui a laissé quelques traces. «Je marchais dans la nature et je me suis retrouvé au fond d’un fossé à crier au secours», raconte ce père et grand-père de 31 enfants et petits-enfants.

Douches à la demande

Lorsque leurs parents ont commencé à sérieusement perdre en autonomie, Jean-Michel Kubat et sa sœur se sont mis en quête d’un Ehpad. «On a fait le tour des maisons de retraite du Valenciennois», raconte le fils. Et c’est peu dire qu’il n’a pas beaucoup apprécié ce qu’il a vu. Notamment cet établissement où il fallait payer plus cher pour avoir une chambre près de l’ascenseur, cet autre où les soignants devaient pointer dès qu’ils entraient dans une chambre. «Il y a une structure où, quand on entre, on voit une armée de fauteuils roulants et on a l’impression qu’un souffle de vent les a tous mis dans le même sens», image-t-il. Un tableau, il faut l’admettre, loin d’être rare dans ce type d’établissement, entachés il y a un mois par un scandale déclenché à la parution du livre les Fossoyeurs sur les coulisses du géant Orpea.

«Ici, c’était beaucoup plus humain que tout ce qu’on avait pu voir auparavant. On se sent accueilli», loue Jean-Michel Kubat. Ses parents sont ainsi arrivés, ensemble, en 2016. Sa mère est décédée il y a deux mois. Un deuil très douloureux à faire pour M. Kubat père, 92 ans, qui oublie parfois que son épouse n’est plus à ses côtés. La structure voudrait embaucher un psychologue, notamment pour aider les résidents face à ce type de situation, mais l’annonce postée il y a deux mois n’a pas suscité la moindre candidature. Les praticiens sont déjà débordés. Plus largement, «on a des difficultés de recrutement», reconnaît Valérie Trelcat. Comme dans la plupart des Ehpad.

Mais l’établissement s’en sort grâce aux profils impérativement polyvalents de ses équipes. Ainsi, aides-soignantes, auxiliaires de vie et accompagnantes éducatives et sociales sont formées pour pouvoir toutes assurer les mêmes tâches : les toilettes des résidents, le rangement des chambres, l’aide au lever et au coucher, le service des repas… «Le professionnel qui entre dans le studio s’occupe du résident de A à Z», dit Valérie Trelcat. Chacun n’a que cinq à six toilettes à faire chaque jour, quand cela peut être le double dans certaines autres structures. Surtout, les besoins des résidents priment. «Le rôle du professionnel est un rôle de passeur, de facilitateur, et c’est tout. Ce n’est pas lui qui doit décider», défend Alain Carpentier. Un ancien boulanger prend ainsi sa douche à 17 heures, car il a toujours procédé ainsi. Dans la plupart des Ehpad, la toilette se fait impérativement le matin. Et la règle est souvent d’une douche maximum par semaine, par manque de salariés. Au Faubourg de Lille, la douche, c’est «à la demande des résidents, certains tous les jours», assure Alain Carpentier. Pourquoi cela semble-t-il si évident ici et si compliqué ailleurs ? «Vous pouvez respecter les habitudes de vie parce qu’il n’y a qu’une vingtaine de cas», répond le président.

«La vie en communauté, c’est comme un ménage»

Dans la structure, point d’unité de vie protégée : les personnes atteintes d’Alzheimer évoluent dans la même réalité que les autres. Elles peuvent faire un coucou aux poules dans le jardin, passer une tête dans la cuisine ou roupiller devant la télé du salon collectif après le déjeuner, qu’importe. Seule la porte d’entrée de la maison communautaire est fermée, car l’Escaut serpente quelques dizaines de mètres plus bas et il ne faudrait pas risquer une chute dans le fleuve. Mais «dès qu’il y a un rayon de soleil, on sort et, quand on sent qu’un résident s’agite, on met le manteau et on va faire un tour à l’extérieur», avance Valérie Trelcat.

Scandale

«Je préviens que je sors et je vais marcher», indique Jacques Maïa, habitué des randonnées qui a parcouru un tronçon du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, entre Vézelay, dans l’Yonne, et Limoges. «Quand je suis arrivé ici, je me suis intégré, ça a été facile, sourit cet ex-formateur sur machines-outils et délégué syndical CFDT. Après, la vie en communauté, c’est comme un ménage : celui qui dit qu’il n’y a jamais d’histoires est un menteur.»

«Ici, on est comme dans sa maison», apprécie pour sa part Christian Dufay, qui débourse chaque mois 2 500 euros pour vivre à l’Ehpad – le prix moyen en France, tous types d’établissements confondus, est de 2 183 euros mensuels. Depuis sa chambre où une ribambelle de photos de famille sont accrochées au mur, l’homme de 88 ans lâche : «Quand je suis venu ici, j’étais une lavette. Je ne savais plus marcher, j’avais de l’oxygène.» Aujourd’hui, cet ancien chauffeur routier et conducteur de camion poubelle parcourt les couloirs avec une canne, et même sans lorsque le kiné l’accompagne. Sa bouteille d’oxygène appartient au passé. Il aimerait désormais regagner son domicile, une volonté que soutient et encourage l’Ehpad. La maison où il résidait avant d’arriver n’est plus adaptée, alors l’intéressé s’interroge : ses enfants (il en a 6, et 22 petits-enfants) parviendront-ils à lui trouver un logement suffisamment sécurisant ? S’ils y arrivent, Christian Dufay pourra quitter l’établissement dès le mois prochain.


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