vendredi 4 février 2022

Maltraitance dans les Ehpad : face aux députés, les dirigeants d’Orpea restent dans le déni

par Cassandre Leray

publié le 2 février 2022

Pendant près de trois heures d’audition, le directeur général France et le PDG du groupe ont systématiquement contourné les questions de la commission des affaires sociales. 

Nouvelle esquive pour les dirigeants d’Orpea, cette fois-ci assortie d’une petite touche mélodramatique. Pendant près de trois heures, les députés de la commission des affaires sociales ont posé mercredi une succession de questions aussi précises qu’incisives. Mais le directeur général France du groupe Jean-Christophe Romersi et le tout nouveau PDG d’Orpea Philippe Charrier, sont restés plus qu’évasifs.

Chacun à leur tour et sur un ton différent, ils ont joué la même carte, celle du déni complet. A croire qu’ils avaient parfaitement révisé le manuel du «bon flic, mauvais flic» : tout au long de la séance, Charrier a gardé son assurance sans sourciller tandis que Romersi a servi ses répliques avec des trémolos dans la voix. Promis, juré, le bien-être de leurs résidents leur tient à cœur. En revanche, si l’on espérait des clarifications sur les faits de négligence et de maltraitance des résidents révélés par le livre-enquête les Fossoyeurs de Victor Castanet, il faudra encore attendre. Pendant des heures, le duo a réussi le pari de ne jamais se remettre en question, tout en évitant avec aisance de répondre aux interrogations des députés.

«Pas la réalité de la vie dans nos établissements»

Philippe Charrier avait déjà donné un avant-goût de sa stratégie de communication mardi. Au sortir de sa convocation dans le bureau de Brigitte Bourguignon, le patron du groupe n’avait pas esquissé le moindre début d’excuse. Et martelé : «Ce que nous avons lu ne correspond absolument pas à la réalité de la vie dans nos établissements.»

Même ambiance mercredi devant la commission des affaires sociales. Dès ses premières phrases, le patron maintient sa ligne de défense. Le système de réduction des coûts et de rationnement dépeint dans les Fossoyeurs «n’existe en aucun cas dans nos Ehpad chez Orpea», soutient-il.

Chaque accusation est niée en bloc. Les actes de maltraitance dénoncés dans le livre ? «Nous avons toujours communiqué en toute transparence» avec les autorités, affirme quant à lui le directeur général. Le manque de personnels ? Pas leur faute non plus. Main sur le cœur, Jean-Christophe Romersi le certifie, loin de lui l’idée de faire des économies aux dépens des résidents. Le groupe est tout simplement confronté aux mêmes difficultés à recruter que le reste du secteur : «Pensez-vous que nous, quand nous n’avons pas de personnel soignant, c’est l’objet d’une volonté ? Ça ne l’est absolument pas.»

Sur un exemple aussi précis que celui de la pénurie de «couches»dans certains établissements, c’est au tour de Philippe Charrier d’exonérer Orpea de toute responsabilité : «Bien évidemment, on ne les compte pas. On n’a jamais refusé des commandes de protections. Si un fournisseur est en rupture de stock, si la commande au lieu d’arriver le matin arrive dans l’après-midi…» En résumé, ce n’est pas à cause d’eux mais de leurs fournisseurs, des aléas de production et de livraison. C’est tout. A l’en croire, l’ensemble des salariés attestant du rationnement des produits d’hygiène se font des films, peu importe qu’ils soient si nombreux.

Opération concertée de contournement

Plutôt que de remettre en question la stratégie de gestion menée par les dirigeants d’Orpea, Philippe Charrier tente une pirouette en se faisant le porte-voix des soignants du groupe. Pendant plusieurs minutes, il raconte à quel point ils sont «bouleversés et meurtris par les allégations du livre», alors qu’ils font un «travail extraordinaire dans nos Ehpad»«Ce n’est pas le dévouement de vos salariés qui est en cause, c’est la façon dont fonctionne un groupe», rappelle, cinglant, le député PS Boris Vallaud.

Là encore, pas la moindre remise en cause. Cette audition n’est en fait qu’une opération concertée de contournement. Si le duo de dirigeants la mène avec flegme, l’irritation des députés se fait sentir. Par-dessus les murmures exaspérés des élus, Jean-Christophe Romersi va même jusqu’à enchaîner les rappels détaillés – et interminables – de la réglementation. A tel point que le rapporteur de la commission, Thomas Mesnier, finit par lâcher avec ironie : «Nous connaissons le secteur, c’est ici que sont votés chaque année tous les crédits que vous avez décrits.»

«Mascarade»

«Depuis deux heures vous ne répondez pas à nos questions», s’exclame, «outrée», la députée LREM Charlotte Parmentier-Lecocq, tandis que Laëtitia Romeiro Dias, LREM également, dénonce «une mascarade, où tantôt vous brandissez votre cahier des charges et vos éléments de langage insipides, tantôt ce sont vos collaborateurs qui vous servent de bouclier».

Ignorant la souffrance des résidents et de leurs familles, exposée dans le livre et dans la presse depuis sa parution, les deux dirigeants n’expriment aucune excuse, ne concèdent aucun regret, pas le moindre dysfonctionnement. Rien. Une «absence de remise en cause» soulignée par François Ruffin, que l’élu insoumis juge «au moins aussi grave que le système qui a perduré». Dans un élan de colère, il lâche une question qui restera elle aussi sans réponse : «Est-ce que vous pensez qu’on doit encore laisser les personnes âgées aux mains des financiers ?»


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