lundi 7 février 2022

Excision, castration… : les mutilations sexuelles au prisme des religions

Par Aurélie Godefroy  Publié le 6 février 2022

Excision, infibulation ou castration ont généralement pour objectif de s’imposer, ou d’imposer aux autres, un contrôle de soi et de ses désirs pulsionnels. Le 6 février est la Journée internationale contre les mutilations génitales féminines.

Chepchai Limaa, ex-exciseuse de la tribu Pokot (Ouganda) dans la grotte où les petites filles se reposaient après leur excision, jusqu’à l’interdiction de cette pratique en 2010.  Village de Katabok, Ouganda, janvier 2018.

« Bientôt Ouranos descend avec la Nuit ; il vient s’unir à Géa, et s’étend de toutes parts pour l’embrasser. Alors, s’élançant de sa retraite, Cronos le saisit de la main gauche, et, de la droite, agitant sa faux immense, longue, acérée, déchirante, il le mutile, et jette au loin derrière lui sa honteuse dépouille. Ce ne fut pas vainement qu’elle s’échappa des mains de Cronos. Les gouttes de sang qui en coulaient furent toutes reçues par Géa, et, quand les temps furent arrivés, son sang fécond engendra les redoutables Erinyes. »

On découvre, dans ce récit d’Hésiode (VIIIe siècle avant notre ère), le thème du couple primordial et le conflit qui le caractérise, culminant avec la castration opérée par Cronos afin de mettre à distance Ouranos et Gaia : le masculin et le féminin, ce qui achève ainsi de définir la sexualité.

Mais cette pratique, qui existe depuis la nuit des temps, n’est pas propre à la mythologie grecque. On la retrouve chez les Egyptiens avec Osiris, ou en Anatolie avec le culte de la déesse Cybèle – cette dernière étant accompagnée d’un jeune berger, Attis, qui trouva la mort en se castrant.

Durant la Renaissance, l’Eglise n’est pas en reste. Sous Clément VIII (1592-1605), les castrats sont intégrés aux chœurs de la chapelle Sixtine… à la condition, toutefois, que l’opération soit effectuée avant la puberté ! Au XVIIIe siècle, Alphonse-Marie de Liguori, docteur de l’Eglise, veut interdire cette pratique. En vain. Il faut attendre 1902 et le pontificat de Léon XIII pour que la castration soit officiellement interdite.

Bien que la castration soit interdite depuis 1880 en Inde, une partie de la population persiste à la pratiquer juste après la puberté sur des jeunes garçons : les hijras

On retrouve aussi cette mutilation en Asie comme en Chine, où l’existence d’eunuques est attestée depuis le VIIe siècle avant notre ère. Et bien que la castration soit interdite depuis 1880 en Inde, une partie de la population persiste à la pratiquer juste après la puberté sur des jeunes garçons : les hijras, également qualifiés de transgenres ou encore de travestis. Cette communauté existe en Inde depuis quatre mille ans. Issues de toutes les castes, ces hijrassont nées garçons ou intersexes, s’habillent en femmes et sont parfois émasculées.

Depuis 2014, la Cour suprême indienne reconnaît officiellement l’existence d’un troisième genre : elles seraient aujourd’hui près de 490 000, inspirant à la fois crainte et fascination. Si, aujourd’hui, les hijras bénissent les mariages et les naissances, elles vivent en marge de la société, rejetées par leurs familles, qui les considèrent bien souvent comme une malédiction, et fréquemment contraintes à se prostituer. Jusqu’à 40 % d’entre elles seraient infectées par le virus du sida.

Terreur du désir

Une autre pratique, bien moins radicale, est parfois interprétée comme une manière de lutter contre les excès du désir masculin dans le judaïsme : la circoncision du prépuce, symbolisant l’alliance de Dieu avec Israël.

Le grand philosophe juif Moïse Maïmonide (XIIe siècle) explique que la circoncision, en outre, a pour but « d’affaiblir l’organe, afin d’en restreindre l’action et de le laisser au repos le plus possible… Le véritable but, c’est la douleur corporelle à infliger à ce membre et qui ne dérange en rien les fonctions nécessaires (…) [à la procréation], mais qui diminue la passion et la trop grande concupiscence ».Notons que la circoncision est également pratiquée en islam, sans revêtir de caractère obligatoire. Il s’agirait plutôt d’une coutume participant de la « perfection de l’homme ».

Ce dernier n’est toutefois pas le seul concerné par ces pratiques corporelles, loin s’en faut. On estime, à l’heure actuelle, à plus de 200 millions le nombre de femmes qui auraient subi des mutilations génitales dans le monde. Clitoridectomie, excision ou infibulation : autant d’actes qui continuent à être effectués au nom des traditions culturelles ou religieuses.

On impute souvent à l’islam ces pratiques indissociables de la question de la virginité. Or, l’excision existait bien avant la prophétie de Mahomet, et le Coran ne l’évoque à aucun moment. Même si, parmi les vingt-huit Etats concernés par cette pratique, les pays musulmans sont majoritaires, dans d’autres – comme le Nigeria et l’Ouganda –, les chrétiennes en sont victimes.

Ces pratiques – que l’on retrouve principalement en Afrique, mais aussi en Indonésie, en Malaisie, en Inde et au Pakistan – peuvent être réalisées à tout âge. Elles touchent pourtant essentiellement des fillettes, ainsi que des bébés sous prétexte de leur « insensibilité à la douleur »… La terreur religieuse du désir est, bien entendu, au cœur de l’excision : désir des femmes ou désir qu’elles provoquent. De telles coutumes sont, d’ailleurs, le plus souvent considérées non comme mutilantes, mais protectrices, et fréquemment exigées par les intéressées elles-mêmes.

Pour Françoise Couchard, professeure en psychologie clinique, « à Djibouti, la présence de l’hymen semblant insuffisante pour préserver la virginité, on y rajoute une fermeture du sexe en le cousant. De fait, des femmes de l’ethnie afar, qui, à l’origine, étaient des nomades, affirmaient que l’infibulation était la meilleure garantie des filles contre toute approche masculine et aussi un moyen de garder une totale liberté, les filles étant parfois chargées de la garde des petits troupeaux, souvent isolées, loin du campement familial, dans la nature déserte. Leur sexe étant “cousu”, elles ne risquaient pas d’être assaillies par des hommes ». Une pression sociale que l’on retrouve en Mauritanie, où les femmes non excisées ne peuvent être enterrées selon les rituels d’usage – toutes ethnies confondues, quelle que soit la religion.

Le retrait du clitoris est vu comme l’ablation de la partie mâle et érectile chez la femme

Au-delà de leur aspect utilitaire, circoncision et excision présentent une forte dimension symbolique. Il s’agit de « séparer ce qui se trouvait mêlé », explique l’ethnologue Françoise Gründ dans son livre Le Corps et le sacré (Chêne, 2003). Le retrait du clitoris est, en effet, vu comme l’ablation de la partie mâle et érectile chez la femme, tandis que la circoncision consiste à amputer l’homme de sa partie femelle, molle et humide.

La photographe et ethnologue Marion Lavabre, qui a longuement côtoyé le peuple afar en Ethiopie, analyse ainsi : « Du point de vue de la symbolique sociale, le fait de trancher une partie du sexe viserait alors à construire des femmes vraiment femmes, et des hommes vraiment hommes, à les accentuer dans leurs différences naturelles. »

Se tourner vers Dieu

Si, dans une perspective ascétique de contrôle de soi et de ses pulsions, on retrouve la mortification dans la plupart des traditions religieuses, les idées de purification et de souffrance physique ont une résonance particulière dans le christianisme. Et pour cause : l’agonie du Christ sur la croix est vue comme une rémission des péchés des hommes, un acte de sacrifice nécessaire pour racheter la faute d’Adam et d’Eve.

Plus que la mutilation à proprement parler, des pratiques de mortification peuvent exister – même si elles sont rares de nos jours : port du cilice (une réminiscence du sac rugueux du roi David), utilisation de divers instruments de peine (martinet, pointes acérées...). Le psychiatre Richard von Krafft-Ebing rapproche, à la fin du XIXe siècle, la mortification et la soumission sexuelle volontaire en raison de l’immense plaisir qu’elles procureraient toutes les deux : « Si, comme cela arrive dans toutes les religions, le sacrifice consiste dans la torture de soi-même, il est, chez les natures religieuses très sensibles, non seulement un symbole de soumission et le prix d’un bonheur futur acheté par les peines du moment, mais c’est aussi une joie réelle, parce que tout ce qu’on croit venir de la divinité chérie, tout ce qui se fait par son commandement ou en son honneur, doit remplir l’âme de plaisir. »

Le fait de contrarier une inclination, soit en se privant d’une satisfaction, soit en s’imposant une action pénible, est censé favoriser ainsi le renoncement à soi-même qui permettrait ainsi de se tourner vers Dieu… et les autres.


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