samedi 12 février 2022

Art contemporain «La Fatigue», une exposition bien cernée


 


par Judicaël Lavrador  publié le 11 février 2022 

Dans le dernier volet de son expo collective, Franck Balland met en valeur un «concept négatif» avec des œuvres sur l’épuisement général.

Afin de se remettre de cette «fatigue», de ce sentiment de vacuité de toute chose – et de l’art en premier lieu – dans lequel l’a jeté le deuxième confinement, Franck Balland en a fait le sujet même et le titre d’une exposition collective, une trilogie, entamée en novembre à la galerie Florence Loewy et dont voici le dernier chapitre. On s’est dit d’emblée que c’était un bon sujet, tant on a l’impression que cette humeur, avec ou sans le renfort aggravant du Covid, s’abat sur tout le monde (ou bien n’est-ce que sur nous ?). Georges Vigarello montrait dans sa récente Histoire de la fatigue, l’évolution contemporaine de cet état qui n’est «plus la fatigue physique venant envahir le mental au point de le hanter, mais la fatigue psychologique venant envahir le physique au point de le briser». Dans son texte d’intention, Franck Balland cite encore le philosophe Byung-Chul Han, qui dans la Société de la fatigue, en décèle les causes dans le culte de la performance et dans l’excès de positivité : dire oui à tout, non à rien, prouver sans cesse qu’on est capable et disponible.

«Etat commun»

Mais comment mettre en scène «ce concept négatif» sans que toute l’exposition ne paraisse elle-même fatiguée et fatigante ? Car, à la différence de la mélancolie voire de l’ennui, tremplins sur lesquels l’âme s’élève pour trouver l’inspiration, la fatigue est un état bas et repoussant, qui met à plat, sur la touche et au repos, parfois forcé. Franck Balland l’a fait avec des œuvres qui ne la nomment pas nécessairement ni ne l’illustrent. Mais qui, quelque part, en portent et en répandent le poids. «Il m’est apparu, dit-il, que positionner la fatigue au centre d’une proposition permettait de l’extérioriser collectivement. Elle est une sorte d’état commun dont il arrive que la production artistique puisse manifester certains effets.»

A l’image, criante celle-ci, des doigts aux ongles rongés, froidement photographiés en gros plan par Patrick Tosani. En balayant d’un rayon laser vert la surface argentée et bosselée de deux globes de verre posés à terre, l’artiste, Jason Hendrik Hansma, lui, avait en tête la montée des eaux, pas le thème de la fatigue. Mais, la surchauffe du climat, après tout, porte le signe du surmenage que l’activité humaine impose à la planète. Puis, être épuisé, c’est aussi être sous l’eau et avancer à tâtons, hagard. Au mur, deux toiles abstraites arborent précisément une surface où se devine les crispations de l’artiste Joan Ayrton, qui les a peintes au doigt en tâchant de bien aligner ses empreintes empâtées. Dans un épisode précédent, Hugo Pernet présentait une pomme, rongée jusqu’au trognon, peinte dans une gamme de couleurs trop pâles et d’un pinceau négligent qui n’avait plus la force d’étaler la matière sans déborder ni multiplier les ratés. Or, à ne pas dissimuler le processus laborieux dont elles résultent et les difficultés de mise en œuvre que rencontre leur auteur, les pièces finissent par rassurer. Chacun fait comme il peut, avec sa fatigue.

La Fatigue, Chapitre III, à la galerie Florence Loewy, 9/11 rue de Thorigny, à Paris (75003), jusqu’au 26 février.

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