jeudi 13 janvier 2022

Yann Jondot « ambassadeur des ambassadeurs de l’accessibilité » roule pour la ville pour tous

Par   Publié le 15 décembre 2021

Premier adjoint de la commune de Langoëlan, Yann Jondot, paraplégique, bataille pour rendre les villes plus praticables pour tous, et donc plus humaines. Portrait à l’occasion de la conférence « Qu’est-ce qu’une ville à taille humaine ? » organisée par « Le Monde Cities ».

Yann Jondot, alors maire de Langoëlan (aujourd’hui premier adjoint) autour de l’étang du Dordu sur un cheminement très compliqué pour son fauteuil, le 27 avril 2020 .

A une dizaine de kilomètres de Vannes, le « village intergénérationnel » de Grand-Champ (Morbihan) accueille une petite centaine d’habitants. Sur les quinze maisonnettes individuelles, cinq ont été attribuées à des personnes à mobilité réduite et les autres à des seniors. Plus loin, « dix chambres sont réservées à de jeunes apprentis, en situation ou non de handicap, et des dortoirs ont été aménagés pour des vacanciers ou des congressistes », détaille, avec satisfaction, Yann Jondot, qui a conseillé le maire sur ce projet.

Boule d’énergie en fauteuil roulant, l’homme conduit la visite des lieux. Au centre du village, le guichet pour les services à la personne et les soins infirmiers à domicile ainsi que les sièges d’une amicale d’anciens combattants, d’un club de cyclisme et d’une association de randonneurs. Sans oublier la place des fêtes.

Dans les villes, « c’est bien cela qu’il faut faire : envisager le handicap d’une manière globale. A quoi cela sert d’avoir un logement adapté si on ne peut pas aller acheter son pain tout seul ? Il faut en finir avec les cages dorées », estime Yann Jondot. A 53 ans, ce « Cyrano métissé d’abbé Pierre », selon son biographe, Jean-Claude Noguellou (Il se voulait un destin, Logodenn, 186 pages, 15 euros), est sur tous les fronts.

Son maître-mot : universalité. « Il ne faut surtout pas se limiter aux seuls paraplégiques, répète-t-il, mais envisager tous les autres handicaps, plus ou moins apparents. » Les besoins de tous ceux qui peuvent être gênés dans leurs déplacements – les seniors, les femmes enceintes, les personnes avec poussettes, les voyageurs encombrés par leurs valises… –rejoignent ceux des personnes en situation de handicap dont le nombre varie fortement, « de quelques millions et 12 millions » selon la mesure retenue, constate la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (L’aide et l’action sociales en France, 2020).

Entraîneur fédéral

Né à Pontivy, dans le Morbihan, Yann Jondot est victime d’un accident de moto en 1990 : « Quand j’ai compris que mes jambes ne fonctionnaient plus, je n’ai pas pu l’accepter. » Les infirmiers l’attachent pour l’empêcher d’arracher ses perfusions. Quelques mois plus tard, il ressent une formidable envie de (re)vivre et suit une rééducation intensive, soutenu sans relâche par Nelly, sa future épouse et mère de leurs trois enfants.

Se battre pour son seul cas ne lui suffit pas. « Mes moyens physiques me permettaient de me sortir de bien des situations, explique-t-il, mais j’ai vite compris les problèmes d’accessibilité rencontrés par beaucoup de ceux qui m’entouraient. Comme je touchais une pension de l’Etat pour mon handicap, je me demandais comment agir pour la justifier. » Il commence par le sport, le tennis de table, et devient entraîneur fédéral. Il sillonne son département et aide toutes les personnes en situation de handicap.

En 2014, élu maire de Langoëlan, son village de 400 habitants du centre de la Bretagne, il crée des « kits de motivation » pour faciliter les déplacements de ses concitoyens qui en auraient besoin : un équipement léger comprenant une rampe amovible, des pictogrammes en braille, un amplificateur de sons...

Le quinquagénaire comprend vite que le combat doit aussi être porté au niveau national. « La loi de 2005 sur le handicap était bonne, notamment parce qu’elle intégrait tous les handicaps, explique-t-il, mais sa mise en application tardive a sacrifié des générations entières. La France accuse un retard énorme sur les questions d’accessibilité. »

Comment faire bouger les pouvoirs publics ? Le déclic viendra en 2017, alors que le sportif ne parvient pas à entrer avec son fauteuil dans la préfecture de Vannes. Il plaisante : « C’est plus dur de gravir cette rampe que de monter le Kilimandjaro. » Chiche ! En octobre, le voilà à l’assaut des 5 895 mètres du plus haut sommet d’Afrique, dans un fauteuil tracté par une dizaine d’amis.

De retour en France, le Breton ne s’en laisse pas conter. Aux ministres qui le félicitent, il répond : « Ne parlons plus du Kilimandjaro. Il ne m’a servi que de prétexte pour vous voir. » Nommé « ambassadeur des ambassadeurs de l’accessibilité », il coordonne les actions de ces jeunes qui, au titre du service civique, sont chargés de l’accessibilité auprès des communes. Une petite vingtaine pour le moment, qui pourrait devenir plusieurs milliers dans les années à venir.

« Le couteau suisse de l’accessibilité »

Poussés par Yann Jondot, les maires du Morbihan ont signé une« charte d’engagement », qui les incite à prendre des mesures pragmatiques, comme l’achat de ses kits de motivation. Ils vont aussi l’aider à diffuser les clés USB, « le couteau suisse de l’accessibilité », qu’il a conçues et financées grâce à un fonds créé avec l’aide de communes, d’artisans et de bailleurs sociaux.

Toutes les informations y sont : qui contacter pour avoir une aide à domicile ? Que dit la loi de 2005 sur tel ou tel sujet ? Quelles sanctions risquent les entreprises ne respectant pas la loi ? A charge pour chaque ville d’y ajouter ses informations. « Plus de 3 000 clés ont été distribuées en Bretagne, mais aussi dans le Pas-de-Calais », ajoute celui qui a été nommé chevalier de la Légion d’honneur en 2019, en reconnaissance de son engagement sociétal.

Yann Jondot, qui a encore des idées plein sa besace, ne peut laisser partir le journaliste de passage sans l’emmener au lac de Guerlédan. Là, dans un décor somptueux, devrait être achevé, en août 2023, ce qu’il considère comme le symbole le plus marquant de son action : la construction d’une « passerelle universelle » de 445 mètres, « la plus longue du monde », reliant les deux rives du lac.

« Nous avons voulu qu’elle soit accessible à toutes les personnes en situation de handicap pour devenir un formidable lieu de partage,s’enflamme-t-il. Nous avons même prévu des endroits de pause où les non-voyants pourront lire des messages en braille leur détaillant le paysage  », raconte celui qui décidément ne tient pas en place. En janvier 2022, il s’apprête à partir pour un nouveau périple en Guyane.


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