mardi 11 janvier 2022

Témoignages «Irresponsables» non-vaccinés: qui sont-ils ? quelles sont leurs raisons ?

par François Carrel, correspondant à Grenoble, Justine Briquet-Moreno et Margaux Menu

publié le 7 janvier 2022 à 21h01
Eloignés du système de santé, attachés à leur liberté ou franchement complotistes, les Français qui n’ont pas encore reçu leur première dose de vaccin contre le Covid, taclés par Emmanuel Macron cette semaine, présentent des profils divers. 

Ce vaccin contre le Covid-19, ils n’y croient pas. Pour eux, ce n’en est même pas un. «C’est une thérapie génique, prétend Sylvie (1), 69 ans, ancienne communicante dans le secteur des assurances, que l’ARN effraie. Je donne seulement ma confiance aux vaccins inactivés, et je suis vaccinée aux vaccins traditionnels contre le tétanos ou l’hépatite B, comme mes enfants.» Cette Marseillaise se méfie de la fiabilité de cette «expérience à échelle mondiale», tout comme Elizabeth, ex-infirmière libérale installée près d’Agen (Lot-et-Garonne) : «Nous n’avons pas assez de recul. Moi, j’attends 2023 pour connaître le résultat de l’étude de Pfizer [date annoncée par l’entreprise pour la fin de ses essais de phase 3, ndlr] «Quand on se fait vacciner contre le tétanos, on ne peut pas attraper le tétanos ! Mais là, on peut l’attraper, ce Covid, même avec le vaccin», juge André, 52 ans, ancien agent de la RATP résidant à Paris. «C’est exactement le même principe que pour la grippe, réplique sa femme, Amel. Mais moi, je pense qu’il aurait été plus judicieux de rendre le vaccin obligatoire.» Elle a reçu ses trois piqûres, notamment pour pouvoir bénéficier du pass sanitaire et sortir avec ses enfants.

Que le vaccin soit «traditionnel» ou pas, ces «irresponsables»,comme les a taclés Emmanuel Macron cette semaine – propos qu’il a dit «assume[r] totalement» ce vendredi –, n’ont toujours pas reçu une seule injection, alors que le nombre de contaminations s’envole en raison du variant omicron. En France, parmi la population de plus de 12 ans, ils sont encore 8,1% à ne pas avoir commencé leur parcours vaccinal. Soit environ 4,7 millions de personnes. Tous ne sont pas des antivax forcenés ou des sceptiques touchés par la désinformation. Certains, comme l’ont montré plusieurs études, sont éloignés des radars de la santé publique. Isolés socialement, économiquement, ils sont passés à travers les mailles du filet de la politique «d’aller vers» censée rattraper ceux qui, depuis un an, n’ont toujours pas vu la pointe d’une aiguille.

Pour justifier leur choix, les autres évoquent parfois leur responsabilité individuelle, à l’image de Jeannine, 90 ans et ancienne couturière : «Lorsque je me suis fait vacciner pour la grippe il y a quinze ans, j’ai été très malade. Si je me fais piquer, je risque quand même d’attraper le Covid et je ne sais d’ailleurs pas si je n’en mourrai pas.» Sylvie pense, elle, traverser la pandémie – qui a déjà causé plus de 120 000 décès en France – sans injection et invoque son expérience personnelle : «J’ai eu le Covid il y a quinze jours, je me suis soignée et je vais bien. Le vaccin est peut-être bénéfique pour les personnes très âgées ou qui ont des comorbidités, et encore ! Ma mère de 90 ans n’est pas vaccinée, elle prend des vitamines et du zinc pour booster les défenses immunitaires et elle va très bien.» D’autres, comme sa sœur Véronique (1), 66 ans, privilégient carrément «des produits alternatifs qui fonctionnent, comme l’hydroxychloroquineou l’ivermectine». Deux traitements dont l’efficacité n’a pourtant pas été étayée scientifiquement.

«J’ai l’impression d’être un virus ambulant»

Ces Français non-vaccinés que nous avons interrogés ne vivent pas dans l’insouciance du virus et ne prennent pas les mesures de protection à la légère. Jeannine, qui ne sort pas, se fait livrer ses courses et pratique encore la couture avec un groupe de cinq amies vaccinées, refuse de voir certaines personnes, surtout celles qui fréquentent les grandes surfaces. «Je ne voudrais pas transmettre le virus à d’autres», ajoute-t-elle. Elizabeth, qui a «soigné des gens pendant quarante ans sans être malade, sans mouchoir dans l’armoire ni doliprane dans les tiroirs», se soucie aussi de ces «autres» : «Je les protège avec mes gestes barrière. Je sors deux fois par mois, pas de ciné ni de restau. Je suis une vraie sauvage !» Estimant que la liberté procurée par le vaccin est «illusoire», elle décrit les vaccinés comme «des ouvriers qui pointent à l’usine. Il va surtout falloir apprendre à vivre avec les virus et avoir une hygiène de vie solide. Vous pensez que tous les trois mois je vais aller me faire piquer ? Non, mais je rêve».

Au nord de Grenoble, à Saint-Egrève (Isère), Sébastien, technicien informatique, constate chaque jour les entorses au port du masque : «Je suis déjà intervenu, on m’a agressé en retour. Moi, j’ai respecté à la lettre les couvre-feux et confinements. Depuis deux ans je n’ai pas mis un pied dans un bar ou un restau, je n’ai pas non plus câliné ma mère et c’est dur.» Jamais détecté cas contact, il vit sa situation de non-vacciné bientôt privé d’accès à de nombreux lieux avec le futur pass vaccinal comme une injustice : «Je n’ai pas coûté le moindre centime à la collectivité, alors ça me fait vraiment très mal qu’on me dise que je ne suis pas un bon citoyen.»

Les propos du président de la République, désireux «d’emmerder» ces rétifs à qui il dénie le statut de «citoyen», les ont choqués. «Un irresponsable n’est plus un citoyen ? Alors pourquoi les gens qui consomment de l’alcool et des cigarettes ne sont pas traités comme je le suis ?» s’interroge Nicole, 67 ans, autre infirmière retraitée, qui partage son temps entre Le Mans et Annemasse. Le discours vire alors à l’ostracisation : «J’ai l’impression de ne plus être en démocratie. Je suis mise au rebut de la société.» Pour André, la diatribe présidentielle tient du calcul politique : «Si je ne dois plus mettre le nez dehors pour continuer de faire mes choix, je le ferai. Macron croit m’emmerder, mais c’est le cafetier chez qui je ne vais plus qu’il emmerde en réalité. On dirait que le Président veut nous faire porter le chapeau concernant la saturation des hôpitaux. Mais qui a supprimé des lits par milliers ? Maintenant, quand je me balade dans la rue, j’ai l’impression d’être un virus ambulant.» «Macron pense parler comme le peuple, mais en réalité, c’est du mépris de classe», assène sa femme, Amel.

«Contrôle de l’humanité»

Dans son village viennois de 370 habitants, où elle se sent en sécurité, Jeannine la nonagénaire vitupère : «Nous ne sommes plus dans un pays libre. C’est une dictature. Si Macron était en face de moi, je lui dirais qu’il ne peut pas s’exprimer dans ces termes. Il est normal que les gens qui veulent se faire vacciner le fassent, mais il l’est aussi que ceux qui ne veulent pas ne le fassent pas. Je ne comprends pas qu’on nous oblige. Ils disent qu’on est des assassins, ça va beaucoup trop loin.»

Chez les non-vaccinés, l’accusation d’irresponsabilité est au contraire revendiquée comme de la lucidité : «Je ne suis en rien irresponsable, au contraire : informée de manière autonome, je suis non manipulée et fière de l’être», estime Pascale, 62 ans, technicienne informatique retraitée dans la vallée du Grésivaudan, en Isère. Ceux qui lui «font de la peine», ce sont les vaccinés, «formatés et qui suivent ce qu’on leur dit de faire». «On nous caricature en dégénérés, ignorants, abrutis ou non cultivés», grince Véronique. Selon André, l’ancien conducteur de bus, le gouvernement patine : «Pour payer nos impôts, en revanche, on continue à être des citoyens. En ne me considérant plus comme tel, en réalité Macron me donne tous les droits. Je ne suis plus régi par aucune règle d’Etat. Donc, il m’emmerde, je l’emmerde !» Il aimerait être considéré comme un individu responsable qui assume ses positions : «Le problème, c’est qu’on mélange les non-vaccinés et les complotistes ! Nous, on est non-vaccinés par choix, pas parce qu’on craint un quelconque complot.»

Une partie des personnes que nous avons interrogées s’aventurent sur ce terrain, parfois au prix des plus grandes outrances. «Ce n’est pas un président ce type-là, c’est un fou furieux, un manipulateur, un pervers», entame Sylvie. Avant d’oser : «Mettre un groupe de personnes à l’écart, c’est de l’apartheid.» Même comparaison historique nauséabonde chez Véronique : «La vaccination est un échec, c’est tellement facile de dire que c’est à cause de nous que ça ne marche pas. On discrimine les gens, on les accuse. Comme on l’a fait avec les juifs en 1940.» Quant à Nicole, elle échafaude les pires théories : «Je ne revoterai pas pour Macron. Il est sous l’influence de ceux qui font les vaccins. Bientôt, on va nous tirer des balles parce qu’on n’est pas vaccinés. C’est un génocide.» D’autres, comme Pascale dans sa vallée, y voient un complot global : «Je crains que cette épidémie ne soit utilisée à des fins non médicales. La vaccination massive, y compris des enfants qui n’en ont pas besoin, pourrait viser au contrôle de l’humanité via la modification du génome.»

Lors du dernier week-end de mobilisation contre le pass sanitaire, le 18 décembre, ils étaient 25 000 à manifester à travers la France. Cette semaine, alors que l’Assemblée nationale votait en première lecture le projet de loi instaurant le pass vaccinal, le nombre de rendez-vous pour des premières injections repartait à la hausse. Quel compteur augmentera ce week-end : celui des manifestants ou celui des néo-vaccinés ?

(1) Les prénoms ont été modifiés.


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