lundi 31 janvier 2022

Sexualité des femmes «très grandes»: quand la taille compte

par Agnès Giard

publié le 29 janvier 2022
Ces femmes de plus de 177 cm représentent 2 à 3% de la population féminine. A priori, c’est un atout. Dans les faits, pas vraiment. Et notamment sur le plan intime.

Dans la Très Grande Taille au féminin (CNRS éditions), la sociologue Marie Buscatto mène l’enquête sur les femmes qui, comme elle, souffrent d’être non «pas grandes, mais TRÈS grandes», ainsi qu’elle le formule pudiquement. D’après l’Inserm, une taille est «normale» à l’âge adulte, «lorsqu’elle est atteinte par 95% de la population, c’est-à-dire entre 162 cm et 190 cm pour les hommes (176 cm en moyenne) et entre 152 cm et 177 cm pour les femmes (164 cm en moyenne)». Les femmes mesurant plus de 177 cm sont donc hors normes au sens statistique du terme. Elles «font partie des 2 à 3% des femmes les plus grandes de la société française», explique la sociologue, qui énumère dans son ouvrage tous les obstacles que ces «géantes» doivent surmonter, notamment dans leur vie privée.

Contrairement aux apparences, il n’est pas évident d’avoir la taille mannequin quand on grandit dans une société qui associe le côté féminin à la douceur et à la passivité. Celles qui font «une tête de plus» sont souvent prises pour des transgenres. «On m’appelle parfois monsieur», raconte une des 51 femmes rencontrées par Marie Buscatto. Les autres renchérissent : «On me demande si je suis un travelo»«on me prend pour une lesbienne». Avec leur allure d’«asperge mutante» (ainsi que certaines le disent), les plus jeunes affrontent quotidiennement des petits commentaires qui finissent par leur faire douter d’elles-mêmes. Comment construire sa féminité quand on a la silhouette d’un guerrier ? Le simple fait de se promener dans la rue leur vaut des moqueries : «girafe», «échalas», «éléphant», «gigue», «grande perche»…

Elles suscitent le rejet, parfois pire, car elles perturbent un ordre qui place le mâle en position de force. «C’est bien d’être grande pour être cheffe, mais c’est pénible pour les amoureux !», raconte Céline, dans le livre. Elle mesure 1m82. Comme elle, la plupart des femmes rencontrées par Marie Buscatto vivent un calvaire. Leur taille dérange, souvent de manière inconsciente, des personnes qui se sentent agressées par cette intrusion visuelle dans leur champ de conscience. N’étant pas perçues comme des «vraies» femmes, les géantes peinent à trouver leurs marques durant l’adolescence. La difficulté est d’autant plus grande qu’il n’existe pratiquement pas de vêtements sexy ou de chaussures adaptés. Où trouver des talons hauts taille 42-44 ? Comment se sentir à l’aise dans les jeux de séduction alors qu’on toise de haut son petit copain ? Il faut apprendre à être «jolie» et à devenir «désirable» alors même qu’on transgresse le modèle, et ce bien malgré soit.

Des hommes complexés

Pour beaucoup d’hommes, la différence de taille pose problème. «J’ai rencontré un homme avec qui j’ai entamé une relation depuis quelques jours, tout se passe à merveille, on s’entend très bien, etc. Seul hic : il est plus petit que moi… Je mesure 1m80 et lui 1m72.» Sur une page Facebook dédiée aux «filles qui sont grandes», une internaute relate sa mésaventure : en public, son partenaire a honte. En privé, il n’assume pas plus. La rupture est inévitable. Les autres membres de la page Facebook essayent de la consoler. Elles ont toutes eu des expériences similaires. Elles ont toutes rêvé «qu’un homme à la hauteur» entre bientôt dans leur vie. Certaines l’ont trouvé, non sans mal. «Je fais 1m88 et mon homme 1m75 et ça fait 9 ans qu’on est ensemble. Pour moi ça n’a pas été simple, les regards des gens, mais je m’en foutais car mon homme m’accepte comme je suis.»

«Un gars ne voulait pas de moi pour 1 bête cm», raconte une autre en lui souhaitant «courage». Dans le chapitre où elle reproduit les éléments les plus significatifs de ces dialogues en ligne, Marie Buscatto souligne à quel point ce type d’expérience semble partagé. Lors des entretiens, la plupart de ses interlocutrices ont vécu les mêmes échecs : «Le nombre de mecs qui ont eu des problèmes sexuels car ils ne pouvaient pas me dominer physiquement, c’est impressionnant !» raconte Geneviève, 34 ans, 1m84. Quand elle demande à ses amants si sa taille les dérange, ils sont presque unanimes : «Ils me disent que je ne me rends pas compte, mais je fais flipper.» Ainsi que Marie Buscatto le dévoile, «la différence de taille peut même affecter la performance sexuelle d’hommes que la très grande taille paralyse».

«Les mecs ont du mal»

«Impressionnés» par la stature de leur amante, certains mâles accusent le coup lors de la première fois. Ils n’y arrivent tout simplement pas. «Les mecs ont du mal», résume Geneviève qui se plaint d’avoir des «soucis sexuels». Et pour cause. Comment exciter un amant plus petit que soi ? Mais les obstacles à surmonter sont bien plus nombreux dans le domaine sentimental. Comment construire une relation durable, romantique, quand on veut se sentir «protégée» ? Bien plus que les hommes, ce sont les femmes qui se sentent complexées. Elles n’assument pas la différence de taille. «Je suis incapable d’être avec un homme plus petit, raconte Florence, 40 ans, 1m80. S’ils sont plus petits, ça me renvoie […] à mon image de grande costaude.» Comme elle, les femmes à taille mannequin sont nombreuses à vouloir reproduire l’image stéréotypée du couple idéal : un homme puissant, une femme fragile.

Ces femmes ont «intériorisé la norme et peinent à la dépasser», relève Marie Buscatto. Elles ont les pires difficultés à trouver un partenaire «bien assorti», c’est-à-dire plus grand qu’elles. Et lorsque, à bout de ressources, elles finissent par se mettre en couple avec un homme très amoureux mais plus petit, le fait de vivre en «couple asymétrique» les met mal à l’aise. «Dans une autre vie, j’aurais un mari grand ! raconte Angèle, 48 ans, 1m80. J’ai ce manque-là, d’un homme qui me prend dans ses bras. L’image de la force !» Bien sûr, toutes ne rêvent pas de reproduire le schéma convenu. Certains couples célèbres en fournissent la preuve. Mais, de façon révélatrice, les photographes de presse se débrouillent souvent pour truquer les clichés : tout le monde se souvient de cette couverture du numéro 3660 du magazine Paris Match (juillet 2019) où Nicolas Sarkozy serre contre lui sa femme, Carla Bruni, qui atteint à peine son épaule, alors qu’elle fait neuf centimètres de plus que lui… Il est toujours compliqué d’en finir avec les normes.

La TRÈS grande taille au féminin de Marie Buscatto, CNRS éditions


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