jeudi 13 janvier 2022

Santé mentale des adolescents depuis le Covid: «La fermeture du monde les a beaucoup plus touchés que d’autres»


 


par Maïté Darnault, correspondante à Lyon  publié le 11 janvier 2022

Nicolas Georgieff, du centre hospitalier spécialisé dans la santé mentale de Lyon, observe une augmentation de jeunes en urgences psychiatriques depuis le début de la crise sanitaire et indique que si les suicides avérés chez les garçons sont plus nombreux, les filles font beaucoup plus de tentatives, avec des modalités très violentes.

Le professeur Nicolas Georgieff est le chef du pôle de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (PEA) du Vinatier, le centre hospitalier spécialisé dans la santé mentale de Lyon, où ses services prennent en charge des patients âgés de 0 à 18 ans, pour des soins principalement assurés en ambulatoire (sans séjour à l’hôpital). Le pédopsychiatre témoigne de l’explosion des troubles anxieux, dépressifs voire suicidaires chez les adolescents dans le sillage de la crise du Covid-19.

Pourquoi peut-on parler d’une explosion des cas ?

Depuis l’automne 2020, nous faisons le constat qu’il se passe vraiment quelque chose, avec l’augmentation massive de l’arrivée dans nos urgences d’adolescents avec des problématiques suicidaires, de passages à l’acte autoagressif, qu’il s’agisse de tentatives de suicide, de scarification, d’automutilation, de conduites à risque, qui sont toutes des signes de détresse et de désespoir, liés à des problématiques anxieuses et dépressives. Au Vinatier, cela s’est traduit par une augmentation de plus de 70% de mineurs aux urgences psychiatriques et conséquemment une forte augmentation des hospitalisations, avec la montée de la vague de début 2021, et une accélération très forte à l’automne 2021, sans descente depuis.

Qui sont les jeunes concernés ?

Cela concerne des jeunes de 12-13 ans à 20 ans. C’est à la fois plus précoce et plus tardif qu’avant. La fragilité adolescente dure plus longtemps qu’on ne le pense : on peut être majeur sans être forcément adulte. Depuis l’automne, ce qui prédomine, ce sont des jeunes nés en 2004 et 2005. Et ce ne sont pas tellement les épisodes psychotiques qui ont augmenté, ce sont vraiment ces troubles anxieux et dépressifs. En pédopsychiatrie, il y a toujours eu une surreprésentation des garçons, avec des pathologies plus marquées, sauf concernant la dépression et la suicidalité : les suicides avérés chez les garçons sont plus nombreux, mais les filles font beaucoup plus de tentatives. Ce qui est nouveau, c’est que nous avons constaté des tentatives de suicide graves et des suicides avérés avec des modalités très violentes que l’on n’observait pas, jusque-là, chez les filles, comme la pendaison et la défenestration.

Comment expliquez-vous cette aggravation ?

Ce qui se passe est en rapport avec plusieurs facteurs. Les adolescents constituent une des parties de la population qui a le plus souffert des restrictions de la vie sociale, affective, relationnelle dues à la crise sanitaire. Cette fermeture du monde les a beaucoup plus touchés que d’autres. Car elle a aussi provoqué un enfermement dans le milieu familial. Dans beaucoup de familles déjà en difficulté, dans des situations de précarité, la crise a augmenté les dysfonctionnements et les situations de violences intrafamiliales. Enfin, il existe un discours sur l’avenir du monde, au sujet de la crise virale, de la crise climatique, relayé par les médias, qui est globalement pessimiste.

Comment vos services se sont-ils adaptés à ces nouvelles vagues de patients ?

Cette augmentation massive des arrivées aux urgences nous a imposé de revoir les dispositifs d’accueil d’urgence et de post-urgence, de mieux identifier les besoins. Nous avons fait le constat que nos filières d’accueil étaient sous-dimensionnées et qu’elles devaient aussi évoluer en termes qualitatifs, qu’il faut une vraie compétence psychiatrique dès les urgences. Nous avons imaginé un dispositif, quand le passage à l’acte est imminent ou que l’environnement familial est trop défaillant, en mettant en place un hôpital de jour de crise pour répondre de manière intensive sur une courte durée. Cela fonctionne, ça évite les hospitalisations plus longues. Mais à terme, on peut s’inquiéter de l’effet cumulatif du stress et des dysfonctionnements environnementaux [c’est-à-dire dans l’entourage du jeune, ndlr] sur ces générations touchées par la crise.

Or comme d’autres secteurs du soin, votre discipline manque de bras…

La pédopsychiatrie n’a jamais été autant sollicitée depuis le début de la crise sanitaire et en même temps, le nombre de pédopsychiatres s’est effondré depuis dix ans, il y a une grave crise de recrutement. Selon le conseil de l’Ordre des médecins, en 2007, il y avait 1 235 pédopsychiatres inscrits, ils n’étaient plus que 593 en 2017. Et 80% d’entre eux avaient plus de 60 ans.

Lignes d’écoute anonymes et gratuites: 3018 contre le cyberharcèlement, 3114 pour la prévention des suicides. Fil santé jeunes : 0 800 235 236 ou par chat sur le site (tous les jours de 9 heures à 23 heures). En cas d’urgence, contacter le 15.

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